Un petit restaurant espagnol embauche en décembre 1996 un salarié en qualité de
cuisinier. Au bout de 5 mois, l'employeur craque. Il notifie au salarié son licenciement
pour faute grave au motif d'une indiscipline caractérisée.
Le salariée saisit le conseil de prud'hommes de Paris. Il dit que son licenciement est
abusif. Selon lui, son licenciement pour faute grave ne serait en fait qu'un licenciement
économique déguisé. Pour preuve, l'entreprise aurait quelques temps avant son
licenciement passé une annonce dans le journal "L'hôtellerie" afin de recruter
un cuisinier à moindre coût !
En réponse, l'employeur conteste. D'ailleurs, le salarié ne justifie pas de la parution
d'une telle annonce. Il poursuit en rappelant les faits reprochés au salarié et en
s'efforçant d'en rapporter la preuve.
"Passée la période d'essai, ce salarié a commencé à refuser de respecter
ses horaires de travail. Rien que sur le seul mois de mars 1997, j'ai dû lui adresser 4
avertissements. Il n'en a pas tenu compte et a persisté à se présenter en retard à son
poste de travail.
En plus, il était le seul cuisinier du restaurant. Très souvent, j'ai donc du refuser
des clients. Un midi, j'ai même dû fermer le restaurant."
L'employeur ajoute qu'il était aussi reproché au salarié de refuser d'exécuter des
tâches entrant dans ses attributions de
cuisinier : préparation de plats commandés par la clientèle, préparation de
desserts...
Ce salarié refusait même de respecter les règles d'hygiène élémentaires en cuisine :
port de la tenue vestimentaire d'usage, vérification des dates de péremption des
produits, nettoyage et entretien de la chambre froide.
A l'appui de ses affirmations, l'employeur produit de nombreuses attestations : du
plongeur, d'un serveur et du directeur. Il lui était en fait impossible de conserver
d'avantage ce salarié sans compromettre la survie du restaurant.
Après avoir délibéré, le conseil de prud'hommes de Paris a, le 7 avril 1998,
débouté le salarié de sa demande en paiement du préavis ainsi que de dommages et
intérêts pour le licenciement abusif. Pour ce faire, il se fonde sur :
* la faible ancienneté du salarié dans l'entreprise ;
* l'important dossier disciplinaire du salarié ;
* la preuve apportée par l'employeur de l'indiscipline du salarié ;
* le préjudice subit par le restaurant.
C'est au regard de ces critères que le conseil de prud'hommes estime que l'indiscipline du salarié justifiait son licenciement pour faute grave.
Le deuxième exemple concerne un restaurant gastronomique prestigieux étoilé au
Michelin.
Le chef de rang en question a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave. Le motif :
en fin de service, il a abandonné son poste de travail et ne s'est plus représenté dans
l'entreprise.
Le salarié saisit le conseil de prud'hommes. Pour lui la rupture de son contrat de
travail est abusive. Il affirme qu'à la fin de son service, l'employeur lui aurait
d'abord fait des remarques injustifiées, puis l'aurait insulté devant la clientèle.
Dans ces conditions, il était en droit de prendre acte de la rupture de son contrat de
travail au tort exclusif de l'employeur. En d'autres termes, le salarié estime que
l'employeur a commis une faute grave et qu'il est de ce fait, licencié de façon abusive.
Pour fonder ses propos, il produit une attestation d'un ancien collègue de travail, selon
lesquels l'employeur serait un "monstre de bêtise, de haine et de racisme."
L'employeur ne peut laisser le salarié tenir de tels propos : "cette attestation
est antérieure aux faits", affirme-t-il. "De plus, elle a été
rédigée par un ancien salarié avec lequel le demandeur n'a travaillé qu'une dizaine de
jours au cours de sa période d'essai. Si le contenu de cette attestation s'avérait
véridique, le salarié ne serait pas resté plus que sa période d'essai et encore moins
2 ans dans l'entreprise ! Il s'agit d'une attestation de complaisance !"
Il produit pour sa part, de multiples attestations de salariés réfutant les propos
diffamatoires tenus à son encontre.
L'employeur rappelle les faits, tels qu'ils se sont déroulés. A la fin du service du
midi, il a fait des remarques à son salarié sur la qualité de son travail. Celles-ci
concernaient des erreurs dans la préparation des additions et la remise des vestiaires.
Le salarié ne les a pas acceptées. Immédiatement après, il a quitté l'établissement
en emportant la recette en espèces, pour une somme de 1.530 F.
Le lendemain, le salarié n'est pas réapparu. Quelques jours après, il a restitué la
recette mais il a refusé de reprendre ses fonctions, malgré les 2 mises en demeure de
reprendre son travail adressées par l'employeur. Dans ces conditions, ce dernier n'a pu
que procéder à son licenciement pour faute grave. L'employeur ajoute que ce salarié
avait déjà fait l'objet d'un avertissement pour des faits de même nature.
