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Baux commerciaux

Comment conclure un bail de moins de 9 ans ?

Baux de courte durée, convention d'occupation précaire, location saisonnière sont des contrats qui dérogent au régime protecteur des baux commerciaux. Ils ont en règle générale une durée inférieure à 9 ans, ne bénéficient pas du droit à la propriété commerciale, ni du droit au renouvellement et encore moins au paiement d'une indemnité d'éviction en cas de non-renouvellement. En pratique on les confond souvent. Comment les différencier et dans quelles circonstances peut-on les utiliser ?

par E. Duroux Avocat au barreau de Paris

Les circonstances peuvent conduire un propriétaire à ne pas vouloir louer son local commercial pour une durée trop longue. Il a le choix entre trois types de contrats qui lui permettent d'échapper au régime très protecteur des baux commerciaux, et donc d'une durée minimum obligatoire de 9 ans. Un locataire peut lui aussi de son côté être intéressé par un contrat de courte durée qui ne l'engage pas trop longtemps. Mais pour être valable, ces baux doivent respecter des conditions imposées soit par la loi ou la jurisprudence. Le non-respect des règles a pour sanction de soumettre le bail au régime du droit commun des baux commerciaux.

Les baux de courte durée

Il s'agit de baux conclus pour une durée maximum de deux ans. L'article 3-2 du décret de 1953 prévoit ce type de contrat. En effet, cet article précise : "Les parties peuvent, lors de l'entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent décret à la condition que le bail soit conclu pour une durée égale au plus à deux ans. Si à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par le présent décret. Il en est de même en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local."

Pour échapper au statut protecteur des baux commerciaux, le bail de courte durée doit respecter les conditions suivantes :
w ce bail doit être conclu par écrit ;
w la durée prévue dans le bail ne peut être supérieure à 2 ans ;
w le bail doit être conclu lors de l'entrée dans les lieux du locataire ;
w la volonté de déroger au régime des baux commerciaux doit être claire et non équivoque. Il est recommandé de le mentionner expressément dans le contrat.

Dans le cas d'un bail de courte durée, il n'est pas nécessaire d'avoir de motif spécifique pour le conclure. Il faut simplement la volonté des parties de placer le contrat de bail en dehors des dispositions du décret.
L'usage s'est instauré dans la pratique, mais sans aucun fondement légal, de signer des baux de 23 mois, souvent intitulés "bail précaire", d'où le risque de confusion avec les conventions d'occupation précaires qui répondent à d'autres critères de validité.
Aux conditions posées par l'article 3-2 du décret, la jurisprudence a dégagé les principes suivants.
Le renouvellement ou la prorogation d'un bail de courte durée, même si la durée du bail renouvelé ou prorogé n'excède pas 2 ans, entraîne sa transformation en bail commercial 3/6/9 soumis au statut. Ce qui veut dire que la dérogation au statut n'est possible que pour le premier contrat conclu. A partir du moment où le bail est renouvelé, il est soumis au décret de 1953, et ce même si la durée cumulée des deux contrats est inférieure à 2 ans.
A l'expiration du contrat, le locataire doit quitter les lieux.
Le bailleur doit manifester son intention de mettre fin au bail à son échéance avant son expiration en notifiant un congé par acte d'huissier ou lettre recommandée.
Si le locataire reste dans les lieux, le bailleur doit manifester de façon non équivoque ses intentions (sommation de quitter les lieux, procédure d'expulsion, refus de percevoir les loyers).
Lorsqu'il est resté dans les lieux à l'expiration du bail dérogatoire, le locataire peut demander le bénéfice du statut des baux commerciaux, même s'il n'est pas immatriculé pour le local en question. Le locataire aura donc un bail de 9 ans. Par contre, si ensuite le locataire veut obtenir le renouvellement du bail à la fin des 9 ans, à ce moment-là il devra être immatriculé pour pouvoir bénéficier du droit au renouvellement de son bail.

