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Actualité juridique
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Du côté des prud'hommes

L'obligation de nourrir le personnel

Si l'obligation de nourrir le personnel dans les hôtels, cafés, restaurants est aujourd'hui conçue comme une évidence, intégrée dans les pratiques de tous les professionnels, ses conséquences sur la rémunération des salariés continuent parfois de poser problème. Ce fut le cas, dernièrement, à l'occasion de deux affaires portées devant le conseil de prud'hommes de Paris.

L'obligation de nourrir le personnel dans la profession des hôtels, cafés, restaurants résulte à la fois d'un usage confirmé par un arrêt Parodi du 22 février 1946 (modifié le 1er octobre 1947) et du Code du travail (articles D 141-6, D 141-8 et suivants découlant du décret du 17 avril 1951).
Cette obligation de nourriture a, bien évidement, des conséquences sur la rémunération du personnel.
La première de celles-ci concerne l'évaluation du salaire brut, qu'il s'agisse du SMIC hôtelier ou d'un salaire supérieur. Les avantages en nature nourriture doivent-ils être pris en considération pour déterminer le salaire brut, et si oui, dans quelles conditions ? Ce sont les deux questions auxquelles devait répondre, dans une première affaire, le conseil de prud'hommes de Paris.

Premier cas
Celle-ci concerne un hôtel du quartier Saint-Michel à Paris. Longtemps hôtel à prix modestes il abrita, à ce titre, les fameux artistes de la Beat Generation. Cet hôtel est, depuis, devenu un luxueux hôtel 4 étoiles au charme certain. S'il a su évoluer afin de devenir un des plus beaux fleurons de l'hôtellerie parisienne offrant de superbes prestations à sa clientèle, il l'a fait pense-t-il dans le respect de la législation sociale.
Aussi, lorsqu'elle reçoit de son veilleur de nuit une lettre de démission puis une convocation devant le conseil de prud'hommes de Paris, la direction de l'hôtel est pour le moins surprise. Le veilleur de nuit demande à ce que son employeur soit condamné à lui verser un rappel de salaire. Selon lui, il aurait été rémunéré à un taux horaire inférieur au SMIC.
Lors de l'audience de jugement, le salarié explique que s'il divise son salaire brut (la première ligne de son bulletin de paie) par le nombre d'heures qu'il a accomplies, il obtient un taux horaire inférieur à celui du SMIC. Il précise qu'il prend pourtant en considération des heures d'équivalence, puisqu'il effectue sa division sur la base de 186 h 33, base sur laquelle il doit être rémunéré de par la convention collective nationale du 30 avril 1997. Il ajoute que l'employeur ne lui octroie qu'un seul repas de nuit alors que l'ensemble de ses collègues de travail se voient appliquer un usage en vertu duquel il est octroyé à chaque salarié deux repas dès lors qu'ils travaillent plus de 5 heures par jour.
Le salarié précise que ses repas ne doivent pas être pris en considération pour apprécier si le SMIC est respecté. Il conclut en demandant un rappel de salaire de l'ordre de 16 000 F.
L'hôtelier réplique à ces arguments qu'il n'a fait que respecter les dispositions sur les avantages en nature nourriture propres à sa branche d'activité. Il indique ainsi qu'en vertu de l'article
D 141-8 du Code du travail, les avantages en nature octroyés au salarié sont pris en considération pour la moitié de leur valeur dans le calcul du SMIC.
Aussi, pour calculer le SMIC hôtelier versé à son veilleur de nuit, il a multiplié le taux horaire du SMIC par le nombre d'heures rémunérées. De ce salaire de base, il a déduit la moitié de la valeur de la nourriture octroyée au salarié pour obtenir un salaire minimum en espèces garanti (SMEG). Enfin, à ce SMEG, il a ajouté la totalité de la nourriture, à raison de 2 repas par jour, afin d'obtenir le SMIC hôtelier. C'est donc de façon tout à fait légitime qu'a été calculée la rémunération du salarié.
L'hôtelier produit une circulaire DRT DSS N° 15-90 du ministère du Travail particulièrement intéressante. Cette circulaire reprend en effet ligne par ligne le calcul du SMIC hôtelier tel qu'il doit être respecté dans les cafés, hôtels, restaurants.
L'hôtelier ajoute enfin que ce salarié s'est vu appliquer ce mode de calcul comme l'ensemble de ses collègues de travail à l'hôtel et comme l'ensemble des salariés de la branche d'activité.
L'hôtelier conclut et demande à titre de dédomagement la condamnation du salarié à lui verser, pour le principe, des dommages et intérêts à hauteur de 5 000 F pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Nouveau Code de procédure civile.
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes s'est retiré pour délibérer. Le jour même, il a rendu son jugement, déboutant le salarié de l'intégralité de ses demandes. Selon le conseil de prud'hommes, le veilleur de nuit a "été rempli de ses droits conformément aux textes en vigueur" et a même présenté des "demandes abusives". Le conseil de prud'hommes condamne ainsi le salarié à payer à l'hôtelier, pour le principe, la somme de 100 F sur le fondement de l'article 32-1 du Nouveau Code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes considère ainsi qu'il est incontestable que la valeur des avantages en nature nourriture versés au salarié doit, dans les hôtels, cafés, restaurants, être prise en considération pour moitié dans l'appréciation du SMIC hôtelier. Il ne s'agit pas de tickets-restaurant.

