Réforme de la fiscalité des associations
(Par Serge Sarian, avocat-fiscaliste)
Pour mettre fin à des abus criants, Lionel Jospin a
confié à Guillaume Goulard, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, la mission
d'établir un rapport sur la situation fiscale des associations. Remis le 10 mars 1998, ce
dernier a donné naissance à l'instruction du 15/09/1998 (BOI 44-5-98) qui a rendu
caduque la précédente, laquelle datait de 1977 !
Le gouvernement a donc décidé de clarifier la situation des 700 000 associations
fonctionnant en France et dont 120 000 emploient 1 300 000 salariés.
Lorsque l'on sait que 3 000 associations font à l'heure actuelle l'objet d'un
redressement et que les services fiscaux ne tolèrent pas le mélange des genres -
activité non lucrative et business - on peut comprendre l'importance de la circulaire
précitée ainsi que des mesures d'accompagnement qui ont été annoncées.
Les associations et plus généralement les organismes réputés être «sans but
lucratif» ne sont pas en principe redevables des impôts dus par les personnes exerçant
une activité de nature commerciale. Cependant, les associations sont de plus en plus
sollicitées pour participer à la mise en uvre des politiques publiques. Elles
peuvent apporter, mieux qu'aucune autre structure de droit public ou de droit privé, des
réponses aux problèmes qui se posent sur le terrain social notamment. Mais du même
coup, la création d'associations réalisant des actes de commerce et intervenant dans le
secteur marchand attire de plus en plus l'hostilité des organisations professionnelles
qui les accusent de détourner les règles de la concurrence en offrant des prestations à
moindre prix, ce qui fausse la loi du marché.
Sur le plan européen, c'est la même préoccupation qui prévaut : la 6e
directive des communautés européennes, dans son article 13 § 2, autorise les Etats
membres à subordonner l'exonération de TVA au respect de 4 conditions dont l'une d'elle
est l'absence de distorsions de concurrence.
On comprend mieux la nécessité d'un toilettage fiscal des associations lorsque l'on sait
que l'une des principales motivations et non des moindres qui a présidé à
l'élaboration de l'instruction du 15/09/1998 est préci-
sément le souci d'éviter les distorsions de concurrence. Il convient de creuver l'abcès
: il n'est pas tolérable que des associations qui sont manifestement à but lucratif
échappent au paiement des impôts qui frappent les commerçants. Mais il semble conforme
à l'équité que certaines associations puissent se livrer à une activité principale
afin que les problèmes financiers ne soient pas un frein dans leur développement. Dans
ce cas, elles doivent en assumer les conséquences sur le plan fiscal.
1Restauform
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De nouvelles règles
C'est l'esprit de la nouvelle instruction dont les principales dispositions sont
les suivantes :
* Lorsqu'elle sera reconnue comme imposable,
l'association le sera à la fois sur les sociétés, au niveau de la taxe sur la valeur
ajoutée et de la taxe professionnelle.
Bien que des divergences subsistent sur ce point en doctrine, il ne fait aucun doute que
les services fiscaux appliqueront strictement cette doctrine reprise dans l'article I de
l'instruction. En conséquence, une association ne pourra pas être soumise à l'un de ces
trois impôts sans être imposée ipso facto aux deux autres. Situation que l'on
rencontrait fréquemment en pratique.
* Si l'association entretient des relations
privilégiées avec les organismes du secteur lucratif qui en retirent un avantage
concurrentiel, elle devient redevable des impôts commerciaux. L'administration fiscale
considère en effet que le groupement en cause exerce une activité qui se situe dans le
prolongement de l'activité de ses membres.
* Ainsi, même lorsque son objet est
exclusif de la recherche d'un profit, une association est réputée être à but lucratif
sur le plan fiscal, dès lors :
- qu'elle fournit des services aux entreprises membres dans l'intérêt de leur
exploitation ;
- qu'elle leur permet de réaliser une économie de dépenses ou une augmentation de leur
chiffre d'affaires ou d'acquérir de meilleures conditions de fonctionnement.
* Quand les avantages fournis sont
individualisés, ils sont réputés receler des éléments propres à favoriser les
distorsions de concurrence : la neutralité commerciale n'est plus respectée.
L'imposition en est la résultante. Au contraire, une association qui défend des
intérêts collectifs reste non lucrative. (Voir tableau n° 1)
Mais pour savoir si l'association est imposable ou pas, vous devez vous poser trois
questions : la gestion de l'association est-elle désintéressée ? L'association
concurrence-t-elle des entreprises commerciales ? Quelles sont les modalités d'exercice
de l'activité ?
