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Michelin 99

dans l'Aubrac...

Michel Bras, autodidacte et atypique

Enfin ! Attendu depuis plusieurs années, le couronnement de Michel Bras a été confirmé lundi par Bernard Naegellen. Le chef de Laguiole obtient une consécration que beaucoup d'observateurs programmaient depuis de longues années.

C'est une grande maison sur une colline d'où la vue se perd sur l'Aubrac, tout près de Laguiole où tout a commencé dans les années soixante-dix.
Depuis trente ans, s'ils ont fait une longue route ensemble, Michel et Ginette Bras n'ont finalement parcouru que... six kilomètres pour bâtir en 1992 une maison qui leur ressemble. A 1 225 mètres d'altitude, entouré de pâtures, l'hôtel-restaurant portant le nom du chef reste un lieu privilégié.
Parce qu'entre l'envie de "faire du fric" ou de vivre, tout simplement, Michel Bras a opté pour la deuxième solution, il est toujours resté chez lui. Et jadis, parce qu'il s'ennuyait parfois à l'école où il n'était bon qu'en maths, il a opté pour la cuisine.
Point de parcours prestigieux ou d'étapes d'épate pour Bras... mais les fourneaux de sa mère qui, dans un coin perdu de l'Aveyron, proposait à ses clients une "cuisine de nécessité". Celle qu'elle a apprise à son fils et qu'il a sublimée.
"Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé", dit-il en citant Renan. Parfois, au détour de la conversation ou d'un exposé peaufiné pour les élèves des écoles, il aime ainsi à citer des phrases qui l'ont ému. *
"La tradition est un mouvement perpétuel. Elle avance, elle change, elle vit. La tradition vivante se rencontre partout, efforcez-vous de la maintenir à la manière de votre époque", dit-il encore en référence à Jean Cocteau.
Loin des courants et des modes, Michel Bras a suivi son chemin. Découvert par Henri Gault et Christian Millau, étoilé par Michelin, encensé enfin par quelques chroniqueurs au discours élogieux.
Cela n'a rien changé ou presque. Ses complices - Régis Saint-Géniez, "animateur d'équipe" depuis 16 ans et Serge Calderon, directeur de salle depuis 9 ans - sont les mêmes. Et Sébastien Bras, qui seconde son père en cuisine, et Véronique son épouse qui épaule sa belle-mère en salle, ont naturellement intégré la maison en temps et heure...
"Nous avons envie d'exister tels que nous sommes", glisse parfois Michel Bras qui, dans ce coin perdu de l'Aveyron, sait ce qu'il a pu donner à sa passion.
S'il reçoit son troisième macaron comme une récompense qui lui "fait plaisir" et lui fait "chaud au cœur pour Laguiole et pour l'Aveyron", il n'aurait garde d'oublier que "les plus belles étoiles ont été décernées, au fil des années, par tous ses clients" qui lui ont permis d'exister.
"Je suis heureux que le guide Michelin démontre ainsi que les cuisiniers comme moi peuvent perdurer loin des centres routiers et urbains. Cette troisième étoile est comme un clin d'œil à tous ceux qui vont au bout de leurs idées sans s'aligner sur les standards. On ne s'est jamais posé la question de plaire ou de ne pas plaire. On est comme on est", dit encore ce "coureur de collines" qui part à la recherche des émotions vraies d'un terroir avec qui il entend vivre en phase.
"Mon terroir, je l'ai rencontré. Notre pays est un désert et il faut se raccrocher à soi. Le produit n'est pas le seul code d'accès à la création. C'est une question de communion et, même si elle a pu évoluer au fil des années, j'ai toujours proposé une cuisine en complète harmonie avec mes idées. Ce qui compte dans la vie d'un cuisinier, c'est d'exister par ce qu'il est, sinon il y a fausse note au niveau de la création."
Ce qu'il est, c'est donc ce terroir de l'Aubrac, ces herbes découvertes au hasard de ses longues balades, ce long apprentissage nourri jour après jour. "Il faut d'abord se décider en faveur de son propre esprit et de son propre goût. Il faut ensuite prendre le temps et le courage d'exprimer toute sa pensée à propos du sujet choisi. Il faut enfin tout dire simplement en se fixant pour but non les charmes, mais la conviction", ajoute-t-il, citant cette fois Francis Ponge, le poète français.
A Laguiole, où personne en cuisine ne l'appelle chef mais... Michel, le restaurant n'ouvre ses portes que sept mois de l'année, du début avril à la fin octobre. Et chaque année, Bras retrouve invariablement 70 % du personnel. "J'attache une grosse importance aux relations avec les hommes. Chef poserait une distance qui ne me convient pas. Je n'ai jamais imaginé aller vivre ailleurs, même si le pays se désertifie."
La récompense est donc arrivée. "Tout ça me fait un peu peur", confiait-il à propos des rumeurs circulant sur cette étoile qui, immanquablement, devait tomber sur sa maison de l'Aubrac. Après la confirmation donnée lundi avec la sortie du guide le plus attendu de l'année, Michel Bras et les siens ont pu savourer leur triomphe. En toute simplicité...
J.-F. Mesplède


Michel Bras avec Ginette son épouse et Angèle sa mère.

Il était une fois... Laguiole

Au cœur de l'Aubrac, dans le département de l'Aveyron, Laguiole est une petite bourgade de 1 200 habitants, à 550 kilomètres de Paris, à deux heures de Clermont-Ferrand (!), à trois de Toulouse et de Montpellier.
C'est en 1965 - l'année où Michel Bras réussit son CAP - que Lou Mazuc (N.D.L.R. : c'est le nom occitan donné aux burons, les petites maisons des pâtures) apparaît pour la première fois au Michelin, avec deux couverts signalant un restaurant de "bon confort".
Au début des années 50, Angèle et Marcel Bras, les parents de Michel, avaient transformé l'épicerie-bistrot du village... où leur fils, passionné de photo et d'informatique, les a épaulés depuis 1962.
Pour Michel Bras, la première référence gastronomique notable est le 15 assorti de toques rouges attribué en 1978 par Gault Millau à un chef autodidacte et atypique, qui "cuisine comme il vit".
En 1982, Michelin lui attribue sa première étoile, la deuxième vient cinq ans plus tard.


L'HÔTELLERIE n° 2603 Hebdo 4 Mars 1999

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