Antoine Westerman
A Roanne, il a vécu le Tournoi des Etoiles sur un petit nuage. Son équipe de football n'a pas remporté le trophée, mais Antoine Westerman s'est offert une journée champêtre, soucieux d'oublier les rumeurs et des querelles qui ont empoisonné trop longtemps le monde de la restauration. Détendu, confiant dans un avenir sans nuage même s'il faudra "laisser le temps", le président de la Chambre syndicale de la haute cuisine française s'est laissé aller aux confidences.
L'Hôtellerie :
Au printemps dernier, vous êtes devenu président de la CSHCF où l'on a, semble-t-il,
peu parlé de cuisine ces derniers temps. Pourquoi avez-vous accepté cette
responsabilité ? Est-ce le fait du hasard ou une envie irrépressible d'accomplir une
mission ?
Antoine Westerman :
Ce n'est pas du tout le fait du hasard. Georges Blanc m'avait demandé de lui succéder et
j'ai disposé d'un an pour me mettre dans la peau d'un président. Visiblement mes amis
voulaient que ce soit moi, alors j'ai accepté parce que je trouvais que c'était le
moment d'oublier les querelles et de construire.
L'avenir proche est semé d'embûches. Si nous ne sommes pas unis et solidaires, nous
allons nous casser la figure. Je le dis haut et fort : seul on ne peut rien faire et il
n'y a qu'unis que nous avancerons. Face aux pouvoirs publics nous devons parler le même
langage. Un sujet comme les 35 heures nous concerne tous. Si demain nous sommes obligés
d'appliquer la loi à la lettre, c'est ensemble que nous trouverons peut-être une
solution.
L'Hôtellerie :
Alors que certains l'ont quittée et que d'autres ne s'y trouvent pas très bien,
avez-vous le sentiment que la Chambre syndicale de la haute cuisine française est
toujours un élément rassembleur ?
A. W. :
C'est vrai que ces derniers temps on a fait fausse route et il est urgent d'amener la
Chambre syndicale sur d'autres rails. Je pense cependant qu'il faut laisser un peu de
temps au temps et que les choses vont se remettre en place. Chacun se rendra compte alors
des difficultés franchies et que penser à soi-même n'est pas l'essentiel.
L'Hôtellerie :
Mais ne craignez-vous pas
que certaines blessures soient irrévocables et que l'on ne retrouve jamais la fraternité
qui existait jadis entre les chefs ?
A. W. :
Il est vrai que ces blessures sont vives et qu'il n'est pas facile, quand il y a eu des
mots, de réparer ce qui est cassé. Je pense cependant que des gens intelligents ne
peuvent rester sur ce qui est considéré comme une défaite. Mon ambition, et c'est le
sens de mon arrivée à la présidence, est de rassembler tous mes compagnons et de
redonner son image d'unité à la cuisine française. Les jeunes qui nous regardent en ont
besoin et ils ne comprennent pas ces bagarres alors que la solidarité est le fond de
toute réussite. La crédibilité de la cuisine française passe par ça, par cette
solidarité que nous connaissons par exemple en Alsace où nous sommes nombreux à faire
bien et bon et où, je le dis avec fierté, ces problèmes n'existent pas. J'aimerais bien
que ça rejaillisse au niveau national et, si au bout de mon mandat de trois ans, je peux
dire que j'ai ressoudé tous mes amis, que notre image est crédible au niveau
international et de nature à donner confiance aux jeunes qui veulent prendre le relais,
mon temps n'aura pas été perdu.
L'Hôtellerie :
On a vu naître d'autres mouvements, en particulier le Groupe des Huit. A-t-il toute sa
place au sein de la Chambre syndicale ?
A. W. :
Mais le Groupe des Huit, ce sont tous mes copains ! Qu'ils se rassemblent et créent un
groupe c'est super. Mais à huit, à vingt, à cinquante on ne peut rien faire. Un article
est paru dans votre journal que j'ai cosigné avec Jean-Claude Vrinat pour Traditions et
qualité, Patrick Fulgraff pour les Jeunes restaurateurs d'Europe et Fernand Mischler pour
les Maîtres cuisiniers. Là, on représente quelque chose et on est crédible. Si les
Huit qui sont de fortes personnalités et ont leur mot à dire au niveau de la gastronomie
mondiale se rajoutent, nous serons encore plus forts. Chacun a son style et la cuisine
française a besoin de ces styles différents. Il n'y en a pas qui sont dans le vrai et
d'autres dans le faux. Ca n'existe pas...
