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Actualité juridique

Du côté des prud'hommes

L'employeur peut lui aussi saisir le conseil de prud'hommes

Le conseil de prud'hommes est compétent pour connaître de l'ensemble des litiges qui peuvent s'élever à l'occasion du contrat de travail entre employeurs et salariés.
Si le plus souvent c'est le salarié qui est demandeur, rien n'interdit à l'employeur de saisir lui-même, aussi, le conseil de prud'hommes. Ce fut le cas, dernièrement, lorsqu'un employeur a demandé la condamnation d'une salariée qui avait refusé d'exécuter son préavis de démission.

Ce patron qui nous intéresse aujourd'hui est un professionnel heureux. Il tient un superbe salon de thé-glacier dans le 7e arrondissement de Paris. L'activité est bonne, elle se développe même. Il est vrai que si sa clientèle est des plus exigeantes, son produit est de qualité. Il fabrique lui-même ses gâteaux et ses glaces avec les meilleurs produits. A son service, il emploie habituellement une vingtaine de salariés dont 5 en salle pour le service client, mais cela devient vite insuffisant.
Au mois d'octobre 1996, il est donc amené à étoffer ses effectifs en embauchant une serveuse supplémentaire. Après de longues recherches et d'interminables entretiens, il trouve enfin une candidate qui mérite d'être retenue. Il l'embauche. Un contrat de travail est préparé et signé entre les parties. Il définit les conditions de travail de la salariée, les droits et obligations de chacun. Dans le contrat, l'employeur prend soin de prévoir un mois de préavis en cas de démission de la salariée. C'est un minimum, se dit-il, pour trouver une remplaçante, après les efforts qu'il vient de fournir.
Justement, un an après, en octobre 1997, la salariée fait part à sa direction, par lettre recommandée avec accusé de réception, de sa décision de démission-
ner pour raisons personnelles. Dans ce courrier, elle indique que, renseignements pris auprès de l'inspection du travail, son préavis n'est pas obligatoire étant donné qu'elle est rémunérée au pourcentage service. Le jour même où l'employeur reçoit le courrier, la salariée cesse effectivement son activité au sein de l'établissement.
Le lendemain, l'employeur écrit à la salariée en recommandé afin d'accuser réception de sa démission, mais surtout pour attirer son attention sur le fait qu'elle est redevable d'un préavis d'un mois, conformément aux dispositions de son contrat de travail. Furieux, il prend soin de conclure son courrier en mettant la salariée en demeure de respecter son engagement et de venir exécuter son préavis.
En vain, la salariée refuse de reprendre son poste de travail. Elle ne daigne même pas y répondre.
L'employeur lui écrit alors une nouvelle lettre de mise en demeure, lui rappelant ses obligations et la mettant en garde contre une éventuelle action judiciaire en dommages et intérêts pour brusque rupture de contrat: "Malgré notre précédent courrier, vous n'avez pas daigné répondre, ni reprendre votre poste de travail afin d'exécuter votre préavis de démission. Votre attitude n'est pas sans perturber notre organisation. Par la présente, nous vous mettons en demeure de reprendre votre poste jusqu'au terme de votre préavis. A défaut, nous nous réservons le droit de demander réparation pour brusque rupture."
La salariée ne répond toujours pas. Elle ne reprend pas davantage son poste de travail. Finalement, au terme de ce préavis non exécuté, elle va revenir une dernière fois dans l'établissement non pas pour travailler, mais tout simplement pour prendre possession de son solde de tout compte (ses congés payés notamment).
Ici pourrait se terminer cette histoire des plus banales. Celle d'une salariée qui, sur les conseils de l'inspection du travail, refuse d'exécuter un préavis de démission auquel elle s'était engagée et ce, au détriment de son employeur.
Mais c'était sans compter sur ce professionnel pour qui la notion d'engagement n'est pas dépourvue de sens.

