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A la loupe

A Lucerne, en Suisse

Les hôteliers versent 30 millions pour le nouvel auditorium

Joyau de la Suisse centrale connu dans le monde entier, Lucerne réussit à être à la fois un îlot traditionaliste
et
alémanique dans la mosaïque de l'arc alpin et une cité économiquement très dynamique.
L'industrie s'y est développée en même temps que le tourisme : au début du siècle dernier.


Le nouvel auditorium au bord du lac des Quatre Cantons sur fond de sommets enneigés.

Plusieurs hôtels admirablement restaurés et entretenus ont été construits il y a cent cinquante ans au bord du mirifique lac des Quatre Cantons, dont le palace Schweizerhof qui, entre autres grands de ce monde, hébergea Richard Wagner.
Les liens de Lucerne avec la musique sont innombrables : hier Rachmaninov, aujourd'hui Ashkenazy s'y sont fixés. D'où le projet du puissant Hotel-Verein, en 1938, de créer un festival international de musique à l'image de ce que leurs voisins autrichiens avaient lancé à Salzbourg quelques années auparavant. La saison, pour des raisons climatiques, ralentissait à la mi-août et le taux d'occupation s'en ressentait : les concerts s'étaleraient donc du 16 août au 10 septembre, grosso modo.
Le succès fut immédiat. Lucerne reçut des artistes que le national-socialisme et le fascisme contraignaient à l'exil, tel Toscanini, qui a son buste dans le hall du Kunsthaus. Seule interruption : en 1940 alors que la pacifique Helvétie, sur le pied de guerre, s'attendait au pire.
Les édiles, entre temps, avaient construit un ensemble musée-auditorium qui, avant la guerre, passait pour exemplaire avec ses 1 400 places et son acoustique peu réverbérée malgré l'emploi d'une technique nouvelle : le béton armé massif.

Vingt ans de discussions avant la "votation"
Après la guerre, tous les grands festivals internationaux qui se sont maintenus ou développés se sont dotés d'outils performants et permanents. A Salzbourg, on a même creusé dans la roche pour construire les indispensables opéra et auditorium (2 000 et 1 800 places). A Lucerne, dès les années soixante-dix, tant les élus que les organisateurs et les hôteliers (toujours membres influents du conseil d'administration) comprirent la nécessité de disposer d'un ensemble mieux adapté économiquement et artistiquement : pour les congrès comme pour les loisirs culturels, "Semaines musicales internationales" comprises.
Mais la Suisse n'est pas la France, tant s'en faut. La pratique démocratique y est réelle et ancienne, parfois tatillonne, voire paralysante. En outre, il n'existe pas de subventions au niveau confédéral. Même Hugues R. Gall, alors qu'il dirigeait le Grand Théâtre de Genève avant de devenir le patron de l'Opéra de Paris, n'a pas reçu un kopeck de Berne pour la production du Guillaume Tell de Rossini afin de célébrer le 700e anniversaire de la Confédération ! Vingt ans de discussions ont passé avant de procéder à une "votation" populaire incontournable en Suisse lorsqu'une dépense dépasse un certain plafond.

Les décideurs sont les payeurs
Finalement le KKZ, Kultur und Kongress Zentrum, est en voie d'achèvement, alors que l'auditorium de 1 800 places a déjà été solennellement inauguré du 19 au 21 août 1998 avec le concours des Berliner Philharmoniker dirigés par Claudio Abbado qui a déclaré avoir apprécié là une des meilleures acoustiques du monde.
L'architecte retenu, le français Jean Nouvel, à qui l'on doit de spectaculaires réalisations (Institut du monde arabe à Paris, palais des congrès de Tours, Opéra régional de Lyon) a respecté, comme à Montpellier et à Nantes, trois règles fondamentales :
- C'est l'opéra ou l'auditorium qui sert de palais des congrès, pas l'inverse. L'acoustique est donc prise en compte avant les autres données et contraintes. On ne fait pas d'une salle polyvalente un théâtre ou une salle de concert.
- L'auditorium offre au moins 1 800 places (1 840 exactement), jauge conciliant acoustique naturelle et les exigences économiques de plateaux de plus en plus coûteux.
- Ce Centre d'art et de congrès est au cœur même de la cité, jouxtant la gare (la métropole zurichoise est à 30 minutes) et se reflétant dans le lac.
Outre la salle de concert et de congrès, l'ensemble comprend des salles de 1 350, 860, 500 et 310 places combinables, une brasserie et un restaurant de 160 et 130 couverts avec possibilité d'organiser des banquets jusqu'à 2 000 personnes.

Coût total = 800 millions
Le coût, en francs français, est de 800 millions (opéras neufs de Lyon et de Montpellier : 550 millions avec des montages financiers différents ; Opéra Bastille (inachevé) : 4,5 milliards). Lucerne en paie la moitié, le canton le huitième, l'association du festival : 140 millions et le Hotel-Verein Luzern (il n'y a pas d'hôtel de chaîne intégrée, mais 48 établissements indépendants et 4 800 lits) : 30 millions, davantage que le canton (l'équivalent d'un département) ! Le reste du financement provient de divers mécènes et associations (dont celle du musée) et de prêts bancaires.
Parallèlement, le directeur artistique, Mathias Bamert, a entrepris un aggiornamento de cette manifestation en l'ouvrant à la fois sur d'autres musiques et vers les jeunes faisant passer la jauge de 50 000 à 65 000 auditeurs avec notamment les 20 grands concerts symphoniques vendus à l'avance sur 70 séances !
Pragmatiques, les hôteliers nous ont dits : "Ce n'est pas tant notre système démocratique qui est en cause, mais notre bon sens et notre réalisme. Dans l'association du Festival comme dans le tour de table financier, les décideurs sont les payeurs : c'est pourquoi nous sommes là."
C. Bannières


La grande salle peut accueillir dans d'excellentes conditions acoustiques près de deux mille auditeurs.


L'architecte français Jean Nouvel, à droite, en compagnie d'Antoine Livio, président de Presse Musicale internationale.


Mathias Bamert qui, sur le fond et dans la forme, a déjà fait entrer le Festival de Lucerne dans le XXIe siècle.


L'HÔTELLERIE n° 2596 Hebdo 14 Janvier 1999

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