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L'hôtellerie frappée par la « Qualimania »

L'hôtellerie vit un rêve de qualité absolue et cherche à le faire savoir. Mais, dans ses démarches qualitatives, elle oublie curieusement souvent d'intégrer ses clients. Du coup, la clientèle hôtelière reste perplexe devant les forêts de labels, se sent perdue et doute sérieusement.

Dans l'univers feutré de l'hôtellerie, cela semble être la "Qualimania" à chaque étage. Tout le monde s'y est mis. Chaînes comme indépendants, aidés parfois par les CRT, CCI, CRCI et autres CDT. Les promesses de qualité fusent, les engagements de bien faire s'annoncent, pléthores de labels se montent, les chartes de qualité se signent à tour de mains... "On commande des audits et on monte des opérations qualité à tout va, jusque dans chaque petit bourg de France. Si cela manquait effectivement auparavant, c'est presque trop aujourd'hui. C'est l'anarchie dans la volonté de qualité", ironise un observateur. Pourtant, le mouvement est lancé. La profession s'y sentait d'ailleurs obligée. "Après ces années de crise, les hôteliers avaient l'impression que les clients ayant déserté leurs hôtels avaient simplement voulu leur donner des leçons de bonne conduite. Quand cela va mal, la parano s'installe un peu", analyse Alexandre de Verset, consultant en qualité de services. Parallèlement, avec une offre qui s'est enrichie et s'est assez uniformisée, les professionnels cherchent à tout prix à se distinguer pour sortir du lot. Pour être mieux vus par les clients.

Un décalage entre hôteliers et clients

Le phénomène du développement de la qualité n'est pas nouveau en hôtellerie, mais il prospère et se propage. Du moins par l'idée : interrogez n'importe quel hôtelier dans n'importe quel coin du monde, il vous répondra immanquablement que chez lui (par opposition aux autres), il fait de la qualité. Face à cela, la clientèle n'est pas d'accord. D'après plusieurs enquêtes menées par Coach Omnium depuis ces dernières années, il y a en résumé près de 25% des clients d'hôtels qui pensent que les hôteliers font mal leur métier. Et presque 1 utilisateur d'hôtels sur 2 est déçu du rapport qualité/prix hôtelier. Qui se trompe ? Sans doute pas les clients, quand il s'agit de dire s'ils sont satisfaits ou pas. Ils sont d'ailleurs plutôt perplexes et désarmés devant ces forêts de labels en tous genres et autres distinctions promues par les professionnels. En fait, deux choses sont sûres. Il y a en premier lieu un net décalage entre la qualité donnée (ce que les hôteliers mettent en place pour parvenir à satisfaire leurs clients) et la qualité perçue (ce que comprend le consommateur). Les uns tournent le dos aux autres. On sait -- même si le constat est cruel -- que les hôteliers ont une grande méconnaissance des attentes de leurs clients. "Ils les interrogent peu, les écoutent difficilement, les comprennent mal. Ils connaissent surtout les avis de leurs habitués ; pas ceux des autres clients", affirme un analyste. Séjourner dans beaucoup d'hôtels permet effectivement de voir qu'il y a un énorme retard de modernité entre ce que les consommateurs ont chez eux et ce qu'ils trouvent à l'hôtel. "Il y a aussi de graves malentendus entre les prestataires et leur clientèle. Les hôteliers pensent avant tout à leur gestion, tandis que les clients aimeraient qu'on pense un peu plus à eux", explique Rémy Cerruti, consultant et sociologue. La profession semble manquer dangereusement d'une "culture clients". A la décharge des professionnels, peu nombreux sont les clients qui osent ou qui veulent s'exprimer spontanément. Qu'ils soient d'ailleurs contents ou mécontents. A peine 2 à 5 clients insatisfaits le font savoir par écrit au prestataire fautif. Et encore, en hôtellerie ce sont souvent les seniors et les Anglo-Saxons qui écrivent le plus. Autant dire qu'ils ne sont pas représentatifs dans leurs attentes par rapport à l'ensemble de la clientèle. Les autres déçus préfèrent ne plus revenir et s'épancher peut-être sur leurs mauvaises aventures (séjour décevant, mauvais accueil,...) auprès de leur entourage. Et lorsque les gens parlent, ils ne sont pas toujours sincères, pas toujours intelligibles, rarement précis et surtout pas objectifs (sic).

