Bernard Naegellen
L'Hôtellerie :
Quel jugement portez-vous sur ce guide, le dernier avant l'an 2000 ?
Bernard Naegellen :
Peut-être peut-on dire que c'est le guide du renouveau. Tout simplement parce que depuis
5 ou 6 ans, c'est la première fois que nous avons un compte positif dans l'adjonction
d'étoiles (N.D.L.R. : 33 nouveaux une étoile contre 26 qui la perdent). Il y a
également davantage de Bibs gourmands signalant des repas soignés à prix modérés
(N.D.L.R. : Pour la première fois cette notion est étendue à Paris et sa banlieue ou 35
des 508 Bibs sont recensés) et nous avons 700 nouveaux établissements. Je crois que l'on
peut mettre cette inversion de tendance sur le compte des affaires qui reprennent. A Paris
par exemple, le Bib gourmand récompense une nouvelle génération de jeunes chefs. Je
pense en particulier Au Bon Accueil, à L'Avant Goût ou à l'Anacréon qui sont des
néo-bistrots, c'est-à-dire des restaurants simples où l'on pratique un très bon
rapport qualité/prix, avec une cuisine créative et dans une ambiance conviviale. Ces
chefs sortent souvent de maisons étoilées. Leur démarche est intéressante car ils
savent utiliser des produits simples en restant dans des prix raisonnables...
L'H. :
Cette notion de prix est toujours très importante pour le guide Michelin...
B. N. :
Effectivement, nous nous attachons à trouver des adresses de restaurants sympathiques,
d'hôtels familiaux ou de petites auberges qui sortent de l'ordinaire.
L'H. :
Globalement pourtant, le nombre des établissements recensés est en baisse depuis
quelques années (1). Comment le justifiez-vous ?
B. N. :
Disons que nous sommes pris entre deux feux, avec le souci de donner de nombreuses
adresses en maillant bien la France et de trouver des établissements d'un bon rapport
qualité/prix. Nous sommes confrontés au lecteur qui veut la quadrature du cercle (sic),
avec accueil, convivialité et professionnalisme sans payer cher... ce qui ne marche pas
toujours ensemble. Nous savons bien que pour pouvoir investir, il faut aussi faire payer.
Notre souci est de signaler un maximum d'établissements, du plus simple et plaisant
possible au plus luxueux. Nous butons toujours sur ce problème du prix : jusqu'où
peut-on aller le plus bas possible en respectant nos critères, dont le plus important
reste la propreté. Ce n'est pas une légende : nos inspecteurs visitent les cuisines et
font ouvrir les frigos...
L'H. :
Beaucoup d'hôteliers et de restaurateurs rêvent de figurer dans le guide. Etes-vous
conscient de cette attente et existe-t-il une recette ?
B. N. :
Il faut que l'établissement réponde à la demande d'une certaine clientèle. Notre
objectif a toujours été tourné vers la satisfaction du lecteur dont nous sollicitons la
réaction. Bon an, mal an, nous recevons 23 000 à 24 000 lettres. C'est un baromètre
très important et le courrier confirme à 80 % la satisfaction quant aux établissements
cités dans le guide. Si un établissement récolte davantage de critiques que de
satisfecit, c'est qu'en général il s'y passe quelque chose. Nos inspecteurs vont alors
sur place... et ils confirment souvent le sentiment général.
L'H. :
Alors qu'auparavant il y avait régression du nombre d'établissements étoilés, on
retrouve sensiblement le chiffre de l'année dernière (N.D.L.R. : 500 en 99 contre 496 en
98) avec, au sommet, Michel Bras...
B. N. :
C'est très positif et traduit, une fois encore, une reprise de l'activité. Il y a
longtemps que nous n'avions pas eu autant de deux étoiles à proposer... Au niveau des
trois étoiles, on donne toujours du temps au temps, on laisse mûrir les gens. Peut-être
Michel Bras devait-il absorber son déménagement ? Je peux vous assurer que le fait de
n'ouvrir que sept mois de l'année n'a jamais joué, il y a des exemples dans le passé
pour le confirmer. Avec les frères Pourcel en 1998 et Bras cette année, on peut dire que
c'est l'artisanat récompensé... par rapport à Ducasse par exemple où c'est
l'organisation. Nous aimons bien ce genre de maisons.
L'H. :
André Michelin a écrit que le guide 1900 "naissait avec le siècle et
durerait autant que lui". Et après ? Et sous quelle forme ?
B. N. :
Même si je n'ai aucune certitude en la matière, je crois à une tacite reconduction
pour... un siècle ! Dans l'esprit, faire un guide en toute indépendance, en allant sur
place et en payant est la meilleure façon de donner des renseignements fiables. Dans le
siècle prochain, nous devrons nous en tenir à ce principe et l'indépendance absolue
sera toujours la valeur ajoutée du guide Michelin...
L'H. :
En serez-vous toujours le directeur, car certains évoquent votre retraite ?
B. N. :
Oui ? C'est une bonne chose, mais pour le moment ce n'est pas programmé et j'espère
être encore en face de vous à la sortie du guide 2000.
Propos recueillis par J.-F. Mesplède
(1) Le chiffre décroît cependant depuis quelques années : 10 319 en 1995 (3 912 restaurants et 6 407 hôtels) ; 10 012 en 1996 (3 858 restaurants et 6 154 hôtels) ; 9 815 en 1997 (3 850 restaurants et 5 965 hôtels) ; 9 652 en 1998 (3 885 restaurants et 5 767 hôtels) ; 9 688 en 1999 (4 025 restaurants et 5 663 hôtels).
En chiffres9 688 établissements sélectionnés : 5 663 hôtels et 4 025 restaurants dont 500
obtiennent les "étoiles de bonne table" (21 à trois, 74 à deux, 405 à une)
et 509 le fameux Bib gourmand signalant des repas soignés à prix modérés... |
L'HÔTELLERIE n° 2603 Hebdo 4 Mars 1999