Souvenez-vous : il y a 10 ans, les jeunes voulaient être avocats, journalistes,
pilotes de ligne, traders, voire faire carrière dans le cinéma ou le showbiz. Depuis ce
temps, envolés les rêves fondés sur l'argent et la reconnaissance sociale, disparu le
culte du manager stressé et pressé, évanouis les mythes d'une société fondée sur
l'apparence davantage que sur la réalité.
Un sondage réalisé pour le compte du Parisien pour l'Institut CSA ne manquera
pas de surprendre les observateurs des évolutions socio-professionnelles et des
aspirations profondes de la jeunesse. A la question sur le métier
"idéal" (celui qu'on aimerait faire sans problème de sélection et de
diplôme), c'est la fonction d'ingénieur qui arrive en tête, devant professeur,
technicien, paramédical, commercial ou assistante et... cuisinier, au même rang
qu'expert-comptable ou médecin. Eh oui ! La profession de cuisinier se classe au 5e rang
des "métiers idéaux", ce qui étonnera tous ceux qui cherchent
désespérément un chef ou un commis de cuisine. D'ailleurs, aux questions plus proches
de la réalité du même sondage, "Quel métier pensez-vous faire ?" et
"Quel métier offre le plus de perspectives d'emplois ?", cuisinier fait encore
une fois un score inattendu, respectivement en sixième et en quatrième position.
De telles réponses ne peuvent que susciter de la part de la profession une large
réflexion sur son avenir, les conditions de travail, d'horaires et de rémunération, sur
la formation des jeunes, sur les perspectives à proposer, et d'abord sur sa propre
identité. Tout en évitant de sombrer dans la béatitude complète, des
professionnels de la cuisine savent aujourd'hui que leur métier est enfin reconnu par
l'opinion publique, ce qui fut loin d'être toujours le cas. Il faut que l'ensemble de la
corporation, loin des querelles de chapelles, depuis la star étoilée au plus modeste
maître queux, sache rendre un hommage moral à tous ceux qui ont sorti les cuisiniers des
cuisines, avec un exceptionnel talent de communication : Raymond Oliver, Paul Bocuse,
Michel Guérard, relayés par une jeune et enthousiaste génération, Bernard Loiseau,
Alain Ducasse ou Alain Passard. Ces grands noms vénérés par tous les gastronomes de la
planète ont certainement contribué à orienter l'opinion publique, à faire connaître
les beautés d'une profession trop longtemps confinée à des tâches considérées comme
obscures.
Aujourd'hui, les jeunes rêvent d'être ingénieurs, un métier de création,
d'invention, de progrès pour l'esprit. Mais tout le monde ne sortira pas de Polytechnique
ou de Centrale. Les jeunes sont aussi réalistes, et tous ceux que les calculs
d'intégrales rebutent (c'est humain), aspirent à des activités qui leur permettront de
se réaliser. La cuisine fait aujourd'hui partie de ces possibilités. A la profession de
savoir répondre à l'attente de la jeunesse, formidable facteur d'évolution, chance
incomparable pour l'avenir. A la profession d'assurer une formation conforme aux
aspirations de ceux qui suivent l'enseignement professionnel, un enseignement de plus en
plus technique, exigeant sur le plan de la rigueur et de la performance.
Aux anciens, selon l'immuable tradition du compagnonnage, de transmettre leur savoir et de
le faire aimer par leurs disciples. Mais à la profession également l'impérieuse
nécessité de remettre en cause les aspects les moins attractifs de son exercice. Il
faudra bien un jour opérer une évolution radicale des conditions de travail si l'on veut
continuer à trouver des candidats aux offres d'emploi qui se multiplient du côté des
cuisines. Tous les commis ne deviendront par les Christian Constant ou les Michel Bras de
demain. Mais tous pourront s'épanouir dans la voie qu'ils ont choisie, si le métier sait
reconnaître le mérite des uns et des autres.
L. H.
L'HÔTELLERIE n° 2597 Hebdo 21 Janvier 1999