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Actualité juridique

Du côté des prud'hommes

Les saisonniers sous les feux de la rampe

Dossier réalisé par David Bouchet

Ces derniers temps, l'actualité concernant le travail saisonnier est particulièrement abondante. D'une part, le tribunal des prud'hommes de Paris confirme l'existence d'une saison dans la capitale. D'autre part, un rapport fait le bilan de la situation du travail saisonnier dans le tourisme et propose des solutions pour le revaloriser. Concrètement, les ANPE emboîtent le pas aux directions départementales du travail en mettant en place des programme d'échange de personnels.

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Comment justifier l'utilisation d'un contrat saisonnier ?

La conclusion d'un contrat à durée déterminée saisonnier plutôt que d'un contrat à durée déterminée classique pour surcroît d'activité n'est pas sans conséquences. L'absence de délai de carence entre 2 contrats successifs ou même de prime de précarité sont autant d'avantages qui suscitent l'intérêt de l'employeur... mais entraîne aussi des conflits avec les salariés. Ce fut le cas dernièrement devant le conseil des prud'hommes de Paris. Compte-rendu.

L'agréable brasserie qui nous occupe étale sa superbe terrasse autour d'une de ces grandes places parisiennes. Très fréquentée, elle occupe habituellement une vingtaine de salariés. Mais, en saison il lui faut encore renforcer ses rangs.
Au mois de juin, la brasserie embauche donc le salarié en question sous contrat à durée déterminée saisonnier jusqu'au mois de novembre suivant. Le contrat couché par écrit rappelle bien évidemment qu'il est "conclu pour l'accroissement temporaire d'activité que constitue la saison touristique".
Après une belle saison d'activité, le rythme se ralentit et vient le mois de novembre. Le contrat arrive à son terme. Le salarié reçoit son solde de tout compte, une attestation pour l'Assedic et un certificat de travail.
A la lecture de son solde de tout compte, il s'aperçoit que son employeur ne lui a pas payé la fameuse prime de précarité, prime de 6 % qui est normalement versée à la fin d'un contrat à durée déterminée. Il ne l'entend pas ainsi et décide de saisir le conseil des prud'hommes.

Le salarié conteste le caractère saisonnier de son contrat
Le salarié sollicite le conseil des prud'hommes pour qu'il condamne son employeur à lui verser la prime de précarité au terme de son contrat à durée déterminée. Il ajoute une demande en dommages et intérêts pour résistance abusive de l'employeur, histoire d'augmenter "l'addition".
Le salarié prétend tout d'abord qu'un de ses collègues de travail, pareillement embauché dans le cadre d'un contrat à durée déterminée saisonnier, a, quant à lui, perçu à la fin de son contrat une prime de précarité. Pour lui, il est tout à fait normal qu'il en bénéficie également.
Et puis, le salarié de poursuivre en contestant le caractère saisonnier de son contrat de travail. Pour cela, il indique qu'à Paris le préfet de police n'a pris aucun arrêté en application de l'article R 434-31 du Code de la Sécurité sociale, lui permettant de définir les périodes d'activité des entreprises saisonnières. Il en conclut qu'il n'y a pas de saison à Paris et qu'en conséquence, aucun contrat saisonnier ne peut être conclu.
Enfin et en tout état de cause, des clients et des touristes en particulier, il y en a toute l'année à Paris. Rien ne permet de délimiter une saison. Le conseil des prud'hommes doit donc lui accorder cette prime au terme de son contrat à durée déterminée.

Les saisonniers ne bénéficient pas de la prime de précarité
En défense, l'employeur ne veut pas céder. Il en fait même une question de principe. Il est vrai qu'à l'occasion de ce dossier, c'est l'importante question de la légalité d'utiliser le contrat saisonnier à Paris qui se trouve posée. L'enjeu est de taille.
En premier lieu, il conteste devoir la prime de précarité au salarié au seul motif qu'un de ses collègues en aurait bénéficié.
En effet, s'il y a bien eu versement, au dit collègue, de l'indemnité de précarité, c'est par une erreur manifeste du cabinet comptable en charge des paies. La brasserie produit d'ailleurs une attestation de l'expert comptable reconnaissant que "c'est par erreur qu'il a été versé une prime de précarité à ce Monsieur".
En effet, il n'y a pas de prime de précarité au terme d'un contrat à durée déterminée saisonnier. L'article L 122-3-4, 4e alinéa a du Code du travail précise expressément que la prime de précarité n'est pas due "dans le cas de contrats de travail à durée déterminée conclu au titre du 3° alinéa de l'article L 122-1-1 du Code du travail".
Or le 3° alinéa de l'article L 122-1-1 concerne "les emplois à caractère saisonnier".
La démonstration est quasi mathématique, il n'est prévu aucune prime de précarité au terme d'un contrat saisonnier.