Deuxième cas
L'obligation de nourriture a également des conséquences sur la rémunération nette des salariés. Les avantages en nature nourriture peuvent-ils être déduits du salaire net, dès lors qu'il s'agit d'avantages dont le salarié a effectivement bénéficié, et si oui, jusqu'à quel point ? C'était la deuxième question à laquelle devait répondre le conseil de prud'hommes de Paris, dans le deuxième cas d'espèce que nous étudierons.


«La nourriture doit être prise en compte pour le calcul du salaire brut minimum»


Il s'agit, cette fois, d'un restaurant "branché" de la capitale. Ses différentes formules, cinéma notamment, connaissent depuis plusieurs années un vif succès. Pour faire face, il lui faut donc employer un grand nombre de salariés (près d'une vingtaine). Aussi, lorsqu'il s'agit de satisfaire l'obligation de nourrir le personnel, cet employeur décide d'adopter la méthode la plus équitable pour le personnel mais aussi la plus facile à gérer. Il décide, purement et simplement, de fournir à l'ensemble des salariés deux repas par jour. Ces repas sont, bien évidemment, intégrés dans le salaire brut, comme dans l'affaire ci-dessus. Ils sont aussi déduits en bas du salaire net, puisque le salarié est considéré comme en ayant profité. Et c'est là justement que le problème se pose.
Un salarié saisit le conseil de prud'hommes. Il affirme que depuis plusieurs années, il n'a pas pris ses repas au sein de l'entreprise. Néanmoins, l'employeur a continué de les lui déduire de son salaire net. Il ne supporte plus cette "injustice" et décide de saisir le conseil de prud'hommes de Paris afin qu'il condamne l'employeur à lui rembourser les repas qu'il n'a pas consommés.
Devant le conseil de prud'hommes de Paris, le salarié réclame ainsi un rappel d'avantages en nature pour un montant approchant les 20 000 francs. Il explique qu'il prend ses repas à son domicile depuis 1994. Il produit, à l'appui de ses propos, une attestation de son épouse qui témoigne préparer le repas de son mari chaque jour depuis maintenant 5 ans. Le salarié justifie sa position en expliquant que son médecin traitant lui a prescrit un régime alimentaire très strict : le sel lui est formellement interdit. Le salarié prend d'ailleurs le soin de produire un témoignage de son médecin confirmant l'obligation pour le salarié de suivre ce régime alimentaire.
En défense, l'employeur s'oppose à cette argumentation. Il s'agit pour lui d'une question qui dépasse les sommes demandées par le salarié. Il lui faut pouvoir justifier d'une position uniforme pour l'ensemble de ses salariés. Ce restaurateur rappelle, en premier lieu, que l'arrêt Parodi du 22 février 1946 indique "qu'il appartient à l'employeur soit de nourrir son personnel, soit de lui allouer une indemnité compensatrice de nourriture". C'est à l'employeur et à lui seul qu'il appartient de choisir entre la fourniture du repas et l'octroi de l'indemnité compensatrice. Il indique qu'il a rappelé ce principe à son salarié par un courrier recommandé. Le restaurateur explique qu'il a choisi, pour sa part, de nourrir son personnel en lui préparant des repas, et qu'en conséquence, c'est tout naturellement qu'il a décidé de refuser d'accéder à la demande du salarié. Il explique qu'il s'agit pour lui d'adopter un statut uniforme pour l'ensemble du personnel.
