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L'événement
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Réduction du temps de travail

La mobilisation générale

Le débat sur l'avenir de la restauration française, organisé le 8 juin dernier au palais des congrès à Paris à l'initiative des associations professionnelles, a fait salle comble. Trois cents restaurateurs sont venus, individuellement, pour débattre de leur avenir. Une première qui met en évidence un changement radical de mentalité chez les professionnels. Cartes sur table, ils ont demandé à être entendus, à être reconnus, en tant que chefs d'entreprise. Une mobilisation sans précédent.

Si l'on peut se réjouir d'un tel succès, il faut bien reconnaître qu'il est aussi révélateur du malaise, de l'inquiétude voire de l'angoisse que beaucoup de restaurateurs ressentent face à leur propre avenir et celui de toute la profession. S'ils sont venus aussi nombreux, c'est justement parce qu'ils espéraient que les associations professionnelles initiatrices de cette réunion animée par L'Hôtellerie puissent enfin peser de tout leur poids auprès des syndicats patronaux pour qu'ils réagissent d'une manière claire auprès des pouvoirs publics en matière de réduction du temps de travail. Car au fond, c'est bien de cela qu'il s'agit. Que ce soit les orateurs qui se succèdent à la tribune ou les restaurateurs qui prennent le micro dans la salle, le constat est le même : si l'on n'accepte pas de remettre à plat l'ensemble de l'organisation de cette profession, de ses méthodes de travail, de sa réglementation, de ses charges, de ses obligations, l'avenir est sombre ! Et pourtant, venus de toute la France, ils sont là et ils refusent de se résigner. Ils veulent se faire entendre mais aussi qu'on les écoute et surtout que les actes suivent.
A l'origine de ce débat, quatre associations de cuisiniers restaurateurs : les Maîtres cuisiniers de France, la chambre syndicale de la haute cuisine française, les Jeunes Restaurateurs de France et Euro-Toques. Leurs présidents sont là, à la tribune, impliqués, un très grand nombre de leurs membres sont dans la salle, venus de la France entière, chefs étoilés ou non, connus ou inconnus, tous affichent la même préoccupation : se donner les moyens d'assurer l'avenir de leurs entreprises, se donner les moyens de recruter, de former et de rémunérer dignement leur personnel. Ils sont tous bien décidés à dresser le tableau des difficultés de la restauration traditionnelle, à rappeler les combats qu'il faut mener et les pistes qu'il faut suivre pour retrouver une lueur d'espoir. L'idée étant d'unir leurs forces pour devenir une véritable force de propositions.

La loi Aubry
Leur mobilisation a rencontré un écho magistral. De toute la France, des restaurateurs ont répondu présents. Ils sont venus témoigner non seulement des problèmes qu'ils rencontrent et des angoisses qui les assaillent mais aussi de leur soutien à une action enfin efficace et commune. Une véritable mobilisation pour la défense des restaurateurs indépendants, une unité sans faille face aux échéances qui approchent à grands pas, ils l'appellent de leurs vœux. Et les associations de cuisiniers-restaurateurs ont montré un bel exemple. En unissant leurs forces, en favorisant les échanges entre professionnels, ils vont de l'avant. Leur but ? Pousser les organisations syndicales dans leurs négociations avec les pouvoirs publics. Car si l'avenir est sombre, c'est bien de ces négociations que peuvent ressortir quelques solutions.
Le constat est clair : LE SECTEUR DE LA RESTAURATION EST CONCERNE PAR LA LOI AUBRY, de ce fait, au 1er janvier prochain, toutes les entreprises qui comptent plus de 20 salariés auront l'obligation d'appliquer la loi, les autres pourront attendre 2002... A ce jour, pour pouvoir bénéficier des aides du gouvernement, aides qui s'étalent sur plusieurs années d'une manière dégressive, les entreprises concernées doivent avoir signé un accord d'entreprise avec leurs salariés avant la fin du mois de juin pour bénéficier de l'aide maximum (9 000 F par an et par salarié, somme qui passe à 7 000 F après le 1er juillet). Dans la mesure où les syndicats patronaux de l'hôtellerie-restauration n'ont pas signé d'accord de branche, les entreprises doivent individuellement négocier leurs accords et ce, avec des salariés mandatés par un syndicat. Si un accord-cadre avait été élaboré, elles pourraient se contenter de ne les signer qu'avec les représentants de leur personnel en dehors de toute implication syndicale. Un handicap de plus pour les entreprises du secteur qui, la plupart du temps, sont trop petites pour qu'une représentation syndicale existe en leur sein.