Le locataire renonce au statut
Il est possible pour le locataire et le propriétaire de conclure un nouveau bail de courte durée qui ne soit pas soumis au statut des baux commerciaux, si le locataire renonce expressément à ce statut protecteur. Cependant, il faut faire très attention, car en pratique cette situation peut être qualifiée de fraude à la loi, et le locataire pourra alors demander à bénéficier d'un bail commercial de 9 ans. Pour que le nouveau bail reste dérogatoire, il faut qu'il remplisse les conditions suivantes :
w le nouveau bail ne peut être conclu que postérieurement à l'expiration du premier ;
w le locataire doit clairement renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux après l'échéance du premier bail dérogatoire.
Dans cette hypothèse, il est conseillé d'insérer une clause du style : "Le locataire a parfaite connaissance que la conclusion de ce nouveau bail lui donne droit au statut des baux commerciaux, mais qu'il y renonce expréssement. Par conséquent ce bail est exclu du statut sur les baux commerciaux."
En outre, cette renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux doit être postérieure. En effet, la renonciation faite antérieurement à l'échéance contractuelle du bail dérogatoire d'origine est nulle, le locataire n'ayant aucun droit acquis.

La renonciation au statut n'a pas été acceptée
Dans un arrêt rendu le 4 septembre 1997 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence les faits étaient les suivants :
Le bailleur a consenti à la société locataire un bail précaire d'une durée de 23 mois commençant le 15 mai 1988 et finissant le 15 avril 1990.
Avant l'expiration de ce bail, les parties signent le 21 mars 1990 devant notaire un nouveau bail précaire de 23 mois avec effet rétroactif du 15 mai 1989 et se terminant le 15 avril 1991.
Dans ce deuxième bail figure la clause suivante : "Le preneur déclare expressément qu'il a parfaitement connaissance des dispositions de l'article 3-2 susvisé et qu'il a la volonté commune avec le bailleur de déroger au statut de la propriété commerciale résultant du décret de 1953..."

La cour d'appel motive ensuite sa décision comme suit :
En droit, la renonciation du locataire au bénéfice du statut doit répondre à une double condition :
1. Elle doit être expresse ou résulter d'actes manifestant sans équivoque l'intention de renoncer.
2. Elle doit être postérieure à l'expiration du bail de courte durée initiale sans quoi elle est inopérante car, ne portant pas sur un droit né et acquis.
Or, dans cette affaire, le bail dérogatoire initial expirait le 15 avril 1990, et c'est le 21 mars 1990, c'est-à-dire avant l'échéance contractuelle et pendant la durée de ce bail, qu'est intervenue la renonciation. A la date du 21 mars 1990, le locataire n'avait donc aucun droit acquis et la renonciation anticipée au statut est par conséquent nulle, peu importe l'effet rétroactif du 2e contrat qui n'est destiné qu'à frauder la loi, et notamment l'article 3-2 du décret de 1953, ce qui ne permet pas sérieusement de soutenir que la renonciation alléguée est non équivoque.
En conséquence, le locataire peut légitimement prétendre bénéficier d'un bail commercial pour la période allant du 15 avril 1990 au 15 avril 1999.
Le juge peut également considérer dans certaines circonstances que le renouvellement successif de baux de courte durée est nul comme constituant une fraude à la loi.
C'est ce qu'a considéré la Cour de cassation dans une décision du 9 février 1994 relevant "que la succession de baux dérogatoires de courte durée consentis en alternance à Mme X et à des tiers, agissant comme prête-noms, dont Mme Y, alors que la locataire restait dans les lieux depuis 1979, payait les loyers, les impôts, l'électricité, l'assurance, était inscrite au répertoire des métiers puis au registre du commerce, n'avait pour but que de faire échec à l'application du statut des baux commerciaux dont Mme X pouvait bénéficier et révélait que cette fraude interdisait aux bailleresses de prétendre que Mme X avait valablement renoncé à un droit acquis".
Le bénéfice de l'application du statut des baux commerciaux est une arme à double tranchant et peut également être invoqué par le bailleur (si le locataire est resté dans les lieux à l'expiration du bail de 2 ans), pour empêcher le locataire de quitter les lieux avant l'expiration d'une période triennale ou à tout le moins d'obtenir le règlement des loyers jusqu'à l'expiration de cette période.
C'est ce que la jurisprudence a affirmé dans plusieurs décisions et notamment la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 4 juillet 1995.