"Comment peut-on raisonnablement gérer 20 personnes en devant 2 fois par jour vérifier qui a consommé et qui n'a pas consommé ces repas ? Bientôt, il faudra que je prenne autant de temps à choisir les menus de mes salariés et à les nourrir qu'à servir ma propre clientèle."
Ce restaurateur précise que le salarié a signé, à son embauche, un contrat de travail dans lequel il est indiqué un salaire auquel viennent s'ajouter "des avantages en nature nourriture". Il n'est pas question dans ce contrat d'indemnité compensatrice de nourriture.
En plus, l'employeur produit, de façon à ce qu'aucune ambiguïté ne subsiste, le témoignage du chef de cuisine qui confirme que les repas au sein du restaurant sont chaque jour systématiquement mis à la disposition du personnel tous les midis. Quant aux soirs, chacun peut prendre ou se faire préparer ce qu'il a envie. L'employeur produit également les bulletins de paie de l'ensemble du personnel, à la lecture desquels il apparaît que chaque salarié bénéficie d'avantages en nature nourriture.
Aussi l'employeur affirme-t-il que si le salarié a décidé de ne pas consommer ses repas, il n'en demeure pas moins que la société reste en droit de considérer ces repas comme mis à la disposition du salarié et comme consommés. Il peut donc les déduire du net à payer du salarié. L'employeur produit à ce sujet une jurisprudence lui reconnaissant ce droit. Il produit notamment un arrêt de la Cour de cassation du 16 février 1994 selon lequel "le salarié qui, pour des raisons personnelles, ne prend pas le repas fourni gratuitement par l'employeur, ne peut prétendre à une compensation". Il produit également divers jugements du conseil de prud'hommes de Paris confirmant ce principe et ce quelle que soit la raison personnelle qui a pu motiver le salarié à ne pas prendre ses repas, qu'il s'agisse de raisons d'ordre religieux ou d'ordre médical.
L'employeur conclut que le salarié ne peut prétendre au remboursement des avantages en nature pour les repas qu'il n'aurait pas consommés parce qu'il est indispensable pour l'entreprise d'établir un statut uniforme en matière d'avantages en nature nourriture.
Là encore, le conseil de prud'hommes va rendre son jugement le jour même et va débouter le salarié de sa demande. Selon le conseil de prud'hommes, dès lors que l'employeur fournit à ses salariés des avantages en nature nourriture, il est en droit de les déduire du net à payer, qu'ils soient consommés ou non, et ce pour quelque raison personnelle que ce soit.
Ces décisions conformes aux pratiques de la branche d'activité ne sont pas inintéressantes. La première rappelle que l'avantage en nature nourriture doit être pris en considération dans l'évaluation du SMIC hôtelier, et ce pour la moitié de sa valeur de la nourriture. D'autre part, les avantages en nature nourriture mis à la disposition des salariés sont déduits du net à payer, qu'ils soient consommés ou non et ce quelle que soit la raison invoquée par les salariés.
F. Trouet, Syndicat national des restaurateurs, limonadiers et hôteliers.