Faire revenir les clients

L'autre certitude s'appuie sur le fait qu'on ne sait pas très bien définir la qualité. Les professionnels confondent souvent qualité et luxe ; qui a dit que la qualité ne pouvait pas exister, à sa manière, dans le bas de gamme ? On entend souvent dire aussi qu'il y a d'un côté la tradition, forcément synonyme de qualité, et l'industriel, fatalement synonyme de non-qualité. Les préjugés ont la dent dure. "On mélange la fin (la qualité perçue, par exemple) et les moyens (la qualité fournie, par exemple). Bref, en ce domaine de la qualité, on ne met personne d'accord", ajoute Alexandre de Verset. Cela génère donc chez les hôteliers des incompréhensions, des quiproquos, des conflits même. Situation délétère à la notion même de qualité. Chacun a sa propre idée de la qualité, souvent différente de celle du voisin. Ce qui est plus sûr : la qualité s'estime au résultat. En hôtellerie, comme ailleurs, on pourrait dire que la qualité serait le moyen d'obtenir simplement des clients satisfaits. "Dans beaucoup de cas, un client peut être satisfait, sans jamais revenir", note Chantal Tryer, responsable du service consumérisme et qualité dans le groupe Accor. Ainsi, se préoccuper uniquement de ce que les clients aient tout ce qu'il leur faut est aujourd'hui insuffisant. Les consommateurs sont tant sollicités et tant habitués à trouver des prestataires réussissant à bien faire que cela ne leur suffit plus. L'excellence d'une entreprise commerciale devrait à présent pouvoir se mesurer, entre autres, au nombre de clients qui reviennent. Mais, on n'en est pas encore réellement à ce stade en hôtellerie. Certaines mauvaises langues disent que mettre en place des audits de qualité, c'est surtout pour se dédouaner, pour se rassurer ou pour se déculpabiliser. "On constate que dans beaucoup de groupements et de réseaux d'hôtels, les questionnaires de satisfaction envoyés par les clients finissent dans des boîtes à chaussures, sans jamais être traités, faute de personnel", révèle un auditeur.

Une mesure de la qualité et un suivi obligatoire

Initiées par les chaînes hôtelières, qui dépensent plusieurs centaines de milliers de francs chaque année, ce sont à présent beaucoup d'hôteliers indépendants qui s'essayent aux mesures qualité. Plusieurs Chambres de commerce et d'industrie se sont même investies pour développer de grandes opérations de qualité dans le tourisme, mobilisant notamment les hôteliers. C'est le cas, par exemple, dans la région de Perpignan ou encore en Bourgogne, mais aussi à Lyon, en Vendée, dans l'Hérault, dans les Alpes-Maritimes,... la liste est longue. Audits qualité, visites-mystère, fiches de satisfactions, baromètres qualité,... les outils de mesure de la qualité sont nombreux. "Et encore, on échappe aujourd'hui aux anciennes "japo-niaiseries" des années 1980, du style cercles de qualité ou encore cercles de pilotage, passées aux oubliettes", se souvient un directeur d'hôtel de chaîne. Les indépendants ont opté pour les visites-mystère, lors desquelles les faux clients utilisent des questionnaires qui ont jusqu'à 500 items à contrôler. "De véritables bottins. Avec un à deux audits par an avec ces types de questionnaires indigestes, on peut se demander si ces instruments, complètement dépassés, servent à quelque chose. Je ne vois pas ce qui peut se passer après ces visites-mystère", critique un responsable qualité dans un groupe hôtelier. "S'il n'y a pas de suivi derrière les visites-mystères, c'est effectivement un coup d'épée dans l'eau", rétorque Christine Blot, responsable du tourisme à la CCI de Perpignan, qui a obtenu que des séances de formation suivent les constats réalisés par des cabinets de consultants auprès des professionnels de sa région.

