Interrogations
Tout a commencé par une descente musclée de la brigade financière de Lyon, en octobre 1990. Huit ans après le début du cauchemar, Roger Boulet et son épouse se posent sans cesse les mêmes questions en déroulant à nouveau le film du redressement fiscal qui les a fusillés. Pourquoi un tel acharnement ? Pourquoi ne les a-t-on pas écoutés ? Que s'est-il passé réellement ? «Nous avons l'impression qu'il fallait détruire à tout prix la pizzeria le Fidelio», soutient Roger Boulet, qui se déclare innocent et continue à se battre. Il a envoyé des centaines de lettres, sollicité élus, représentants de la profession, médiateur, etc. Sans succès jusqu'à aujourd'hui. Les condamnations sont tombées avec des redressements énormes. 12 MF, avec le jeu des pénalités ; plus de la prison avec sursis et une amende de 50 000 F. Une peine similaire, mais moindre, a touché son associé. Le Fidelio, dans la principale galerie marchande de Clermont-Ferrand et son annexe avec terrasse, ont été mis en redressement judiciaire, puis vendus. Après tous les méandres de la justice, correctionnelle, appel, cassation, administrative, voire jusqu'au niveau de l'Europe, «c'est la ruine de ma famille, financière et aussi morale». Maintenant en arrêt longue maladie, Roger Boulet, avec son épouse, remboursent 200 F par mois au fisc ! Ce qui a été accepté par l'administration pour l'année 98. «Par la suite, c'est l'incertitude. On peut tout nous prendre du jour au lendemain. Enfin, le peu de chose qui nous reste.» «Nous devons prouver notre bonne foi, notre innocence. Mais chaque fois que nous avons apporté un argument, une preuve, ils n'ont pas été pris en compte», s'emporte Roger Boulet. Et il démontre les arguments suivis, retenus et validés par les tribunaux. Il est vrai qu'au fil de huit ans de procédures des questions subsistent.
Dénonciation
Tout d'abord, pourquoi le fisc s'intéresse-t-il au Fidelio ? Par dénonciation et parce
que l'établissement marche bien.
Le tribunal administratif considère que «rien ne s'oppose à ce que des clients d'un
établissement commercial remettent spontanément (...) des notes délivrées par ledit
établissement» et que l'administration peut présenter ces pièces lors de la
procédure. Un «spontanément» synonyme de délation ? Et le président du tribunal de
grande instance, quand il délivre l'ordonnance pour la perquisition au domicile des
Boulet en octobre 1990, trouve une présomption de fraude dans l'embauche de salariés.
«L'examen des déclarations fiscales de la société laisse apparaître une réelle
incohérence entre la progression du chiffre d'affaires (+ 3,2 % de 1987 à 1988) et
l'augmentation du nombre de salariés passé de 9 en 1987 à 14 en 1988 (+ 55 %).» Que
fait-on des contrats saisonniers ?
Les policiers ont alors saisi des «documents», bouts de papier avec des chiffres. Sur
certains d'entre eux, l'administration a décrypté des recettes, nombre de repas servis,
prix moyen des repas, etc. Et elle en déduit une dissimulation de 32 à 42 % des recettes
selon les périodes. Hélas, le mode de calcul laisse perplexe. Il est faux comme l'ont
souligné les conseils de Roger Boulet...
Exemple : le fisc trouve 307 700 F pour juillet 1998. La recette déclarée est de 199 939
F. La dissimulation se calcule par soustraction : 107 761 F. Le pourcentage de
dissimulation, qui servira par la suite pour le redressement, est de 35,02 % selon le
fisc.
