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Hôtellerie l Les investisseurs exploitants

L'hôtellerie attire toujours les non-hôteliers

Alors que l'hôtellerie est réputée pour être un milieu difficile à pénétrer, parce que le métier est contraignant et parce que les investissements sont lourds, elle attire de nombreux entrepreneurs qui ne sont pas issus du sérail. La plupart ont abandonné leur métier et se sont reconvertis pour devenir hôteliers exploitants, et souvent de très grands professionnels.

Les raisons qui poussent les investisseurs étrangers au secteur à se tourner vers l'hôtellerie sont nombreuses et variées bien que les temps changent. A la fin des années 80, l'hôtellerie était perçue comme un domaine lucratif où le retour sur investissement se faisait dans un délai relativement court et où il était possible de percevoir rapidement des profits. C'était aussi l'époque du boom des formules superéconomiques à la rentabilité extraordinaire. Cette idée a été mise à mal par la crise de 1994-95. La loi Raffarin et la suppression de la défiscalisation pour les hôteliers non exploitants en 1996 ont également découragé les spéculateurs. Il reste aujourd'hui des investisseurs devenus exploitants. C'est pour eux surtout une question de passion. Georges Terzikhan, ingénieur civil des mines de formation, s'est lancé dans l'hôtellerie à la fin de l'année 1990, après avoir été gérant d'une société d'ingeneering à l'export, spécialisée dans la livraison de chantiers clés en main. " A l'époque, je cherchais à investir et je connaissais certaines personnes qui avaient investi dans ce domaine. De plus, les études que j'avais faites montraient qu'un apport de 10 à 20 % était suffisant et qu'on pouvait rentabiliser son investissement au bout de 4 ou 5 ans. " Après avoir étudié plusieurs projets en constructions neuves ou déjà existantes, l'homme décide de racheter l'hôtel Climat de France de Cachan (44 chambres). " C'était plus rapide qu'une construction neuve et surtout l'hôtel bénéficiait d'un bon emplacement. "

Des châtelains devenus hôteliers

Approche différente pour Philippe Savry, propriétaire du groupe Les Hôtels Particuliers (12 hôtels, 3 ou 4 étoiles, de 25 à 62 chambres), qui s'est lancé dans l'hôtellerie il y a une vingtaine d'années. Passionné d'histoire et amoureux des vieilles pierres, cet ancien kinésithérapeute (après des études de pharmacie) choisit l'hôtellerie comme moyen de faire revivre d'anciennes bâtisses, parfois abandonnées, mais toutes avec une forte identité. La transformation en hôtel est la solution qu'ont adoptée certains châtelains pour sauver leur propriété ou payer la toiture à refaire.
C'est finalement aussi la passion qui pousse Jean-Jacques Trénaux à investir dans l'hôtellerie en 1987 en rachetant l'Hôtel de la Paix à Lille (36 chambres). " Je disposais à l'époque de certaines liquidités et j'ai acheté cet hôtel pour mon épouse. Nous avions des amis proches qui avaient une brasserie et qui ont démarré un petit hôtel. Nous avons vu leur expérience et ça nous a tentés ", explique cet ex-entrepreneur d'installation et de maintenance d'équipements d'air conditionné, qui a néanmoins gardé une de ses entreprises et nommé un directeur. Cet hôtel devint aussi le moyen pour Jeanne Trénaux, artiste peintre, d'exprimer sa passion pour la décoration intérieure. Ainsi, l'établissement possède aujourd'hui une collection de 250 reproductions de tableaux, " en moyenne 6 par chambre " et le mobilier est également de très grande qualité.

Des investissements énormes pour une rentabilité discutable...

Pierre Monthulé, président international des Relais du Silence a lui aussi eu la vocation sur le tard. Après avoir participé à la construction de nombreux établissements en France et dans le monde en tant que directeur d'une entreprise de menuiserie générale et de décoration intérieure, il a aménagé sa belle propriété personnelle pour en faire un hôtel-restaurant de 14 chambres, qu'il a exploité entre 1988 et 1993. " C'était pour moi le plaisir d'offrir, d'être marchand de bonheur ", confie-t-il pour justifier son choix. Nombre d'adhérents de la chaîne volontaire ont d'ailleurs exercé une autre profession avant de devenir hôteliers. Il y en a ainsi une vingtaine en France parmi lesquels un ancien professeur de français, une journaliste, un directeur de l'industrie automobile, etc. Ces investisseurs n'ont souvent pas eu froid aux yeux quand il a fallu investir de gros montants pour accéder à l'hôtellerie. Ainsi, la rénovation complète de l'Hôtel de la Paix à Lille a pris 10 ans et vient de se terminer fin 1998 pour atteindre 5 millions de francs, après un investissement de départ de 4,6 millions. " Nous avons voulu faire les choses en douceur afin de tester la perception de la clientèle face aux nouvelles chambres. Nous nous sommes fait plaisir avec cette rénovation et nous avons tenu à ce que nos chambres soient chaleureuses pour que le client se sente bien, comme chez lui. Dans certaines chambres, seule l'armoire vaut aussi cher que le montant nécessaire à la rénovation complète d'une chambre dans un hôtel de chaîne lambda ", avoue l'hôtelier. Cependant, il reconnaît qu'il n'aurait pas pu faire cela si l'hôtel avait été son unique source de revenus. " Aujourd'hui c'est rentable, mais le retour sur investissement est très long. "

La contribution des banques

Pour investir dans l'hôtellerie, il faut donc beaucoup de disponibilités financières d'autant que les banques demandent d'énormes garanties. " A peine avez vous fini de rembourser un emprunt, qu'il faut en contracter un autre pour être toujours au goût du jour et répondre aux attentes de la clientèle ", ajoute Pierre Monthulé. Propos confirmés par tous. Le seuil de rentabilité est très difficile à atteindre surtout lorsque, comme le souligne Georges Terzikhan, " la charge locative atteint 30 % du chiffre d'affaires, les taux de crédits étant de 17 % lorsqu'ils ont été signés ". Beaucoup d'hôteliers ont ainsi dû mettre la clé sous la porte, non par suite d'une mauvaise gestion, mais d'un endettement trop lourd. " L'établissement était amorti à 80 % mais la charge locative était beaucoup trop lourde à supporter. Or, comme il était très difficile d'augmenter le taux d'occupation, il fallait racheter le crédit pour baisser les charges afin d'assainir la situation. Nous avons eu énormément de mal à trouver une banque qui accepte, car elles s'attachent uniquement au résultat de l'entreprise et non au prévisionnel. S'il y a une perte, elles refusent sans analyser que celle-ci provient du remboursement des loyers. Finalement, une banque a bien voulu accepter, ce qui nous a permis de continuer " explique l'hôtelier de Cachan, qui a acheté depuis, 2 autres établissements. Mais, l'investissement financier n'est pas le seul souci du professionnel. C'est bien connu, l'hôtelier doit être constamment présent et à la disposition de ses clients. Philippe Savry fait ainsi part de sa vision de la profession : " Il faut s'investir énormément, donner beaucoup de son temps, plus qu'investir financièrement parlant ."