Interroger les clients

Les chaînes, qui avaient devancé les indépendants dans les systèmes de contrôle de la qualité, ont largement fait évoluer leurs méthodes. Interviews de (vrais) clients, questionnaires plus opérationnels, etc... Plus fort, la chaîne Ibis est la première à avoir demandé une certification ISO 9002, qui porte sur les processus de contrôle qualité pour le traitement de la réservation, l'accueil 24h/24, l'hébergement, les petits-déjeuners lève-tôt et le service des en-cas. Sans aller jusqu'à la certification, on cherche dans les marques à développer des moyens de plus en plus pointus pour valider sa qualité hôtelière. Chez Accor, on fait réaliser par un vérificateur un passage par an dans chaque hôtel, destiné à mesurer les basiques, sur 120 à 150 questions seulement. Les basiques sont des éléments d'identité de la marque commerciale et du groupe Accor, et incluent aussi le process. Les résultats des audits sont croisés avec d'autres options de mesure de la qualité, comme près de 200 interviews de clients par an et par hôtel, notamment. "Il n'y a pas de méthode totalement parfaite pour s'assurer une bonne mesure de la qualité. Je rêve que l'on puisse un jour interroger systématiquement une majorité de clients pendant et après leur séjour", pense Chantal Tryer. Si cette solution est tentante et est techniquement faisable, elle aurait hélas un coût prohibitif, et serait vite lassante pour les habitués.

Des hôtelierssensibilisés aux problèmes de la qualité

En effet, il apparaît paradoxalement que le client est souvent absent quand il s'agit de mettre au point une méthode de mesure de la qualité ou une charte de qualité. On ne lui demande pas son avis. "Les hôteliers semblent s'attribuer tout seuls des vertus et des labels de qualité ou encore élaborent des questionnaires d'audits de 350 questions,... sans en appeler aux clients, sans leur demander ce qu'ils aimeraient trouver dans les hôtels", s'inquiète Kurt Freibeck, qui dirige un cabinet d'audits qualité allemand. "Ils définissent par eux-mêmes leurs prestations et le niveau de qualité à atteindre en fonction de ce qu'ils veulent bien fournir. Souvent la barre n'est pas très haute. Bien des hôteliers ne raisonnent pas en fonction des attentes de leurs clients mais en fonction de leurs propres contraintes." Ces démarches de mesure de la qualité ne refléteraient donc pas l'opinion de la clientèle. Un problème. Même si de plus en plus de chaînes et de groupements volontaires d'hôtels partent d'études de leur clientèle pour concevoir et affirmer leurs engagements dans l'art de la qualité. Lors de l'opération "Qualité Hérault", on avait distribué plusieurs milliers de questionnaires à des clients des hôtels et des restaurants pour connaître leur avis sur les prestations fournies. Cependant, ces exemples d'enquêtes auprès des clientèles restent rares. Alors, toutes ces actions qualité sont-elles surtout de la poudre aux yeux pour rassurer ou mieux vendre, sans fond de sincérité ? Sans doute pas. Elles ont au moins pour vertu de sensibiliser les hôteliers aux détails qui font une bonne prestation. "C'est une prise de conscience des hôteliers sur la qualité", analyse Christine Blot. A défaut du regard par les vrais clients, l'avis d'un conseil extérieur n'est pas inutile. "Encore faut-il garder assez d'humilité pour accepter la critique et concevoir concrètement des engagements de qualité. Et s'y tenir dans le temps", dit Kurt Freibeck. Mais, c'est une autre histoire.

M. Watkins


Les hôteliers pensent à leur gestion, les clients attendent qu'on pense davantage à eux.


L'HÔTELLERIE n° 2591 Supplément Économie 10 Décembre 1998

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