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Actualité juridique

Du côté des Prud'hommes

Inaptitude physique
du salarié
: de nouvelles précisions

A l'occasion de deux arrêts très importants en date des 15 et 16 juillet 1998, la Cour de cassation vient d'apporter de nouvelles précisions concernant la procédure à adopter ainsi que les droits des salariés en cas d'inaptitude physique

au poste de travail.

La necessite de deux examens auprès
de la medecine du travail

La première affaire concerne un manutentionnaire-plongeur. Après 30 années de bons et loyaux services, il est déclaré par le médecin du travail "définitivement inapte à son poste de travail et à tout emploi dans l'entreprise".

Sur la base de cet avis médical, l'employeur décide alors de procéder immédiatement au licenciement du salarié pour inaptitude physique. Le salarié est en effet inapte à tenir l'emploi de manutentionnaire-plongeur qui est le sien. Au surplus, aucun reclassement dans l'entreprise n'est envisageable, aucun poste n'est finalement compatible avec son état de santé.

Après avoir pris conseil auprès de l'inspecteur du travail, le salarié décide cependant de saisir le conseil de prud'hommes. Il entend obtenir purement et simplement l'annulation de son licenciement. Selon lui, le médecin du travail aurait dû, avant de le déclarer définitivement inapte, le recevoir à l'occasion de 2 examens médicaux espacés chacun de 2 semaines. A défaut d'avoir respecté cette obligation, l'employeur n'avait pas le droit de le licencier. Son licenciement doit être déclaré nul.

Le conseil de prud'hommes puis la cour d'appel déboutent successivement le salarié de sa demande. Selon la cour d'appel, l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail ne laissait à l'employeur aucune autre solution que de procéder au licenciement du salarié.

Le salarié n'abandonne pas. Il décide de se pourvoir en cassation et la Cour suprême lui donne finalement satisfaction (Cass. soc. 15 juillet 1998 SA Laboratoire Soludia c/ Mestdagh)

La Cour de cassation affirme sur le fondement de l'article R 241-51-1 du Code du travail que la déclaration d'inaptitude du salarié ne peut intervenir - sauf dans le cas d'urgence où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé, sa sécurité ou celle des tiers - qu'après 2 examens médicaux effectués auprès de la médecine du travail et espacés de 2 semaines.

Le manutentionnaire-plongeur n'ayant été reçu à la médecine du travail qu'à l'occasion d'un seul examen médical, il ne pouvait donc pas y avoir déclaration d'inaptitude physique du salarié au sens du Code du travail. En conséquence, l'employeur ne pouvait pas tirer argument de l'état de santé du salarié pour procéder à son licenciement.

Puis la Cour de cassation tire les conséquences de cette première affirmation. Faisant référence à l'article L 122-45 du Code du travail qui interdit - sauf inaptitude physique déclarée - tout licenciement en raison de l'état de santé, elle déclare le licenciement du salarié comme reposant sur un motif interdit.

La Cour de cassation prononce la nullité pure et simple du licenciement du manutentionnaire- plongeur.

Celui-ci se voit ainsi reconnaître le droit à retrouver son emploi (alors même qu'il est inapte !) ainsi qu'au versement de ses salaires entre la date de notification de son licenciement pour inaptitude physique et la date de sa réintégration.

Deux enseignements majeurs doivent être tires de cette decision

En premier lieu, aucune déclaration d'inaptitude physique du salarié ne peut intervenir sans que l'employeur ait pris soin de soumettre le salarié à deux examens médicaux auprès de la médecine du travail, examens espacés chacun de deux semaines. A cet égard, il est important de rappeler que l'article R 241-51-1 du Code du travail exige également une étude du poste de travail du salarié et des conditions de travail dans l'entreprise par le médecin du travail. Il prévoit même, le cas échéant, des examens complémentaires à la demande du médecin du travail, comme le dépistage de maladies dangereuses pour l'entourage du salarié.

Autant dire que l'inaptitude du salarié à son poste de travail ne peut intervenir qu'après une procédure particulièrement pointue que devront respecter de concert, l'employeur et son médecin du travail. A défaut, et c'est le second enseignement de cet arrêt, le salarié pourra sur le fondement de l'article L 122-45 du Code du travail obtenir l'annulation nette et catégorique de son licenciement. En ce sens, l'employeur et lui seul (le médecin du travail jouissant dans la pratique d'une quasi-"immunité") sera condamné à réintégrer le salarié et à lui payer l'ensemble des salaires perdus.

Le paiement de la remuneration entre
les deux examens medicaux

Reste, dans le cas de la déclaration d'inaptitude physique du salarié, à répondre à une question subsidiaire mais pour autant très importante. Le salarié peut-il, dans l'attente du deuxième examen médical devant aboutir à sa déclaration d'inaptitude, prétendre au paiement de sa rémunération et ce alors même que le plus souvent il est déjà inapte à occuper ses fonctions ?