Un paiement par erreur ne donne pas de droit
Puis la brasserie poursuit son argumentation. Il est de jurisprudence constante que le versement par l'employeur de sommes indues, même répétées pendant plusieurs années, ne crée aucun droit acquis au profit des salariés (Cour de cassation, chambre sociale du 14 novembre 1995).
D'ailleurs, la brasserie aurait pu, et peut toujours, réclamer à ce fameux collègue le remboursement de cette prime de précarité en application des articles 1235 et 1376 du Code civil ainsi que d'une jurisprudence également constante (Cour de cassation, assemblée plénière du 2 avril 1993 - Cour de cassation, chambre sociale du 14 octobre 1993).
Ainsi, le salarié ne peut pas se prévaloir du paiement par erreur de cette prime de précarité à son collègue pour en exiger également le bénéfice.
Il ne peut davantage prétendre à une pratique établie ou même à une discrimination à l'encontre de sa personne. En effet, si le salarié fait référence à ce collègue, il passe complètement sous silence la situation de 3 autres garçons de salle, également embauchés pendant la saison, sous contrat à durée déterminée saisonnier. Aucun de ces 3 salariés n'a perçu de prime de précarité au terme de son contrat, comme en atteste leur dernière fiche de paie ou leur attestation pour l'Assedic. Pour autant, aucun d'entre eux n'a dénoncé à ce jour son solde de tout compte régulièrement signé sans la moindre réserve.
D'autre part, la brasserie conteste l'argumentation du salarié consistant à se référer à cet article R 434-31 du Code de la Sécurité sociale.
En effet, cet article concerne le calcul des rentes versées aux salariés victimes d'accidents de travail, employés dans les entreprises connaissant des variations d'activité saisonnière. Il permet au préfet de définir les zones et les périodes pour lesquelles le calcul de la rente d'accidenté se fait sur la base d'une rémunération moyenne, indépendamment des variations saisonnières.
L'absence de décret pris par le préfet de police de Paris en application de cet article ne permet aucunement au salarié de conclure, et à l'absence d'activité saisonnière à Paris, et à l'impossibilité de conclure un quelconque contrat saisonnier.

La brasserie justifie l'utilisation de contrats saisonniers
Et pour cause, continue la brasserie, les contrats conclus avec le salarié ou bien même ses collègues de travail sont des contrats saisonniers. En ce sens et pour reprendre la définition de la circulaire DRT 18-90 du 30 octobre 1990, il s'agit de contrats conclus à l'occasion de "travaux normalement appelés à se répéter chaque année, à date à peu près fixe en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs".
En effet, la brasserie connaît de mai à novembre une activité saisonnière tout à fait caractéristique. Sur cette période, elle connaît une très forte fréquentation par une clientèle tant parisienne que touristique. La raison : sa terrasse extérieure particulièrement importante.
Une comparaison de son activité, d'une saison à l'autre, est, en ce sens, particulièrement éloquente.
En dehors de sa saison, c'est-à-dire de la mi-novembre au mois d'avril suivant, l'établissement n'offre à sa clientèle que 18 chaises en façade sur cette fameuse place. Ces chaises sont d'ailleurs davantage destinées à garnir la façade qu'à accueillir les clients. Sur sa deuxième façade, donnant sur une avenue, il n'y a même pas de terrasse. Les photos que produit la brasserie sont, à cet égard, autant de témoins incontestables.
En revanche, lors de la saison, la brasserie se dote d'une terrasse particulièrement conséquente. En façade, ce sont 48 chaises qui sont installées. Sur la deuxième 24 chaises. Et l'activité y est bien évidemment fort importante.
En effet, cette terrasse attire une clientèle parisienne qui aime à déjeuner ou à prendre un verre au soleil mais aussi, une clientèle touristique de par la proximité de nombreux sites : les bateaux mouches amarrés au pont d'Iéna, la Tour Eiffel, le palais de Chaillot avec le théâtre national de Chaillot, le musée du Cinéma, le musée de l'Homme, le musée de la Marine...
Ainsi et pour terminer cette comparaison, on peut constater qu'en haute saison, la terrasse de l'établissement est tout simplement multipliée par 4. En outre, il est tout à fait indispensable que la brasserie procède entre mai et novembre à l'embauche de salariés sous contrat à durée déterminée saisonnier. Ce sont justement 4 postes saisonniers de garçons qui sont créés, chaque année, pour couvrir l'activité de la terrasse. Les extraits du registre de répartition du pourcentage service, sur lesquels figure l'ensemble du personnel affecté au service de la clientèle, font apparaître cette augmentation des effectifs de mai à novembre.
Le tableau récapitulatif de l'évolution du nombre des emplois au sein de l'établissement dessine une courbe croissante des effectifs de mai à novembre.
Or, insiste la brasserie, c'est justement ces variations d'effectif qui, selon le ministère du Travail, sont la preuve du caractère saisonnier des dits emplois. Dans ces conditions, elle demande au conseil des prud'hommes de conclure au caractère saisonnier du contrat à durée déterminée signé avec le salarié et le débouter de ses demandes.

La décision des prud'hommes
Après en avoir délibéré, le conseil des prud'hommes de Paris rend une décision fort intéressante. Il déboute le salarié de sa demande en paiement de la prime de précarité (ainsi que de dommages et intérêts, cela va de soit).
Le conseil des prud'hommes confirme en premier lieu que le salarié ne peut tirer aucun droit du versement par l'employeur de sommes sous le coup d'une erreur.
Par la suite, il affirme, et c'est là l'essentiel de cette décision, qu'un contrat à durée déterminée saisonnier peut être conclu, à Paris dans le cas présent, dès lors que l'employeur est en mesure de prouver qu'il lui faut embaucher du personnel supplémentaire afin de faire face à une augmentation cyclique de son activité due au climat ou aux modes de vie de ses clients.
Si cette décision n'est pas primordiale au regard du montant des demandes du salarié, force est de souligner son importance sur le plan du principe.
F. TROUET
SNRLH

Que prévoient les articles 1235 et 1376 du Code civil ?

Article 1235 du Code civil : "Tout paiement suppose une dette : ce qui à été payé sans être dû est sujet à répétition."
Article 1376 du Code civil : "Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu."
La combinaison de ces 2 articles signifie que :
n si l'on reçoit une somme sans que celle-ci soit due et qu'il ne s'agit pas d'un don, cette somme peut faire l'objet d'un remboursement ;
n la personne qui a reçu sans raison devra rembourser même si elle est de bonne fois.

 


Le climat peut justifier l'emploi de saisonnier.


L'HÔTELLERIE n° 2606 Hebdo 25 Mars 1999

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