2Cresus-Food
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La gestion de l'association est-elle désintéressée ?
Examiner si l'association présente un caractère désintéressé est la première
démarche incontournable de l'analyse qui permet de conclure s'il y a lieu ou non à
imposition. Cela revient à se poser la question de savoir si des rémunérations ou des
avantages significatifs sont octroyés à ses dirigeants.
Par dirigeants, il faut entendre d'une part les membres du conseil d'administration ou de
l'organe délibérant qui en tient lieu et, d'autre part, les personnes qui assument en
fait la direction effective de l'organisme. Une rémunération mensuelle n'excédant pas
les trois quarts du SMIC est admise. Par rémunération, il faut entendre le versement de
sommes d'argent ou l'octroi de tout autre avantage consenti par l'association. Ne doivent
pas être pris en compte les remboursements de frais réels engagés dans le cadre du
fonctionnement de l'entité en cause. (Voir exemple n° 2)
Il n'en reste pas moins qu'une association peut recourir à une main-d'uvre
salariée. Etant entendu que les salaires doivent correspondre à un travail effectif et
ne pas être excessifs eu égard à l'importance des services rendus. Concernant le
directeur salarié, il est admis qu'il exerce des fonctions de direction au sein de
l'association et qu'il participe aux réunions du conseil d'administration. Le caractère
désintéressé de l'association ne pourrait être remis en cause que si le directeur
rémunéré dirigeait l'association en lieu et place des dirigeants élus (gérance de
fait). Ainsi que l'écrit Guillaume Goulard «la remise en cause du caractère non
lucratif d'une association est une décision trop grave pour être prise à partir de
faits minimes. Une telle remise en cause ne doit donc intervenir que si les avantages
consentis au fondateur ou au dirigeant de l'association sont réguliers et d'un montant
significatif.»
Telle est la première étape à franchir. Bien qu'une gestion désintéressée soit une
condition nécessaire pour accéder à la non imposition, elle n'est pas suffisante. Il
convient alors de se poser la question suivante.
L'association concurrence-t-elle des entreprises commerciales ?
Alors que dans le passé la concurrence devait être seulement virtuelle (activité dont
on ne peut exclure qu'une entreprise s'y intéresse un jour), celle qui est visée dans
l'instruction doit être réelle ou potentielle.
Pour l'administration, la situation de l'association s'apprécie par rapport à des
entreprises ou des organismes lucratifs exerçant la même activité dans le même secteur
géographique. Non pas en fonction de catégories générales telles que : spectacles,
tourisme, activités sportives mais à l'intérieur de ces catégories. C'est ainsi que
dans le secteur des loisirs les stages de plongée sous-marine, les séjours linguistiques
et les séjours à l'hôtel se rattachent à trois secteurs d'activité différents.
L'identité d'activité doit être appréciée dans les détails afin que les comparaisons
soient possibles. (Voir exemple n° 3)
Si l'association ne concurrence aucune entreprise du secteur commercial, elle est
exonérée des impôts commerciaux. Dans le cas contraire, il convient de se poser la
troisième question.
3Prières et Méditations
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Quelles sont les modalités d'exercice de l'activité ?
Même si l'association a un caractère désintéressé et qu'elle concurrence des
entreprises commerciales, elle peut cependant ne pas être imposable.
Il faut déterminer les modalités d'exercice de l'activité de l'association au travers
de quatre critères : le produit, le public visé, les prix pratiqués et la publicité
utilisée. Cette série de critères dénommée règle des 4 P dont les deux premiers sont
les plus importants, doit être interprétée comme suit :
- le produit : l'activité exercée doit
tendre à satisfaire des besoins qui ne sont pas pris en compte par le marché (ou
insuffisamment). Autrement dit, c'est l'utilité sociale de l'association qui est jaugée
par rapport aux services qu'elle rend.
- le public visé : c'est encore l'utilité
sociale qui est visée. Les actes payants doivent être réalisés au profit de personnes
justifiant l'octroi d'avantages particuliers (chômeurs, personnes handicapées entre
autres). Ce critère ne doit pas s'entendre comme couvrant les seules situations de
détresse physique ou morale. Ainsi donc, le produit et le public visé doivent répondre
à la notion «d'utilité sociale».
- les prix pratiqués : l'accès du public
aux services de l'organisme doit se distinguer par un prix nettement inférieur à ceux
des entreprises du secteur lucratif pour des prestations comparables. Cette condition de
prix est réputée respectée lorsque les tarifs de l'association sont homologués par la
décision particulière d'une autorité publique.