C'est à cette question que la Cour de cassation s'efforce de répondre dans le second arrêt (Cass. soc 16 juillet 1998 Desroches c/ Coopérative Atlantique). En l'espèce, une femme de ménage est déclarée à l'occasion d'une visite annuelle : "apte, sous réserve d'éviter les travaux pénibles et la station debout prolongée".

Sur la base de cet avis d'aptitude réduite, l'employeur refuse à la salariée son poste de travail. Il engage même, immédiatement, la procédure de licenciement pour inaptitude physique.

La salariée saisit la juridiction prud'homale. Elle conteste, en premier lieu, le bien fondé de son licenciement. Là encore, l'employeur n'a pas selon elle respecté la procédure de déclaration d'inaptitude physique puisque les deux examens médicaux sont intervenus dans un délai de deux mois et alors même qu'elle était hospitalisée dans ce délai. La salariée revendique ici encore le droit à deux examens médicaux espacés de 15 jours.

Mais surtout, elle demande le paiement de son salaire sur cette période de 15 jours. C'est cette demande qui nous intéresse. Selon elle, l'employeur n'était pas dispensé de la faire travailler dans l'attente du deuxième examen médical qu'il se devait d'organiser. Il doit donc la payer.

Pour sa défense, l'employeur rappelle que la salariée était purement et simplement inapte à occuper ses fonctions. De plus, aucun poste compatible avec son état de santé n'était disponible dans l'entreprise. Il lui était donc impossible de faire travailler la salariée. Cette impossibilité tenant à la personne de la salariée, il était, selon lui, dispensé de verser la rémunération.

La Cour d'appel, puis la Cour de cassation refusent d'abonder dans le sens de l'employeur. Elles donnent entière satisfaction à la salariée. Non seulement, elles considèrent que le licenciement pour inaptitude physique n'est pas régulier, dans la mesure où les deux examens médicaux subis par la salariée n'étaient pas espacés de deux semaines, mais au surplus, elle condamne la société à verser à cette dernière sa rémunération sur cette période de 15 jours.

La Cour de cassation considère que le médecin du travail avait émis pour la salariée un avis d'aptitude à son poste de travail assorti seulement de certaines réserves. La salariée s'étant tenue à la disposition de l'entreprise, il appartenait à cette dernière d'occuper la salariée entre deux visites en fonctions de ces réserves.

Ainsi, la Cour de cassation pose-t-elle le principe de la rémunération du salarié entre les deux examens médicaux nécessaires à la déclaration d'inaptitude.

Pour se dégager de cette obligation, l'employeur devra démontrer qu'il lui est totalement impossible d'occuper le salarié à un quelconque emploi pendant cette période. Autant dire que sauf déclaration d'inaptitude définitive à tout emploi dans l'entreprise dès le premier examen, l'employeur sera toujours tenu de verser au salarié sa rémunération dans l'attente de la deuxième visite.

La protection des salariés déclarés inaptes est une préoccupation légitime de la Cour suprême. Il est cependant dommage que son action se retourne contre l'employeur. En effet, celle-ci œuvre une fois de plus dans le sens d'une complexité accrue de la procédure concernant l'inaptitude physique du salarié et d'une aggravation des sanctions en cas d'irrespect de ces prescriptions.

Franck Trouet

SNRLH


Les droits du salarié licencié pour inaptitude physique

* Lorsque l'inaptitude est consécutive

à une maladie non professionnelle

du salarié :

A l'occasion de son licenciement pour inaptitude physique, le salarié ne peut pas prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis (Cass. soc. 21.06.1995). Le principe selon lequel le salarié ne pouvant travailler, il ne peut prétendre au paiement du salaire retrouve ici application alors que l'inaptitude est devenue définitive.

En revanche, le salarié a droit au paiement de son indemnité de licenciement (art. L 122-9 du code du travail). Cette indemnité est égale à 1/10e de mois par année d'ancienneté plus 1/15e de mois au-delà de 10 ans d'ancienneté (art R 122-2 Code Travail).

* Lorsque l'inaptitude est consécutive
à un accident du travail ou à

une maladie professionnelle du salarié :

Le salarié bénéficie d'une indemnité compensatrice de préavis. En outre, l'indemnité de licenciement est égale au double de l'indemnité légale rappelée ci-dessus (art. L 122-32-6 Code Travail)

La procédure
à respecter en cas d'inaptitude physique

Ces dernières précisions de la Cour de cassation étant apportées, il apparaît opportun de faire le point sur l'attitude à adopter en cas d'inaptitude physique d'un salarié.