De gauche à droite : Bernard Fournier,Dominique Crepet, Maurice Roeckel, Patrick Fulgraff, Fernand Mischler, Antoine Westermann, Philippe Fructus.

Chiffres à l'appui
Quel avenir pour la restauration française ? Vaste débat et une question qui taraude bon nombre de restaurateurs qui voient arriver avec effroi la mise en application de la réduction du temps de travail. Maurice Roeckel, du cabinet Charte Conseils, a présenté une étude des plus réalistes. Près de 400 restaurateurs lui ont ouvert leurs comptes. Comptes de résultats, coût matière, charges de personnel, autres charges : tout à été étudié. Conclusion, l'application de cette loi entraîne un surcoût que les comptes de résultats moyens des entreprises étudiées ne peuvent pas assumer. L'étude démontre que les entreprises dégagent un résultat net comptable moyen de 1,61 % pour un coût salarial qui représente 41,5 % du chiffre d'affaires HT, toujours en moyenne. Résultat, en tenant compte de la hausse de la masse salariale entraînée par l'application de loi Aubry sur la réduction du temps de travail, le coût salarial atteint alors 45,5 %. Comment supporter ce coût supplémentaire ? Pour beaucoup, cela relève de l'impossible. C'est le coup de grâce ! Comment comptez-vous vous en sortir ? Quelles sont vos alternatives ? a-t-on demandé aux restaurateurs du panel. Voici un échantillon des réactions recueillies : "On fera appel à des entreprises extérieures pour un certain nombre de travaux ; on devra faire plus d'achats de produits prêts à l'emploi, on augmentera les contrats à temps partiel et le recours aux extras, on réduira les horaires d'ouverture, il faudra supprimer les pauses, on remplacera deux apprentis par un commis, on va devoir travailler encore plus vite, on fermera plus longtemps en période creuse et ça entraînera une augmentation des contrats à durée déterminée... On mettra la clef sous la porte, on ne peut plus donner davantage..." Des réponses qui laissent présager le pire !

Pourtant, il faut évoluer
Si quelques-uns ont exprimé leur volonté de refuser en bloc cette loi (rappel leur a été fait de l'obligation de son application pourtant), d'autres, la plus grande majorité, appellent à l'aide dans la mesure où ils sont conscients de la nécessité de faire évoluer leur métier et les conditions de travail des salariés. Tous ont dit combien il leur était difficile aujourd'hui de recruter, de motiver leur personnel, nombreux ont été ceux à reconnaître la nécessité de leur donner la possibilité d'avoir un mode de vie plus en conformité avec celui des autres secteurs.
"Rappelons que 5 ans après avoir obtenu leur diplôme, seuls 30 % des jeunes restent dans nos métiers. Si nous n'arrivons pas à répondre à leurs attentes, nous ne trouverons plus de personnel qualifié", explique Antoine Westermann. Des horaires moins lourds font sûrement partie des aspirations des jeunes, mais certainement pas de travailler dans des conditions encore plus difficiles ou en accumulant les contrats précaires. Pourtant, l'application brute de la loi Aubry risque de contraindre les entreprises à s'y résoudre simplement pour survivre. C'est aussi bien sûr la qualité des prestations qui va en pâtir. Alors l'avenir ?
Aujourd'hui, l'application de la loi Aubry sur la réduction du temps de travail à la restauration est une certitude. "Nous avons noté qu'un coup de pouce serait donné pour les bons élèves (des aides de l'Etat si l'entreprise embauche) et surtout pour compenser l'effet mécanique qui est un surcoût de 11,4 %. Mais nous avons également pris note que de nouvelles taxes sur les entreprises viennent annuler ses aides", rappelle Antoine Westermann. Les professionnels demandent des aménagements de la loi, des aides. Pour avoir une chance de se faire entendre, il faut tous s'unir.

