Actualités

Actualité

Paul Bocuse et Marc Veyrat

L'union sacrée...

Au lendemain d'un rendez-vous dans les Landes scellant l'union entre les fondateurs de la Nouvelle Cuisine Française et les membres du Groupe des Huit, Paul Bocuse et Marc Veyrat se sont retrouvés à Lyon à l'initiative de L'Hôtellerie (1) . En exclusivité pour notre journal, ils se sont mis à table pour évoquer l'importance des Rencontres d'Eugénie et situer leur mission vis-à-vis des jeunes cuisiniers...

Propos recueillis par Jean-François Mesplède
jfmesplede@lhotellerie-restauration.fr

L'Hôtellerie :
Il y a donc eu cette rencontre à Eugénie-les-Bains. Que peut-elle changer pour la cuisine française ?

Paul Bocuse :
Il est important de préciser que c'est Michel Guérard qui, un jour, a eu l'idée de nous faire rencontrer tous ces jeunes du Groupe des Huit qui avaient quelque chose à dire. Je suis heureux de souligner qu'au cours des trois jours que nous avons passés ensemble, nous n'avons pas parlé de chiffres ou de rentabilité, mais de cuisine et de transmission de notre métier aux jeunes de demain. C'est très important et significatif d'un certain état d'esprit. J'ai trop souvent déploré qu'au cours de rencontres professionnelles, on oublie souvent de parler de cuisine pour ne penser qu'aux chiffres... pour ne pas me réjouir du contraire aujourd'hui.

Marc Veyrat :
Un jour dans le TGV, j'avais parlé à Paul Bocuse de notre souhait de créer le Groupe des Huit. Il trouvait que c'était une idée sympathique et que ce souci de transmettre ne pouvait avoir que son aval. Il ne s'est jamais trompé et croit avant tout aux hommes... c'est important.

Paul Bocuse :
Comme ils ont pu tenter de le faire par le passé, certains journalistes ont essayé de nous opposer. Il a toujours existé entre nous un respect mutuel et je me dis que si Sodexho s'est engagé avec Marc Veyrat, ce n'est pas le fait du hasard mais parce qu'il existe quelque chose de solide chez lui...

Marc Veyrat :
Il est important de revenir sur un point évoqué par Paul Bocuse qui sait si bien faire des affaires : c'est vrai qu'entre nous, nous n'avons jamais parlé d'argent, de chiffre d'affaires, d'investissement, de cash flow. Nous avons vécu un moment vrai de fraternité, avec parfois les yeux embués par le plaisir et l'émotion d'une telle rencontre.

Marc Veyrat :
Je suis entièrement d'accord. Il existe trop de donneurs de leçons alors que les meilleures doivent venir des clients qui viennent chez nous et vont partout ailleurs.

L'Hôtellerie :
Avez-vous le sentiment que cette rencontre à Eugénie peut assainir le climat au sein de la Cuisine Française ?

Paul Bocuse :
L'important est de travailler dans la même direction, de faire connaître notre métier et de nous attacher à ce que la cuisine appartienne toujours aux cuisiniers. Sans des gens comme Fernand Point, Gaston Richard et Paul Mercier, je ne serai pas là aujourd'hui. Il est primordial de transmettre et c'était le sens de notre rencontre.

Marc Veyrat :
Ce qui nous a réunis est une certaine ouverture d'esprit. Les dissensions qui existent ou ont pu exister, ont été créées par ceux qui y avaient intérêt pour tirer les marrons du feu. Nous ne pouvons cautionner ce genre d'attitude. Le problème fondamental reste que les cuisiniers sont des cuisiniers, les journalistes des journalistes et que les affaires sont dures !

L'Hôtellerie :
Vous avez beaucoup parlé de transmettre. Que diriez-vous aux jeunes d'aujourd'hui pour les inciter à l'optimisme ?

Marc Veyrat :
Ils doivent savoir que notre métier reste le plus beau du monde. Si j'ai quelques conseils à leur donner, c'est d'abord qu'ils restent eux-mêmes pour faire la cuisine qui leur plaît et plaît à leurs clients qui sont leurs meilleurs juges. Ils doivent faire des restaurants à leur image et considérer les banquiers comme des alliés et non des adversaires. J'ai renégocié mes prêts et ils doivent faire de même pour mieux envisager l'avenir.

Paul Bocuse :
Il y a encore de l'argent à gagner et je pense l'avoir démontré avec mes brasseries où j'ai tenu à associer mes MOF à 48% parce que pour doubler le bonheur, il faut savoir partager. En cuisine comme en politique, rien n'est jamais unifié mais l'important est ailleurs : dans cette réelle amitié qui nous a réunis dans la plus belle maison du monde pour une rencontre très importante.

Marc Veyrat :
C'était, je vous l'assure, un grand moment de bonheur et d'émotion.

L'Hôtellerie :
Concrètement, que peut-elle changer à la vie de la cuisine française ?

Marc Veyrat :
Il faut y voir le début d'un processus, d'un passage de témoin entre deux générations avec la caution de Paul Bocuse qui reste le pape de la cuisine française. Que des gens comme lui, mais aussi comme Michel Guérard que je considère comme mon père spirituel, Roger Vergé, Alain Senderens et d'autres cautionnent notre mouvement est hautement significatif. Le fond est là !

Paul Bocuse :
C'est une première prise de contact qui doit en amener d'autres. Nous nous connaissions mal et j'ai vu que mon ami Roger Vergé était emballé par ces jeunes qui ont un message à faire passer. Michel Guérard a évoqué l'idée d'annuelles «Journées d'Eugénie» autour de la cuisine française. Je trouve cette idée très bonne.

Marc Veyrat :
Il me semble essentiel d'avoir démontré que nous n'étions pas positionnés les uns contre les autres mais ensemble, et qu'il devait réellement exister une transmission de témoin entre générations.

Paul Bocuse :
La plupart d'entre vous ont déjà la quarantaine. Je pose simplement la question : qu'y a-t-il derrière vous ? Il y a sûrement des jeunes de qualité...

Marc Veyrat :
Notre génération doit impérativement s'en occuper comme Paul Bocuse l'a fait pour nous. En 1987, il était venu chez moi en éclaireur pour juger sur pièces, il avait trouvé une certaine authenticité et l'avait dit. Nous devons agir de la même manière et prévoir des rencontres.

Paul Bocuse :
Il doit toujours exister dans notre métier cette tolérance qui manque trop souvent. Et certains doivent prendre garde à ne pas se laisser dévorer par les oiseaux de proie qui nous guettent.

(1) N° 2568 du 2 juillet 1998. Dans les années 70, Alain Chapel, Raymond Oliver, René Lasserre, Jean Troisgros figuraient également parmi les fondateurs de cette Nouvelle Cuisine qui allait beaucoup faire parler d'elle.


« L'important est de travailler dans la même direction, de faire connaître notre métier et de nous attacher à ce que la cuisine appartienne toujours aux cuisiniers. »


« Il existe trop de donneurs de leçons alors que les meilleures doivent venir des clients qui viennent chez nous. »


L'HÔTELLERIE n° 2570 Hebdo 16 Juillet 1998

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration