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Hôtellerie l Surcapacité hôtelière

Ne pas confondre quantité et qualité

On entend souvent dire que l'arrivée d'un nouvel hôtel dans une ville, qu'il soit indépendant ou de chaîne, a des conséquences néfastes sur l'équilibre hôtelier de la zone où il s'implante et provoque une chute immanquable des taux d'occupation. Mais la réalité n'est pas aussi manichéenne.

Le développement des chaînes intégrées et en particulier l'apparition de l'hôtellerie dite superéconomique, dans les années 1970-80, ont bouleversé le paysage hôtelier français. Jusqu'alors privilégiée, l'hôtellerie de centre-ville s'est soudain trouvée en concurrence avec des établissements modernes implantés en périphérie. L'offre créant souvent la demande, le facteur tarifaire est rapidement devenu déterminant pour le client, " qui achète de plus en plus un prix " en même temps qu'une prestation. Conséquence : beaucoup de petits hôteliers indépendants aux hôtels vétustes ont déposé le bilan. Face à cette déferlante de nouvelles chambres, les hôteliers "survivants" ont commencé à protester. Indicateur d'une surcapacité notoire, dans certaines villes les taux d'occupation commençaient à chuter sérieusement. En juillet 1996, au nom de la sauvegarde de l'emploi, les députés prennent la défense des hôteliers indépendants "étranglés" par les grandes chaînes et les établissements hyper-économiques de type Formule 1, en élargissant la loi Raffarin au secteur de l'hôtellerie. Deux ans après son application, cette loi a eu au moins le mérite de calmer les esprits, mais n'a pas pour autant freiné les développements. Du coup, les levées de boucliers sont encore légion lorsqu'un nouvel hôtel pointe le bout de son nez, comme à Strasbourg, à La Rochelle et dans bien d'autres villes.

Une surcapacité peut cacher une sous-demande

Malgré tout, il faut rester clairvoyant. La baisse de régime qu'a connu le secteur de l'hôtellerie ces dernières années n'est pas exclusivement due à l'explosion du parc hôtelier. La surcapacité hôtelière que l'on dénonce constamment cache en fait souvent une baisse de la demande de la clientèle. Il y a eu un net recul de la consommation hôtelière durant plus de 3 ans. La reprise s'est amorcée à partir du dernier trimestre 1996. Les entreprises ont fait réduire les notes de frais, la clientèle étrangère suit les jeux de yo-yo du dollar et les particuliers ont aminci leur budget loisirs. Quand on parle de surcapacité hôtelière, c'est souvent uniquement en termes quantitatifs, en comptant le nombre de chambres disponibles, alors qu'il semble souvent exister un problème qualitatif. " On en oublie qu'il y a souvent des hôtels dans un grand état de délabrement, comptés dans le parc hôtelier disponible, qu'on ne peut pas comparer avec des hôtels modernes ", dénonce Pierre Fergeaud, spécialisé dans les études de marché. " Parler de surcapacité est souvent trompeur. Interdire l'accès de nouveaux hôtels aux normes de confort actuel, est presque une insulte à la clientèle." A titre d'exemple, selon une étude réalisée en 1996, près de 39 % d'hôtels indépendants n'avaient pas engagés de travaux de rénovation depuis au moins 8 ans.

Un retard de modernité

D'une manière générale, les hôtels ont pris un grand retard de modernité. L'arrivée d'un nouvel hôtel moderne crée presque toujours une émulation et une amélioration qualitative du parc hôtelier en place. On assiste ainsi à de grands chantiers de modernisation, mais aussi à une évolution positive des comportements commerciaux des hôteliers. " Quand le premier hôtel de chaîne est arrivé à Saint-Malo, au début des années 1980, il était pratiquement le seul à proposer des chambres chauffées en hiver ! Sa force n'était pas d'être affilié à une chaîne, mais d'être moderne. Les autres hôtels ouverts à la morte saison donnaient des couvertures à leurs clients. Ils n'allumaient pas leur chaudière à cause de la faible activité. Sur les années qui ont suivi, tous les hôteliers ont rénové leurs hôtels et ont modifié leur attitude, quand ils ont vu leurs clients commencer à les fuir ", remarque cet ancien directeur d'hôtel. Ce renouvellement de l'offre permet d'assainir le marché. Les hôteliers qui ne peuvent pas s'adapter, faute de moyens mais parfois aussi faute de motivation, se retrouvent dans l'obligation de fermer. " Les vieux hôtels, le plus souvent sales et tenus par de vieux exploitants pas toujours aimables, qui vendent tout de même 200 F la chambre, sont rayés de la carte. Et croyez moi, c'est plutôt un bien pour l'image de certaines villes ! ", constate cette cliente habituée des voyages. Du coup, une ville qui voit se moderniser et s'agrémenter son hôtellerie est une destination qui peut redevenir attractive sur le plan du tourisme d'affaires et de loisirs.