 

Les conventions d'occupation précaire

Ce contrat s'est développé pour les besoins de la pratique et a été entériné par la jurisprudence.
Le critère essentiel de cette convention est sa nature précaire et la possibilité de la révoquer à tout moment. Ce caractère précaire dépend le plus généralement d'un événement extérieur et indépendant de la volonté des parties.
Une convention d'occupation précaire pourra ainsi être notamment conclue pour des locaux situés dans un immeuble devant prochainement être démoli, reconstruit, transformé ou exproprié.
C'est le cas également des conventions d'occupation portant sur des locaux ou des terrains faisant partie du domaine public.
Les autres critères permettant selon la jurisprudence de caractériser une convention d'occupation précaire échappant au statut du décret du 30 septembre 1953 sont :
w un loyer ou une redevance inférieur au loyer qui serait normalement payé pour des locaux équivalents ;
w l'absence ou la modicité du dépôt de garantie versé ;
w le fait que les lieux sont occupés pour une durée limitée à titre de simple dépannage provisoire.
Une convention, même si elle dure plusieurs années, est susceptible de demeurer une convention d'occupation précaire, non soumise au décret du 30 septembre 1953 et ce, tant que subsiste le motif de précarité.

Le critère de précarité
Dans un arrêt du 25 avril 1990, la Cour de cassation retient la qualification de convention d'occupation précaire en relevant que "l'autorisation d'installation moyennant un prix modique concernait un emplacement distinct de celui pour lequel un permis de construire avait été obtenu et que les parties avaient conscience du caractère aléatoire de l'occupation qui devait prendre fin en cas d'édification d'une construction définitive...".
Dans une autre décision rendue le 21 mars 1990, la Cour de cassation retient encore la qualification de convention d'occupation précaire pour les motifs suivants : "Attendu qu'après avoir, procédant à la recherche de la commune intention des parties, retenu que le bailleur, envisageant la démolition de son immeuble à brève échéance, n'avait consenti qu'à une remise de jouissance des locaux pour une période limitée à 21 mois, renouvelée, mais avec faculté de résiliation à tout moment, les locataires n'avaient pu ignorer la fragilité de leur installation dans l'immeuble de leur bailleur et espérer y créer un fonds de commerce."
Dans un arrêt du 3 juin 1992, la Cour de cassation retient : "En raison de la surface et de l'emplacement exceptionnel du local, un bail n'aurait pu être conclu sans le versement d'un pas-de-porte d'un montant très élevé. N'étant pas assuré de la rentabilité de cet investissement, le gérant de la société concernée, qui n'était pas certain du succès de son installation sur une des plus belles artères de la ville, avait préféré la formule de l'occupation précaire, les parties ayant manifesté leur ferme intention de ne pas se lier dans les termes du décret du 30 septembre 1953, en précisant dans leurs conventions que l'autorisation d'occuper les lieux était donnée à la société à titre précaire et révocable, moyennant une redevance forfaitaire."
Dans une décision rendue le 31 mai 1991 par la cour d'appel de Paris, les faits étaient les suivants : quatre conventions précaires successives de 23 mois chacune avaient été consenties par le bailleur, à une société mère puis à trois de ses filiales.
Les premiers juges avaient estimé que la société mère locataire avait acquis le bénéfice d'un bail de 9 ans soumis au décret du 30 novembre 1953.
La cour d'appel de Paris infirme cette décision en retenant que le loyer de ces conventions était à un montant très bas, s'expliquant par le désir du bailleur de reprendre la disposition des locaux dans un court délai, dès que s'ouvrira pour lui l'opportunité de continuer la construction d'un garage, actuellement inachevé, voire de le vendre dans son état actuel.
A l'inverse, dans un arrêt du 12 juin 1996, la Cour de cassation a annulé et requalifié une convention d'occupation précaire qui avait été conclue pour une durée de 15 mois entre le propriétaire des murs, qui était en même temps le vendeur du fonds de commerce, et l'acquéreur du fonds de commerce.
Le bailleur, vendeur du fonds de commerce faisait valoir qu'une promesse de vente des murs avait parallèlement été signée ce qui justifiait la conclusion d'une convention d'occupation précaire.
Cette nullité est motivée par les dispositions de l'article 16 du décret qui prévoit que "le propriétaire... qui, en même temps qu'il est le bailleur des lieux est le vendeur du fonds de commerce qui y est exploité et qui a reçu le prix intégral, ne peut refuser le renouvellement qu'à la charge de payer l'indemnité d'éviction...".