Calcul du SMIC

Depuis le 1er juillet 1998 :
- Le SMIC est fixé à 40,22 F de l'heure (+ 2 % d'augmentation)
- Le SMEG est fixé à 18,39 F (valeur de la nourriture)
Salaire minimum au 1er juillet 1998

a) Calcul du salaire de base : le salaire de base correspond à la première ligne à porter sur la fiche de paie pour le personnel rémunéré au SMIC et ce quelle que soit la durée du travail du salarié dès lors qu'elle est supérieure ou égale à 186 h 33 (emploi à temps plein) :
- pour les cuisiniers (toques) : 186 h 33
- pour les autres salariés :
* établissements de 10 salariés au plus : 195 h 00
* établissements de plus de 10 salariés : 190 h 66
- pour les veilleurs de nuit : 216 h 66
b) Calcul du salaire espèces : le salaire espèces correspond au salaire de base, déduction faite de la moitié de la valeur de l'avantage nourriture dû au salarié, soit :
- 22 repas à déduire pour un salarié travaillant 5 jours par semaine
- 24 repas à déduire pour un salarié travaillant 5 jours 1/2 par semaine (cf. art. D 141-6 et 7 du Code du travail).
c) Calcul du salaire brut minimum : le salaire brut correspond au salaire espèces auquel il convient d'ajouter l'intégralité de la valeur de l'avantage nourriture dû au salarié, soit :
- 44 repas à ajouter au salaire espèces pour un salarié travaillant 5 jours par semaine
- 48 repas à ajouter au salaire espèces pour un salarié travaillant 5 jours 1/2 par semaine.
Le salaire brut constitue l'assiette des cotisations de Sécurité sociale des salariés rémunérés au SMIC.

 

Evaluation des avantages en nature depuis le 1er juillet 1998

Avantages en nature nourriture
- pour le personnel dont la rémunération ne dépasse pas le plafond de la Sécurité sociale (soit 14 090 francs depuis le 01.01.1998) : 18,39 francs le repas soit 36,78 francs pour 2 repas ;
- pour le personnel dont la rémunération "espèces" dépasse le plafond de la Sécurité sociale et lorsque la nourriture est consommée : 22,59 francs le repas soit 55,17 francs pour 2 repas.

Avantages en nature logement
- pour le personnel dont la rémunération ne dépasse pas le plafond de la Sécurité sociale (soit 14 090 francs depuis le 01.01.1998) :
par semaine : 5 x 18,39 F = 91,95 F
par mois : 20 x 18,39 F = 367,80 F
- pour le personnel dont la rémunération dépasse le plafond, et faute de connaître la valeur locative réelle :
par semaine : 91,95 F x le nombre de pièces principales
par mois : 367,80 F x le nombre de pièces principales

 

 

Mode de calcul

  Personnel travaillant sur 5 jours 1/2 Personnel travaillant sur 5 jours
Dalaire de base :    
     
     
     
     
     
     
     
     

 

40,22 F x 186 h 33 = 7 494,19 (a) 7 494,19 (a)

Déduction 1/2 nourriture :

- 24 repas x 18,39 F = - 441,36 F

- 22 repas x 18,39 F = - 404,58 F

Salaire espèces = 7 052,83 F (b) = 7 089,61 F (b)

Addition des avantages

en nature nourriture

-48 repas x 18,39 F = + 882,72 F

-44 repas x 18,39 F = + 809,16 F

Salaire brut : = 7 935,55 F (c) = 7 898,77 F (c)

Les (a) (b) et (c) se rapportent au tableau de la page précédente.


L'HÔTELLERIE n° 2617 Hebdo 10 Juin 1999

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