L'Hôtellerie :
Comme son nom l'indique, la Chambre syndicale de la haute cuisine s'adresse à l'élite
de la cuisine française. Ne rêvez-vous pas d'un mouvement encore plus fédérateur ?
A. W. :
Bien sûr que j'en rêve ! Avec mon président des Maîtres cuisiniers, ne pourrait-on, à
terme, nous retrouver dans la même barque ? Je le dis une nouvelle fois : ce n'est
qu'unis que nous pourrons avancer et que nous serons plus forts. Or, nous faisons le même
travail et nous avons des commissions qui travaillent dans le même but pour trouver une
solution aux problèmes posés...
L'Hôtellerie :
L'essentiel, n'est-ce pas par exemple la formation ? On a l'impression qu'aujourd'hui
tous les restaurants, y compris les étoilés qui avaient moins ce problème auparavant,
rencontrent des difficultés pour trouver du personnel. N'est-ce pas un sujet qui devient
prioritaire ?
A. W. :
La formation a toujours été la priorité ! Que restera-t-il demain à ceux qui nous
succéderont ? On ne peut être égoïstes et négliger cette question. La formation est
plus que jamais à l'ordre du jour. Au niveau de mon entreprise, même en sachant les
contraintes que cela représente, je n'ai jamais cessé d'engager des apprentis. Il est
important que ces jeunes soient formés dans des entreprises de haut niveau. Les écoles
font leur boulot. Mais les bonnes et grandes maisons - je ne parle pas que des étoilées
au Michelin, mais celles où des professionnels, des cuisiniers de métier font leur
travail -, ne doivent pas oublier que la formation est un besoin vital. Dans ces maisons,
il y a eu tellement de demandes de gens qui veulent travailler qu'on ne pense plus que
demain c'est aujourd'hui...
L'Hôtellerie :
La Chambre syndicale s'est jusque-là assez peu exprimée sur le sujet. Ne serait-il
pas intéressant qu'elle ait une prise de position claire et propose des actions
concrètes ?
A. W. :
Au sein de l'Union française de la cuisine et de la table créée par Paul Bocuse et
Pierre Troisgros et conjointement avec les autres associations de professionnels, tout
cela va se faire. Nous devons nous réunir et parler le même langage. Si chacun va d'une
façon solitaire à la bataille, on ne représente rien. Il faut se regrouper avec les
mêmes objectifs, on n'en sera que plus forts. Comme mon fils, beaucoup de jeunes veulent
apprendre notre métier et ne savent pas trop où aller. Ils n'osent plus s'installer, ni
prendre des risques car ils ne sont plus aidés comme ils devraient l'être et que tout
devient difficile.
L'Hôtellerie :
Justement, n'est-ce pas l'occasion de délivrer un message à cette jeune génération
dont on dit qu'elle se détourne de la haute gastronomie ?
A. W. :
J'ai envie de lui dire qu'il faut y croire car chaque époque et chaque génération a eu
des difficultés. Lorsque je me suis installé, il fallait déjà renverser des montagnes.
Je crois qu'il faut se fixer un objectif et y croire sans déroger à ce que l'on a envie
de faire. Il faut aller au bout de ses idées car lorsqu'on va au bout des choses, il y a
toujours une victoire. Il ne faut pas baisser les bras devant les difficultés mais avoir
la volonté de réussir. C'est à ce prix-là que l'on arrive.
Propos recueillis par J.-F. Mesplède jfmesplede@lhotellerie-restauration.f
Quand Antoine Westerman, président de la Chambre syndicale de la haute cuisine
française rencontre Pierre Troisgros, ex-président, se racontent-ils des histoires de
présidents ?
RepèresAntoine Westerman annonce 90 adhérents à la Chambre syndicale de la haute cuisine française. L'adhésion est toujours soumise à un parrainage et reste liée à des critères de qualité et de professionnalisme. |
L'HÔTELLERIE n° 2586 Hebdo 05 Novembre 1998