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A la Loupe

Restauration l Fumeurs/non-fumeurs dans les restaurants

La loi antitabac n'enfume plus les esprits

Quelques années après sa mise en place dans les restaurants, la loi Evin protégeant les non-fumeurs ne semble plus intéresser personne, ni consommateurs, ni restaurateurs. Ces derniers ont su s'adapter avec astuce et semblent avoir moins de problèmes avec les fumeurs qu'avec les autres formes de gêneurs.

En janvier 1991, lorsqu'est votée la loi Evin réglementant les interdictions de fumer dans les zones publiques, les non-fumeurs applaudissent. Les autres s'indignent de cette atteinte à leur liberté et les restaurateurs s'interrogent sur les répercussions du décret d'application pour l'organisation de leur établissement. Au départ, en 1992, nombreuses étaient les craintes de la profession. La principale appréhension reposait sur la gestion de la clientèle. "Nous avions rarement à gérer des situations tendues entre fumeurs et non-fumeurs. On trouvait toujours un terrain d'entente à l'amiable. Avec la mise en place d'une loi, nous avions le sentiment que cela allait engendrer des relations conflictuelles nouvelles", explique Eric Morlan, restaurateur parisien. L'autre sujet épineux qui fit frémir les restaurateurs fut l'obligation d'investir, en créant, non pas des zones pour non-fumeurs comme certains le pensent, mais des zones aérées pour fumeurs. Mettre en place des systèmes de ventilation ultra- sophistiqués, délimiter des zones franches, distinguer les clients selon qu'ils fument ou pas, engageait des frais supplémentaires et des craintes psychologiques.

Des restaurateurscompréhensifs

Mais, comme cela arrive souvent, les conséquences d'une loi se montrent souvent moins terribles qu'avant son application. "Les choses se sont beaucoup mieux passées que ce que nous craignions", commente Martine Croharé, juriste à la Confédération. Certaines chaînes de restauration, notamment dans la restauration rapide, se sont même ruées sur cette réglementation pour communiquer sur l'aspect sain de leurs établissements où on ne fumait pas. D'autres chaînes avaient déjà préparé le terrain et ces zones faisaient déjà partie intégrante de l'espace public. En fait, les restaurateurs se sont plus ou moins pliés aux exigences. Sans créer forcément des ghettos pour non-fumeurs, ils se sont adaptés à cette nouvelle réglementation. D'après une étude récemment réalisée par BVA pour la Confédération et la FNIH conjointement, 29% des restaurateurs déclarent avoir aménagé dans leur établissement des salles distinctes pour fumeurs et non-fumeurs, 11% n'ont pas créé de séparations fixes mais des zones modulables, 23% ont opté pour un système d'aération adapté pour l'ensemble du restaurant. Ce qui peut paraître surprenant, c'est que seuls 13% des restaurateurs disent afficher clairement les zones délimitées pour fumeurs et pour non-fumeurs. Comme les restaurateurs sont astucieux, il n'est pas rare de voir dans certains restaurants des écriteaux à deux faces qui déterminent la nature de la pièce. La salle devient alors "fumeurs" ou "non-fumeurs" au gré de la clientèle par le simple retournement du panonceau.

Des clients qui se disciplinent

Le respect de la réglementation par le patron restaurateur paraît acquis. En revanche, la clientèle se montre souvent plus désobéissante. "Il est toujours très délicat d'aller dire à un client d'éteindre sa cigarette en zone non-fumeurs", déclare Stéphane Martin, restaurateur en Alsace. Pourtant, du côté des consommateurs, les interdictions de fumer sont devenues un peu partout (trains, avions, bureaux de poste,...) une banalité. L'opinion publique est même favorable à ces interdits. Parallèlement, une enquête réalisée en 1997 par la Sofrès pour L'Hôtellerie indiquait que 78% des clients de restaurants appréciaient de pouvoir déjeuner ou dîner dans une salle pour non-fumeurs. Confrontés à certains petits fumeurs, qui ne prennent qu'une cigarette en fin de repas, les restaurateurs ont mis en place ce qu'ils appellent des zones tampons. "Il arrive que des clients demandent une salle non-fumeurs pour éviter les brouillards des fumeurs de cigares ou le nuage de fumée de ceux qui alternent une bouchée avec une bouffée. Mais, une fois face à leur café de fin de repas, ils ne peuvent résister à l'envie de fumer une cigarette à leur tour," explique Stéphane Martin. Bien que cela paraisse contradictoire au regard des statistiques sur le nombre de fumeurs qui régresserait et aussi sur le nombre de clients qui aimeraient profiter de zones "pures", la proportion des salles pour fumeurs est souvent supérieure dans les restaurants à celle des zones pour non-fumeurs. Il suffit parfois qu'un fumeur accompagne deux non-fumeurs pour être obligé de les installer en zone autorisée. Il s'agit de bien gérer l'accueil au quotidien pour que les esclandres deviennent anecdotiques. Placez les clients selon leur doctrine et le tour est joué. Souvent les clients s'arrangent entre eux. Quelles que soient les contraintes de la loi Evin, son aspect le plus positif est que les clients des restaurants se sont malgré tout mieux auto-disciplinés et qu'il y a eu une vraie prise de conscience sur les besoins de respecter les goûts et la santé de chacun. Les plaintes enregistrées ont, grâce à ça, été assez rares et on dénombre également peu de procès-verbaux administratifs à l'encontre des restaurateurs.

Une loi qui paraît inutile

En fait, 74% des restaurateurs pensent que la loi Evin n'a rien apporté dans la gestion des relations entre les fumeurs et les non-fumeurs et plus de la moitié sont d'avis que cette loi doit être allégée, voire supprimée, car inutile. Elle leur crée surtout des tracas en termes d'aménagement pour répondre aux normes réglementaires. En revanche, 73% des restaurateurs trouvent qu'il est facile de gérer les relations entre les fumeurs et les non-fumeurs. "Nous avons finalement rarement à intervenir, les clients non-fumeurs se chargent souvent par eux-mêmes de contraindre un fumeur à éteindre sa cigarette. La campagne anti-tabac a réussi à prouver suffisamment combien la cigarette est nocive pour que les fautifs s'auto-contrôlent", commente un restaurateur de Strasbourg. Au-delà de la loi Evin, 62% des restaurateurs voient avec plus de difficultés la gestion des conflits qui peuvent exister à partir des clients bruyants et des gêneurs. Sans parler des téléphones mobiles qui transforment, à l'heure des repas, les restaurants en véritable standard téléphonique de multinationale.

M. -L. Estienne


L'HÔTELLERIE n° 2591 Supplément Économie 10 Décembre 1998

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