Le regard et le souci du client

Contre toute attente, tous ces nouveaux hôteliers ont globalement bien réussi leur reconversion. La plupart avaient déjà de très bonnes connaissances en matière de gestion, ce qui leur a énormément servi. On peut remarquer que ces nouveaux entrepreneurs ont comblé leur manque de technique hôtelière par un sens de l'accueil accru et surtout une très bonne perception des besoins de la clientèle. Leurs expériences passées en tant que clients ont généralement consolidé cette maîtrise. Aspect tout à fait perceptible par la clientèle. " Les hôteliers qui ont exercé une autre profession auparavant ont véritablement choisi leur métier par conviction et ont plaisir à l'exercer. Cela se sent. Ils ont beaucoup plus l'œil du client et sont souvent meilleurs que les autres " , observe un commercial habitué à séjourner dans les hôtels. D'ailleurs, un détail qui ne trompe pas : ils utilisent souvent le mot "hôte" pour qualifier leurs clients. Ce sens de l'hospitalité est d'autant plus perceptible dans l'hôtellerie indépendante que dans l'hôtellerie de chaîne. Les taux d'occupation moyens de ces hôtels sont tout aussi bons qu'ailleurs, " autour de 58 % " à l'hôtel Climat de France de Cachan et jusqu'à " plus de 80 % en moyenne " pour l'hôtel de la Paix à Lille. Les meilleurs résultats s'expliquent par une personnalisation très forte des établissements, ce qui est souvent la caractéristique des hôtels de ces nouveaux hôteliers venus d'ailleurs. C'est ce qui a permis de tenir en période de crise.

S'affilier à une chaîne

Philippe Savry mise par exemple sur l'accueil. " La philosophie des "Hôtels Particuliers" se résume à l'art de recevoir d'une façon traditionnelle, dans un lieu qui a une histoire. Nous proposons des prestations particulières en cultivant des sensations différentes ", dit-il. Jean-Jacques Trénaux s'attache à la décoration. " Nous voulons offrir à nos clients des chambres où ils n'aient pas le moral à zéro. Quand on est dans les hôtels 4 nuits par semaine, on apprécie particulièrement un cadre chaleureux ", se souvient-il. " Nous refusons jusqu'à 50 personnes par jour en semaine ", avance-t-il pour justifier son choix de n'adhérer à aucune chaîne. En effet, on pourrait penser que ces professionnels découvrant l'hôtellerie auraient pour obligation de s'affilier à un réseau pour compenser leur légitime méconnaissance de base. Beaucoup sont convaincus du contraire, ou simplement ont acquis une certaine maturité professionnelle pour se faire une idée précise de la situation. Ainsi, Philippe Savry réfléchit à la création d'une nouvelle chaîne volontaire, aucune ne le satisfaisant actuellement. " J'ai retiré mes établissements qui étaient adhérents à Châteaux et Hôtels Indépendants depuis le rachat de la chaîne par Alain Ducasse... ", commente-t-il. Georges Terzikhan, avec un hôtel de chaîne intégrée classique, semble avoir eu plus de difficultés. " Le taux d'occupation a commencé à chuter en 1993 et nous avons à peine augmenté les prix moyens chambre, malgré toutes les rénovations apportées. Dans ces conditions, c'était difficile d'améliorer les résultats. " Il pensait également que l'appartenance à une chaîne aurait eu une plus grande incidence sur le chiffre d'affaires. " La notoriété de la marque Climat de France me satisfait, mais j'aimerais plus de dynamisme et de présence de la chaîne en termes de marketing. " Son troisième établissement, acquis en 1998, ne sera pas un Climat de France en raison de sa trop grande proximité avec le deuxième hôtel qu'il possède. " J'ai réfléchis. J'ai décidé de faire appel au groupe Choice avec l'enseigne Comfort Hotel. Je pourrai alors comparer les résultats de mes deux franchiseurs ", explique-t-il.

Le virus du métier

Malgré les contraintes et les difficultés rencontrées dans l'hôtellerie (horaires, gestion du personnel... éternels problèmes communs à tous les membres de la profession), amplifiées lorsque l'hôtel dispose d'un restaurant, ces investisseurs se sont attachés à leur nouveau métier. Ils souhaitent en effet tous poursuivre cette activité et même la développer (sauf Pierre Monthulé qui a vendu son affaire en 1993 et envisage de quitter la présidence des Relais du Silence pour prendre enfin une retraite bien méritée). " Il faut avoir l'œil sur tout et être présent partout tout le temps, mais c'est un métier passionnant qui apporte énormément de satisfactions sur le plan humain surtout ", résume l'un d'eux. " J'ai attrapé le virus, difficile de s'en défaire. "
N. Peinnet


L'HÔTELLERIE n° 2606 Supplément Economie 25 Mars 1999

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