Les locations saisonnières

Il s'agit essentiellement des locations consenties pendant les périodes de vacances estivales et hivernales dans des localités à vocation touristique. La location saisonnière se caractérise principalement par la faculté pour le propriétaire de reprendre les locaux entre deux saisons.
Ces locations sont exclues du statut des baux commerciaux. Le dernier alinéa de l'article 3-2 du décret de 1953 précise que le statut ne leur est pas applicable même en cas de tacite reconduction, de renouvellement amiable ou de conclusion d'un nouveau bail.
Ainsi, une location saisonnière pourra faire l'objet de renouvellement successif de saison en saison entre le bailleur et le preneur sans que le locataire puisse bénéficier du statut des baux commerciaux.
Toutefois, il convient de faire la distinction entre une location saisonnière et une exploitation saisonnière.
La location purement saisonnière sera consentie par exemple de mai à septembre pour une activité de location de planches à voile ou de bicyclettes dans une station de plaisance. Le locataire ne payant un loyer au propriétaire que pendant cette période, débarrassant les lieux et restituant les clefs au propriétaire en fin de saison.
A l'inverse, une exploitation saisonnière pourra s'exercer dans le cadre d'un bail commercial classique si le locataire règle le loyer et garde la jouissance des lieux tout au long de l'année.
Entre ces deux cas de figures, une location prétendument saisonnière pourra être requalifiée par le juge de bail commercial soumis au statut en fonction de l'appréciation des éléments de fait propre à chaque affaire.
Ainsi, ce pourra notamment être le cas lorsque le locataire soi-disant saisonnier conserve du matériel ou des marchandises entreposés dans les lieux tout au long de l'année et qu'il garde l'accès des locaux à discrétion.
A titre d'exemple, dans une décision du 15 janvier 1992, la Cour de cassation a considéré qu'une location qualifiée de saisonnière était en fait un bail soumis au statut dans la mesure où le locataire conservait les clés des locaux, y entreposait son matériel, réglait les charges locatives, l'abonnement de téléphone et d'électricité pour toute l'année.

Ne confondez pas ces trois contrats

Bail de courte durée
Ce contrat se caractérise par :
w Un bail écrit et conclu lors de l'entrée dans les lieux du locataire
w Une durée maximum de 2 ans
w Une volonté claire et non équivoque de déroger au régime des baux commerciaux
w Une impossibilité de renouveler ou de poursuivre par tacite reconduction le contrat.

Convention d'occupation précaire
Pour être valable, ce contrat doit remplir les critères suivants :
w Fragilité du droit de l'occupant, qui se traduit par la possibilité de révoquer à tout moment le contrat
w Il doit exister un motif légitime de précarité, qui est extérieur et indépendant de la volonté des parties
w En contrepartie, le propriétaire doit demander un loyer inférieur à celui qui serait demandé pour des locaux équivalents
w Occupation des lieux pour une durée limitée à titre de dépannage provisoire.

Locations saisonnières
Les caractéristiques de ce contrat sont :
w Etre conclu pour une période déterminée de quelques jours, semaines, voire une saison
w Ne pas donner une utilisation continue des lieux au locataire, qui devra rendre les clés au propriétaire entre chaque contrat, retirer son matériel. Le locataire ne paye les charges que pendant l'utilisation du local et non pas annuellement.

Attention : le non-respect des caractéristiques d'un de ces contrats se traduit par la requalification en bail commercial bénéficiant du statut protecteur des baux commerciaux.


L'HÔTELLERIE n° 2604 Hebdo 11 Mars 1999

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