La première étape est une visite auprès de la médecine du travail. Celle-ci peut intervenir soit à l'occasion de l'examen annuel, soit à la suite d'une suspension du contrat de travail pour maladie (après 3 semaines d'arrêt de travail) ou accident du travail (après 8 jours d'interruption de travail), soit après un congé maternité ou encore en cas d'absences répétées (art R 241-51 du Code du travail)

A cette occasion, le salarié peut se trouver déclaré inapte à son emploi ou même apte avec certaines réserves (absence de port de charges lourdes, absence de station debout prolongée...), l'employeur se doit alors

- de façon immédiate de solliciter par écrit du médecin du travail :

un second examen médical qui devra se tenir 2 semaines après le premier ;

- une étude du poste de travail du salarié ainsi que des conditions de travail dans l'entreprise ;

- puis de demander au médecin du travail par lettre recommandée avec AR, dans quelle mesure, il pourrait, en cas de confirmation du premier avis médical, soit aménager le poste de travail du salarié afin de le rendre compatible avec son état de santé, soit le reclasser à un autre poste.

Pendant cette période de 15 jours entre les 2 examens, l'employeur devra occuper le salarié tout en respectant les prescriptions du médecin du travail. A défaut et sauf situation contraignante, c'est-à-dire inaptitude définitive du salarié à tout emploi, il devra verser au salarié qui se tient à sa disposition sa rémunération.

A l'occasion de la deuxième visite, le médecin du travail pourra se prononcer définitivement pour une inaptitude définitive, une inaptitude temporaire ou une inaptitude avec réserves.

L'employeur disposera alors d'un délai d'un mois (article L 122-24-4 du Code du travail) pour soit reclasser le salarié soit procéder à son licenciement. Au terme de ce délai, le salarié pourra en effet, en l'absence de reclassement et de licenciement, exiger le versement de son salaire pour l'avenir (art L 122-24-4 Code du travail).

Pour procéder à son licenciement, l'employeur devra respecter la procédure légale. Il devra convoquer le salarié à un entretien préalable, en respectant les délais (au moins 3 jours ouvrables et en l'absence de représentants du personnel, au moins 5 jours ouvrables, non compris le jour de présentation du courrier au salarié ni le jour de l'entretien) et en indiquant au salarié ses possibilités d'assistance (salariés de l'entreprise ou, en l'absence de représentants un conseiller extérieur avec les adresses de la mairie et de l'inspection du travail ou le salarié peut se procurer la liste).

A la suite de l'entretien, l'employeur respectera un délai d'attente d'un jour franc avant de notifier au salarié son licenciement pour inaptitude physique par lettre recommandée avec AR comportant l'énoncé précis du motif.

Article R 241-51-1 du Code du travail 1er alinéa

"Sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste

de travail entraîne un danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l'intéressé ou celle des tiers, le médecin

du travail ne peut constater l'inaptitude du salarié

à son poste de travail qu'après une étude de ce poste

et des conditions de travail dans l'entreprise et

deux examens médicaux de l'intéressé espacés de

deux semaines, accompagnés, le cas échéant,

des examens complémentaires mentionnés à l'article R. 241-52."

Attention : en cas de situation d'urgence, dispensant l'employeur d'organiser un deuxième examen, celui-ci en sera informé par le médecin du travail qui inscrira sur le feuillet du salarié : "Procédure d'urgence.

Un 2e examen médical n'est pas nécessaire".

Que se passe-t-il si
le délai de 2 semaines entre les deux examens n'est pas respecté ?

Dans une affaire récente, une salariée demande la condamnation de son employeur pour licenciement abusif au motif que les 2 examens médicaux prévus par l'article R 241-51-1 du Code du travail ne sont pas intervenus dans les délais de 2 semaines.

En l'espèce, la salariée avait été reçue à un deuxième examen, un mois exactement après le premier.

La Cour de cassation a refusé de suivre la salariée dans son raisonnement.

En effet, elle constate que dans le délai de 15 jours suivant le premier examen, l'employeur a pris contact avec la médecine du travail afin d'examiner les tentatives de reclassement d'une part, et a organisé la deuxième visite dans le délai prescrit, d'autre part.

Si la deuxième visite n'a pu avoir lieu qu'un mois après la première, c'est la seule faute de la médecine du travail, alors surchargée et non de l'employeur.

Pour la Cour de cassation, il est normal, lorsque celui-ci a tout fait pour que le deuxième examen se fasse dans le délai de 15 jours, que sa responsabilité ne puisse être engagée (Cass. soc. 10 novembre 1998).


L'HÔTELLERIE n° 2598 Hebdo 28 Janvier 1999

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