- la publicité : le recours à des
pratiques commerciales est considéré comme un indice de lucrativité. Si une association
peut procéder à des opérations de communication pour faire appel à la générosité
publique, en revanche la vente d'un catalogue en kiosque, la diffusion de messages
publicitaires payants sont des indices de commercialité. (voir exemple n° 4)
On aura compris qu'un critère à lui seul ne peut permettre de juger de la
non-lucrativité d'un organisme. Il faut examiner tous les critères.
Si l'instruction reconnaît qu'il est légitime qu'un organisme non lucratif dégage dans
le cadre de son activité des excédents, ceux-ci ne doivent pas être accumulés en vue
de les placer mais être destinés à faire face à des besoins ultérieurs ou à des
projets entrant dans les champs de son objet non lucratif.
Activité lucrative à titre accessoire
L'instruction précise les règles applicables aux associations qui exercent une activité
lucrative à titre accessoire. L'administration considérait que si dans une association
il existe un secteur lucratif et un secteur non lucratif, l'ensemble de l'association
revêtait un caractère lucratif. De la même façon, une association qui confiait une
partie de ses activités à une société commerciale risquait de voir remettre en cause
le régime fiscal de l'association, en raison de la complémentarité économique existant
entre l'association et la filiale.
Désormais, l'association qui réalise des opérations lucratives à titre accessoire
peut, sans que le caractère lucratif soit attribué à l'ensemble des activités de
l'association et à condition que l'activité non lucrative demeure significativement
prépondérante :
- soit diviser ses activités en deux secteurs à l'intérieur de l'organisme, le premier
non lucratif, le second lucratif : c'est la sectorisation. (Voir exemple n° 4)
- soit exercer son activité lucrative accessoire dans une société commerciale : c'est
la filialisation.
4Choupromotion
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Sectorisation ou filiation
La sectorisation existait déjà en matière de taxe sur la valeur ajoutée (Code
général des impôts, Ann.II art. 213). Elle est possible à présent pour l'impôt sur
les sociétés et la taxe professionnelle.
De même, l'activité lucrative accessoire peut être isolée au sein d'une filiale. Mais
on ne le répétera jamais assez : les dirigeants d'associations devront attentivement
veiller à ce que l'activité non lucrative conserve son caractère prépondérant et
autonome. L'instruction prévient en effet que la sectorisation ou la filiation ne peuvent
avoir comme conséquence d'entraîner des transferts de charges au détriment de
l'activité assujettie aux impôts commerciaux, en dégageant des bénéfices dans les
seules structures non fiscalisées. De la même façon, la sectorisation retenue au regard
de l'impôt sur les sociétés et de la taxe professionnelle est indépendante des règles
relatives à la constitution de secteurs distincts en matière de TVA. Elle était déjà
possible avant la parution de la présente instruction (doc. ad. 4 H6123-8). Il s'agissait
d'une doctrine qui devait être invoquée par le contribuable.
Dès lors qu'il y a filialisation, l'association doit se borner à recevoir les dividendes
de sa filiale et les conditions suivantes doivent être réunies conformément à la
jurisprudence précédente :
- la direction de la société filiale ne doit pas être assurée par des dirigeants ou
membres de l'association. A défaut, dans la meilleure des hypothèses, il y aura lieu à
réintégration des avantages anormaux consentis par la société à l'association. Sinon,
c'est l'association elle-même qui sera assujettie aux impôts commerciaux du fait
notamment du cumul des fonctions de président d'association et de dirigeant de
sociétés. Au pire, l'association pourrait être assimilée à une société de fait avec
des conséquences fiscales importantes. Malgré la remarquable contribution de Guillaume
Goulard, il subsiste des zones d'ombre. Il y aura des cas où les critères seront
malaisés à apprécier ; de même en matière de filialisation, la distinction entre
l'activité principale et l'activité accessoire constitue une nébuleuse qui sera la
source de bien des litiges.
En conclusion, l'instruction qui vient d'être analysée est éminemment protectrice du
droit légitime des commerçants à ne pas être concurrencés par le biais de la
réglementation fiscale. Dernière recommandation aux créateurs d'entreprises : démarrer
une affaire sous forme d'association est une solution qui amènera tôt ou tard des
désagréments de taille. Attention, à compter du 1er avril 1999, la chasse est ouverte !
L'HÔTELLERIE n° 2583 Hebdo 15 Octobre 1998