Jugeant cette affaire en décembre 1997, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté
le salarié de l'intégralité de ses demandes et confirmé son licenciement pour faute
grave.
Le conseil de prud'hommes de Paris retient en premier lieu que le salarié n'apporte pas
la preuve des insultes de l'employeur. Il en déduit que le salarié n'était pas en droit
de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Puis, le conseil de prud'hommes retient que l'abandon de poste du salarié en emportant la
recette ainsi que son absence injustifiée en dépit des mises en demeure de la société,
justifiaient bien un licenciement pour faute grave. L'avertissement présent au dossier du
salarié conforte au surplus le conseil dans son appréciation.
La brasserie en cause vient de changer de mains. Les nouveaux employeurs prennent
possession de l'établissement début mars 1997. A cette occasion, ils reprennent un
certain nombre de salariés conformément à l'article L.122-12 du code du travail.
Dès la reprise, un des salariés fait preuve d'agressivité envers sa nouvelle direction
et même de ses collègues de travail. Le premier jour, la nouvelle direction est obligée
de lui faire des remarques. Le salarié ne les prend pas en considération. A la fin du
mois de mars, il provoque un véritable esclandre devant la clientèle, au cours duquel il
insulte son employeur en termes particulièrement grossiers. Ce dernier se voit contraint
de lui notifier une mise à pied à titre conservatoire afin de le sortir immédiatement
de l'entreprise. il engage une procédure qui aboutit au licenciement pour faute grave du
salarié.
En dépit des faits qui lui sont reprochés, le salarié n'hésite pas à saisir le
conseil de prud'hommes d'une demande en dommages et intérêts pour rupture abusive. A
l'appui de sa requête, il se contente de faire valoir son ancienneté dans l'entreprise
(+ de 2 ans) ainsi que l'absence de tout précédent disciplinaire.
En face, la défense de l'employeur est imparable. Il produit un ensemble
d'attestations émanant tant de collègues de travail du salarié que des clients de
l'établissement. Tous témoignent de la grossièreté des propos tenus par le salarié à
l'encontre de sa direction.
Il ne faudra pas longtemps au conseil de prud'hommes pour débouter le salarié et
confirmer le licenciement pour faute grave. Deux motifs à cette décision : la gravité
des injures proférées, l'atteinte à l'image de marque de l'établissement qui s'en est
suivie, et ce peu importe l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et l'absence de tout
dossier disciplinaire.
Dans l'affaire qui suit, le salarié est embauché en qualité de commis de cuisine dans
un bar à vins. Il travaille seul en cuisine sous les ordres du gérant qui fait office de
chef de cuisine.
Après plusieurs semaines de travail passées ensemble, le ton semble monter entre les
deux hommes. Le commis accuse le gérant de tenir des propos racistes à son encontre. Le
gérant s'en défend et demande au salarié de s'expliquer sur ses accusations. De plus,
il reproche au commis de cuisine de "rechigner" au travail depuis la fin de
l'essai. Celui-ci s'emporte. Soudain il insulte son employeur et le menace de lui
"défoncer la gueule" et de joindre le geste à la parole, il se saisit d'un
couteau de cuisine qu'il pointe en direction du gérant. Celui-ci prend peur et s'enfuit.
Il engage immédiatement une procédure de licenciement pour faute grave du salarié.
Ce dernier saisit le conseil de prud'hommes de Paris. Il nie avoir insulté et menacé son
employeur. Il affirme que c'est lui la victime, son employeur lui ayant à diverses
reprises adressé des insultes à caractère raciste.
En défense, l'employeur conteste la version du salarié. A aucun moment, il n'a eu de
tels propos. Bien au contraire, il a tout fait pour aider ce salarié. Il l'a sorti du
chômage, lui a offert un emploi où son absence de qualification n'a pas fait défaut. Au
départ, tout allait bien !
Par la suite, le salarié a commencé à refuser d'exécuter le travail demandé : "il
ne voulait plus faire la plonge, l'épluchage des légumes...", témoigne
l'employeur "il disait que ce n'était pas le travail d'un commis. Or dans mon
établissement où l'on travaille à 2 en cuisine, le commis doit faire ces tâches. En
fait, il voulait faire pression et décrocher une augmentation de salaire".
N'obtenant pas satisfaction le salarié a rapidement changé d'attitude et fait preuve
d'agressivité, jusqu'au jour où il en est venu à des menaces physiques. L'employeur
produit enfin l'attestation du seul et unique serveur qui ayant entendu des injures s'est
précipité dans l'escalier pour assister aux événements.