Hors du concret
Etonnant, car en utilisant ce pourcentage, on ne retombe pas sur ses pattes. La
recette «reconstituée» n'est plus que de 269 961 F, en utilisant le taux de minoration
retenu par le fisc. (Voir encadré)
Selon les éléments retenus, le taux de minoration serait de 53,9 %. Et cela ne
correspond à rien de concret, de plausible ! Le contrôleur du fisc a aussi retenu les
plats du jour non facturés, soit 5 % du CA du Fidelio. Il en a déduit une dissimulation
de l'ordre de 35 à 42 %. «Il s'est appuyé sur des écrits discutables, fragmentaires,
non contractuels et il n'a pas tenu compte des repas pris par les salariés», précise
Roger Boulet qui reformule, une fois de plus, sa défense. Ces «anomalies», parmi celles
soulevées par la défense, n'ont pas éveillé la curiosité des tribunaux. Il est vrai
que le dossier devient bien complexe et ardu. Quoi qu'il en soit, entre la TVA, les
impôts de la SARL et les revenus «occultes», près de 4 millions de recettes auraient
été dissimulés au regard de l'administration fiscale, ce qui donne 12 millions
d'impôts avec les pénalités de retard et celles retenues pour fraude. «Comment peut-on
dissimuler tant d'argent avec un repas moyen à 32 F ?», questionnent les avocats de
Roger Boulet. Pourtant il n'y a pas eu d'enrichissement personnel. Les contrôles fiscaux
de Roger Boulet et de son associé n'ont donné lieu à aucun redressement et n'ont fait
apparaître aucune incohérence. Qu'à cela ne tienne ! Pour le médiateur de la
République, sollicité par Roger Boulet via un parlementaire, pas de preuve, c'est déjà
un début de preuve !
Dans des lessiveuses
«Le fait que l'examen de sa situation fiscale personnelle n'ait pas permis de retrouver
la trace du produit des recettes dissimulées n'est pas de nature à remettre en cause le
redressement correspondant, s'agissant de sommes appréhendées sous forme d'espèces qui
peuvent échapper aux moyens d'investigation dont dispose l'administration fiscale». «En
clair, l'argent peut se cacher dans des lessiveuses !», ironise Roger Boulet. Mais alors,
où est donc passé cet argent ? De plus, entre la fin de la période de contrôle fiscal
et le dépôt de bilan, l'entreprise a déclaré un chiffre d'affaires voisin de celui
incriminé les années antérieures. Cela a semblé tout à fait normal et il n'y a pas eu
de nouveau contrôle. Avec le poids de cette «dette», l'entreprise a fini par un dépôt
de bilan, malgré ses 4 millions de chiffre d'affaires et sa quinzaine de salariés.
«Mais tous les fournisseurs ont été payés», précise avec force Roger Boulet. Le
fonds a été cédé pour seulement 1,250 MF, «alors qu'il valait trois ou quatre fois
plus.» «Plus ça va et moins je comprends ce qui nous est arrivé», se désespère
Roger Boulet. «J'ai l'impression, au fond de moi, que tous les éléments en ma faveur
ont été écartés, que personne n'a voulu écouter ma bonne foi. C'est comme s'il avait
fallu à tout prix me détruire, moi, mon affaire et les miens. A moins qu'il y ait eu
erreur sur la personne ?»
P. Boyer
Roger Boulet, à la sortie de la cour d'appel de Riom en 1996. Il a connu les
tribunaux correctionnel et administratif, les cours d'appel, de cassation, le médiateur
de la République, la commission départementale des impôts, etc.
Drôles de calculsEn août 1988 par exemple, prenez le chiffre d'affaires déclaré (A) : 408 098,10 F. La recette aurait été, selon les documents saisis, de 634 506 50 F (B) : Si on calcule la minoration A-B, on trouve (C) 226 098,40 F. L'administration fiscale calcule alors C/A x 100 pour obtenir le taux de minoration qui servira à établir l'estimation de la recette globale. Soit ! Raisonnons par l'absurde. Prenons un monsieur X qui déclare un chiffre d'affaires de 1 000 F (B). On pense qu'il a en réalité encaissé 1 000 000 F (A). Quel sera le montant du redressement ? 999 F environ. Etonnant non ! Et pourtant... la minoration est de A-B=C, donc 999 000 F. Divisons C par A en multipliant par 100. Cela donne 99,9 %. Et pour retrouver le chiffre de base pour le redressement, il suffit de multiplier le chiffre déclaré par le pourcentage de minoration. Dans notre cas, 000 F multiplié par 99,9 % cela ne donne que 999 F. |
L'HÔTELLERIE n° 2583 Hebdo 15 Octobre 1998