L'employeur demande réparation au conseil des prud'hommes
Cet employeur décide, en effet, de saisir purement et simplement le conseil de prud'hommes de Paris. Il veut que le tribunal condamne la salariée à réparer le préjudice qu'il a subi en se retrouvant du jour au lendemain avec une serveuse en moins dans sa brigade ainsi qu'à lui rem-
bourser ses frais de conseil.
Pour cela, il demande que la salariée soit condamnée à lui verser :
w un mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture ;
w 1 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sept mois après avoir saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le jour de l'audience du jugement arrive enfin. L'employeur plaide pour la condamnation de la salariée devant des conseillers, pour le moins inaccoutumés à ce type de procédure. Mais il est décidé à aller jusqu'au bout. Il explique que la salariée était tenue à l'occasion de sa démission d'effectuer un préavis d'un mois. Certes, il n'existait à l'époque aucune convention collective dans notre branche d'activité pour prévoir une telle obligation à la charge de la salariée. Mais le contrat de travail qu'elle a signé est clair. Il prévoit : "En cas de démission, vous devrez la notifier par écrit et respecter un délai congé d'un mois."
D'ailleurs, les usages dans la branche d'activité le confirmaient. Pour preuve, la jurisprudence mais aussi la convention collective nationale du 30 avril 1997 prévoient un tel préavis en cas de démission.
Pour autant, la salariée a refusé d'exécuter ce préavis. L'employeur lui a adressé 2 courriers la mettant en demeure de reprendre ses fonctions, mais en vain.
Dans ces conditions, il lui a fallu, du jour au lendemain, pourvoir le poste de travail laissé vacant par la salariée. Des frais ont été engagés, des annonces ont été publiées dans les journaux de la profession ainsi que dans des quotidiens nationaux.
Or, affirme l'employeur, en vertu de l'article 23 alinéa 6 du livre I de l'ancien Code du travail ainsi que d'une jurisprudence constante, l'employeur est tout à fait en droit d'obtenir réparation du salarié qui n'effectue pas son préavis. L'employeur produit à l'appui de ses propos une jurisprudence des plus fournies tant devant le conseil de prud'hommes de Paris que devant la cour d'appel ou la Cour de cassation. Il ajoute, au demeurant, que le contrat de travail signé par la salariée rappelait expressément ce principe : "Sauf accord exprès entre les parties, l'inobservation du délai de congé pourra donner lieu à dommages et intérêts au minimum égaux au montant du salaire restant à courir." La salariée ne pourra pas dire qu'elle n'était pas informée.
Il faut donc, selon l'employeur, condamner celle-ci à réparer ce préjudice en l'obligeant à lui payer des dommages et intérêts au minimum égaux au montant des salaires qu'elle aurait perçus en effectuant son préavis.
En défense, la salariée rappelle qu'elle est allée voir l'inspection du travail au moment de donner sa démission. Celle-ci lui aurait indiqué qu'étant payée au pourcentage service, elle n'avait aucun préavis de démission à observer.
Elle ajoute que les raisons personnelles qui auraient entraîné sa démission seraient en fait une modification substantielle de ses conditions de travail. Son employeur aurait en effet, modifié ses attributions en la déclassant à un poste de responsabilité moindre. Elle affirme que cette démission est en fait une démission forcée que le conseil des prud'hommes de Paris devra requalifier en un licenciement abusif. Elle sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de la société à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 2 mois de salaire.
La meilleure défense n'était-elle pas l'attaque ? La salariée joue son atout et l'employeur de son côté fulmine.