Le conseil de prud'hommes déboutera le salarié de l'intégralité de ses demandes :
* La preuve des injures et des menaces proférées à l'encontre de l'employeur sont
rapportées par ce dernier ;
* leur gravité rend impossible de maintenir d'avantage le salarié à son poste de
travail sans risque pour l'intégrité physique de l'employeur ;
* ces faits sont intervenus alors même que le salarié justifiait d'une faible
ancienneté (6 mois).
Dans ce petit restaurant travaillent ensemble une serveuse, une apprentie et le patron
qui fait office de chef de cuisine.
Ce jeune employeur se trouve confronté au tempérament fougueux de sa jeune serveuse. Il
lui a déjà adressé deux avertissements, mais en vain. Celle-ci continue de faire preuve
d'insubordination. Elle est notamment coutumière de retards.
Las de ce comportement, l'employeur lui en fait une nouvelle fois, la remarque, alors
qu'elle arrive en retard. La salariée s'emporte. Elle injurie l'employeur, puis passe
derrière le bar et casse tout ce qui s'y trouve : verres, assiettes de décoration,
bouteilles de vin, moutardiers, pots de fleurs, lampes, etc... Des éclats d'assiettes
blessent une apprentie au poignet, le vin se déverse sur la moquette et la tache. C'est
un cyclone qui ravage la salle de restaurant !
Il faut donner l'alarme, appeler la police. L'apprentie se précipite dehors chez les
commerçants du quartier. Lorsque le boulanger arrive, il trouve la salariée dans un
véritable état de furie, elle a dévasté le bar. Son employeur la ceinture comme il
peut afin de la calmer. A l'arrivée de témoins, elle prend peur et s'enfuit non sans
avoir au préalable renversé trois tables dressées pour le service.
L'employeur décide de procéder à son licenciement pour faute.
La salariée saisit, néanmoins, le conseil de prud'hommes et demande des dommages et
intérêts pour licenciement abusif.
Le 8 octobre 1997, le conseil de prud'hommes déboute la salariée de l'ensemble de ses
demandes et confirme son licenciement pour faute grave. Selon lui, "au vue des
pièces fournies par l'employeur et notamment des attestations de témoins, la salariée a
eu un comportement qui justifiait son licenciement pour faute grave."
Une fois encore, le conseil de prud'hommes retient pour motiver sa décision, la
réalité et la gravité des faits reprochés à la salariée, mais aussi :
* la faible ancienneté de la salariée ;
* son dossier disciplinaire ;
* l'importance du préjudice subit par l'employeur.
Dans tous ces exemples, le conseil de prud'hommes a jugé qu'il y avait eu faute grave
du salarié justifiant un licenciement immédiat. Pour ce faire, le conseil de prud'hommes
a d'abord vérifié si l'employeur produisait une lettre de rupture motivée, comportant
les motifs précis du licenciement. A défaut, le licenciement est immédiatement
qualifié d'abusif.
Puis, il a vérifié si l'employeur apportait la preuve de la réalité et de la gravité
de la faute reprochée au salarié. C'est en fait à lui et à lui seul qu'incombe la
lourde tâche de prouver les faits. Des attestations de témoins se relèvent là
particulièrement efficaces.
Enfin, le conseil de prud'hommes a pris aussi en considération d'autres éléments,
tels que :
* l'ancienneté du salarié ;
* son dossier disciplinaire ;
* sa volonté de nuire ou non à l'entreprise ;
* l'étendue du préjudice pour l'entreprise.
Autant de critères qui peuvent aider à la reconnaissance de la faute grave, mais qui peuvent aussi atténuer la gravité de la faute. Il faut s'en souvenir.
Franck Trouet
SNRLH
N'OUBLIEZ PAS LA PROCÉDURE DE LICENCIEMENTLa faute grave d'un salarié ne dispense pas l'employeur de respecter la procédure
de licenciement. Cette procédure impérative est applicable quelque soit l'ancienneté du
salarié et l'effectif de l'entreprise. |
Mise à pied à titre conservatoireSouvent quand le salarié a commis une faute grave, l'employeur veut se séparer
rapidement du salarié mais il doit aussi prendre le temps d'effectuer la procédure de
licenciement. Une solution : la mise à pied à titre conservatoire, qu'il ne faut pas
confondre avec la mise à pied à titre disciplinaire. Modèle Convocation à l'entretien préalable avec mise à pied à titre conservatoire M ............ Le ..... Nous sommes amenés à envisager de vous licencier. Compte tenu de la gravité des faits constatés, nous vous notifions par la présente votre mise à pied à titre conservatoire avec effet à compter du.... dans l'attente de l'issue de la procédure en cours. Veuillez agréer, M....... (*) s'il n'y a pas de représentant du personnel dans l'entreprise : "...ou par une personne extérieure à l'entreprise, inscrite sur une liste dressée par le préfet que vous pourrez consulter à l'adresse suivante...". |
L'HÔTELLERIE n° 2567 Hebdo 25 Juin 1998