Apparition d'une nouvelle clientèle

Outre ces aspects qualitatifs, l'arrivée d'un nouvel hôtel dans une ville a bien sûr d'autres répercussions sur les résultats de l'hôtellerie locale. Contrairement à ce que l'on croit, la baisse des taux d'occupation n'est pas systématiquement de mise. Souvent l'offre crée la demande, un nouvel hôtel permet d'attirer une nouvelle clientèle. Cela a souvent été le cas des hôtels superéconomiques qui n'ont pas forcément " volé " des clients à leurs confrères, mais ont touché une clientèle qui n'allait pas à l'hôtel avant, faute de moyens. A Strasbourg, les hôteliers sont légitimement inquiets à propos de l'arrivée de nouveaux projets. Mais, alors qu'entre 1989 et 1995, le parc des chambres hôtelières de la ville et de son agglomération s'est accru de 73 %, les taux d'occupation sont toujours très hauts, proches de 64 %, selon la chambre de commerce. La demande a en somme suivi l'évolution de l'offre. Autre exemple, à Aix-en-Provence, le parc hôtelier est passé de 1.710 chambres en 1990 à 2.557 chambres en 1998. Actuellement, les taux d'occupation de l'hôtellerie aixoise se situent autour de 65 % et demeurent exceptionnels. Ils font partie des meilleurs du département. Le nombre de nuitées, quant à lui, est passé de 680.000 en 1991 à 890.000 en 1997 (+ 31 %). Idem à Lyon, où le parc a augmenté de 115 % entre 1993 et 1998. Sur la même période, les taux d'occupation se sont améliorés de 5,5 points pour se situer en 1998, autour de 60 %. Cela dit, l'exemple le plus probant est celui de Poitiers. Les hôtels poitevins ont accueilli en 1997 plus de 2.300.000 de nuitées (soit près de 2 millions de nuitées supplémentaires en 10 ans) alors que le parc a progressé de 34 % entre 1987 et 1994. Pourtant, ce ne sont pas directement les visiteurs du Futuroscope qui en sont la source, car ils se composent d'une majorité d'excursionnistes, sans hébergement, mais les entreprises environnantes nouvellement implantées.

Ces villes qui déçoivent leurs hôteliers

La force de ces destinations a précisément été de réussir à créer un trafic de clientèle hôtelière par leur capacité à attirer de nouvelles entreprises génératrices de nuitées. Ce scénario idyllique n'a malheureusement pas été le cas pour toutes les villes françaises. Un exemple type est celui de Tours. Tablant sur le développement des infrastructures de transport (TGV et autoroute), sur la création d'un palais des congrès et la proximité avec Paris, de nombreux projets hôteliers ont vu le jour dans l'agglomération tourangelle. Résultats, l'arrivée du TGV à Tours ainsi que son trop fort rapprochement de Paris lui ont finalement été néfastes. Cela a provoqué la multiplication des voyages aller/retour dans la journée et a donc diminué le nombre de nuitées récupérées par les hôteliers. Par ailleurs, le Palais des Congrès n'est pas une réussite commerciale, à entendre ses détracteurs. Tours se retrouve ainsi à l'heure actuelle avec 4.000 chambres environ (+ 25 % en
8 ans) en état de surcapacité surtout dans les catégories 0/1 et 2 étoiles. La reprise économique nationale aidant, les taux d'occupation annuels de la cité tourangelle plafonnent à 50 %. Le cas de Tours n'est pas isolé en France. On pourrait citer ainsi de nombreuses villes qui ont déçu leurs hôteliers, n'ayant pas su faire croître le tourisme d'affaires et l'activité congrès-conventions. Chez elles, on peut évidemment supposer qu'il faut donner un coup de frein aux nouvelles implantations hôtelières, au moins pour ne pas jeter de l'huile sur le feu. Le débat sur les nouvelles créations hôtelières n'est donc pas aussi simple qu'il y paraît. Outre les spécificités de chaque ville qui sont à prendre en compte, le raisonnement quantitatif n'est pas le seul indicateur pour juger de la nécessité d'ouvrir ou pas un nouvel hôtel. L'aspect qualitatif est également important, surtout face à des clients qui ne laissent plus passer l'à-peu-près dans le rapport prix/prestations des établissements qu'ils fréquentent.
G. Floch


L'HÔTELLERIE n° 2606 Supplément Economie 25 Mars 1999

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