Etre reconnus pour être entendus
Fernand Mischler, président des Maîtres cuisiniers de France, a, quant à lui, rappelé le combat qu'il mène depuis plusieurs années : l'obtention du statut d'artisan pour les restaurateurs grâce à leur inscription à la chambre des métiers. "Nous ne sommes ni des assembleurs ni des réchauffeurs. La plupart des cuisiniers-restaurateurs de France sont persuadés que la reconnaissance du statut artisanal permettra à la restauration de retrouver une identité en se démarquant des nouvelles formes de restauration et en apportant au consommateur une sécurité alimentaire", ont conclu Bernard Fournier et Fernand Mischler. Et s'il est un thème d'actualité, après les déboires des poulets belges, c'est bien celui-ci. Dominique Crepet, conseil et expert auprès de la chambre syndicale de la haute cuisine française, rappelle le souci permanent de la sécurité du client chez les restaurateurs. Une sécurité assurée par la "sélection rigoureuse des produits alimentaires à la source" et garantie par la "confiance et le réel partenariat avec les agriculteurs, éleveurs, viticulteurs, pêcheurs". Conseiller à la CGPME, Philippe Fructus ira même jusqu'à suggérer aux restaurateurs de se grouper pour réclamer aux assureurs de les couvrir en matière de sécurité alimentaire. Dans l'avenir, n'est-il pas envisageable qu'un client intente un procès à un restaurateur l'accusant de lui avoir servi un produit qui lui aurait transmis une maladie...
"Ce forum doit être la prémisse à des rencontres plus élargies avec tous nos partenaires. Il ne faut pas en rester là, scande Antoine Westermann, président de la Chambre syndicale de la haute cuisine française. Jusque-là nous étions une majorité silencieuse, maintenant nous voulons devenir une majorité active. Il est temps de se mobiliser." Mobilisés, conscients des enjeux, les restaurateurs ont demandé officiellement quelle suite allait être donnée à cet après-midi de travail. Tous d'accord pour exiger, à partir des données chiffrées établies d'après le rapport présenté, une réelle baisse des charges sur les salaires en l'échange d'un engagement sur l'application de la loi Aubry, les restaurateurs ont demandé aux présidents des associations présentes d'exiger des syndicats professionnels que plus rien ne soit fait, en matière de négociations, sans qu'ils ne soient consultés. Ils ont également demandé que la pression soit mise sur les négociateurs pour que les dossiers avancent plus rapidement. Roland Magne, président de la Confédération, présent tout au long des débats dans la salle, a fait savoir qu'il avait parfaitement reçu le message, Francis Attrazic, président des restaurateurs à la FNIH a tenu à exprimer le combat de la FNIH face au refus du gouvernement d'appliquer un taux de TVA à 14 % pour l'ensemble de la restauration française. Pierre Blanc, président des restaurateurs du SNLRH a dit combien les restaurateurs allaient devoir revoir leur politique tarifaire pour supporter ce coût supplémentaire.
Aujourd'hui, à partir des échanges, des témoignages très nombreux de l'expérience des restaurateurs présents ce jour-là, un livre blanc va être élaboré pour être remis aux instances syndicales patronales et aux ministères concernés.
N. L.


Un débat très animé dans la salle.


Autour de Georges Blanc, Guy Martin et Philippe Chavent.


Yves Toublanc arrive de Port Crouesty en Bretagne ; Christian Willer de Cannes.


Trois cents restaurateurs venus de la France entière.


L'HÔTELLERIE n° 2618 Hebdo 17 Juin 1999

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