La salariée est condamnée à payer son mois de préavis
Sur ce, le conseil de prud'hommes de Paris prononce la clôture des débats et se retire pour délibérer. Quelques jours plus tard, il rend son jugement, condamnant la salariée à verser à l'employeur un mois de salaire à titre d'indemnité pour brusque rupture ainsi que 1 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le conseil de prud'hommes de Paris juge en effet qu'il n'est pas contestable que la salariée était tenue à l'occasion de sa démission à un préavis d'un mois, tel que prévu dans son contrat de travail. Il indique, à cet égard, que l'erreur commise par l'inspection du travail ne saurait créer un quelconque droit au profit de la salariée. Il ajoute que la lettre de démission fait état de raisons personnelles et non de quelconques arguments concernant une démission donnée sous la contrainte. Il conclut que la salariée n'a donc pas respecté ses obligations sans raison valable et qu'elle doit être condamnée pour brusque rupture.
L'employeur jubile, le conseil de prud'hommes de Paris vient, ainsi, de lui donner totalement satisfaction en prononçant la condamnation de la salariée à lui verser des dommages intérêts pour ne pas avoir exécuté son préavis.
Cette décision est importante pour deux raisons. En premier lieu, elle permettra à l'employeur, sous réserve qu'il parvienne à l'exécution de cette décision (mais là c'est un autre problème), de couvrir les frais qu'il a dû engager afin de remplacer dans la précipitation la salariée démissionnaire. D'autre part, elle aura pour effet de décourager d'éventuels candidats dans l'entreprise à partir du jour au lendemain sans effectuer son préavis.
Franck Trouet
(SNRLH)

Le préavis à respecter en cas de démission

En cas de démission, le salarié doit confirmer cette décision par écrit et respecter un délai de préavis dont la durée, sauf accord entre les parties, est fixée par la convention collective, en fonction de son statut et de son ancienneté.

                                - 6 mois 6 mois à     + 2 ans

                                                    - de 2 ans

Cadres                        1 mois    3 mois       3 mois

Maîtrise                     15 jours     1 mois        2 mois

Employés                    08 jours 15 jours   1 mois

La démission ne se présume pas
La démission doit être le résultat d'une volonté sérieuse et non équivoque de la part du salarié, d'une décision pleinement consciente, d'une volonté libre hors de toute contrainte ou pression extérieure. Si elle ne présente pas ces caractères, la démission peut être requalifiée en un licenciement par le conseil des prud'hommes.
A titre d'exemple, il a été jugé à de nombreuses reprises que l'absence du salarié à son poste de travail ne suffit pas à caractériser la volonté non équivoque de ce dernier de mettre fin à son contrat de travail en démissionnant. Un arrêt du 1er février 1995 illustre parfaitement cette jurisprudence. Dans cette affaire, une salariée demande à reprendre son poste de travail au terme d'un congé de maternité suivi d'un congé parental d'éducation. L'employeur refuse, au motif que la salariée n'avait pas présenté sa demande de congé parental en bonne et due forme, et qu'en conséquence la salariée devait être considérée comme démissionnaire. A tort, affirme la Cour de cassation : "L'absence du salarié ne constitue pas à elle seule la manifestation non équivoque de rompre le contrat de travail caractérisant la démission."

Il en est de même en cas d'absence injustifiée du salarié à l'issue de ses congés payés (Cass. soc. 20 octobre 1982), ou après une période de maladie (Cass. soc. 9 février 1989).
En conséquence, en cas d'absence du salarié, l'employeur se doit de considérer celle-ci non pas comme la preuve de la volonté de démissionner du salarié mais comme une faute passible de sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.

On ne peut compenser le préavis sur les congés payés
Si le salarié démissionne sans effectuer son préavis, l'employeur peut être tenté d'opérer, de sa propre initiative, une compensation entre le salaire qu'il aurait dû verser au salarié si celui-ci avait effectué son préavis et les salaires ou congés payés qu'il reste à devoir au salarié.
Par exemple, le salarié doit faire un mois de préavis qu'il n'effectue pas et il lui reste 3 semaines de congés payés. L'employeur peut être tenté d'imputer les 3 semaines de congés payés sur le mois de travail que lui doit son salarié, et donc ne pas payer les congés payés du salarié. Attention !
Une telle pratique est interdite.

L'article L. 144-1 du Code du travail interdit la compensation entre les salaires dus par les employeurs et les sommes dues par les salariés. En conséquence, une compensation entre l'indemnité pour non-respect du préavis et les sommes que l'employeur doit encore au salarié ne peut être opérée unilatéralement par l'employeur (Cass. soc. 9 mars 1998 Auboin et Tostain c/Esnoult). Seul un commun accord entre les parties peut organiser une telle pratique.


L'HÔTELLERIE n° 2611 Hebdo 29 Avril 1999

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