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A LA LOUPE

Restauration

n Un marché parallèle

Les commerçants deviennent aussi restaurateurs

Les grands magasins et des commerces plus restreints ouvrent de plus en plus souvent leur espace de restauration. Si le phénomène du "food in shop" n'est pas extrêmement nouveau, les partenariats entre enseignes plus ou moins connues sont la nouveauté du domaine, pour une tendance qui reste toutefois modeste.

Quelle mouche a piqué ces commerçants à vouloir créer leur restaurant au coeur de leurs magasins ? On voit en effet une petite nouvelle vague de créations ou d'installations de formules de restauration dans les différentes enseignes de la distribution. Célio, Armani, Habitat, Ikea et autres grandes marques ouvrent ou ont ouvert leur propre structure ou leur formule concédée de restauration. Leurs motivations et leurs stratégies sont aussi différentes qu'il y a d'opérateurs. Quelques-uns disent qu'après avoir conquis Londres, il est normal que le concept "food in shop" arrive en France. Les autres parlent des Etats-Unis comme modèle. Mais, rien ne semble très clair pour comprendre ce qui motive cette nouvelle approche. Pour autant, il y a schématiquement deux orientations. Les magasins situés à l'extérieur des grandes villes, comme Ikea, ont un restaurant quasiment obligatoire, qui sert de lieu de pause pour la clientèle qui y reste quelques heures pour ses achats ou pour déambuler. "Il faut pouvoir créer une ambiance sympathique. Souvent les personnes entrent dans les magasins sans une réelle envie d'y acheter quelque chose, mais simplement pour s'y promener. Il faut aussi satisfaire ces gens-là. La création d'un restaurant s'inscrit dans un meilleur accueil des clients", dit Yves Cambier, directeur de la communication d'Habitat. En centre-ville, la raison d'être des restaurants de magasins est parfois plus surprenante.

De vrais restaurants commerciaux

Mettre en place un restaurant dans un grand magasin est une idée qui n'est pas nouvelle. Précurseurs en la matière, les grands magasins de la fin du siècle dernier ont rapidement compris l'intérêt qu'ils pouvaient en tirer. Leur volonté au départ était de combler tous les besoins de leurs clients. Le concept du "Tout sous un même toit" s'enrichit au fil des décennies. Les espaces de restauration servent à garder les clients sur place et se transforment tout le long de la journée entre restaurant et salon de thé. Quelques restaurants de grands magasins parisiens sont maintenant ouverts durant les dîners et attirent des clients qui ne sont pas forcément acheteurs. Le Toupary de la Samaritaine offre même une vue panoramique sur la Seine et prend des habits de restaurant à chandelles pour amoureux, le soir venu. On a conscience que le restaurant est un lieu vivant et que c'est une prestation comme une autre que le magasin peut vendre. Mais, dans une boutique spécialisée, le raisonnement est différent. La durée moyenne de visite est courte. Le restaurant devient une prestation pratiquement parallèle, presque sans lien avec le magasin. Dans certains cas, il s'agit parfois de "la danseuse du président".

Un moyen de garder le client sur place

Tenter le client est le leitmotiv de tout commerçant. Si ce n'est que pour consommer au bar ou au restaurant, le passage obligé par le magasin, pourra l'inciter à acheter un article. "Nous avons beaucoup de secrétaires qui viennent prendre leur repas à midi, puis elles partent se promener dans le magasin ou se lancent dans leurs courses le temps de leur pause-déjeuner", explique Caroline Prouvé, responsable de clientèle dans un grand magasin. Certaines grandes enseignes réintroduisent le café dans leurs murs. Cela correspond à une approche donnant plus d'attraits aux lieux, ce qui colle bien avec l'univers des disquaires, par exemple. C'est le cas de la Fnac, qui s'est associée avec Columbus Café. "Le café faisait partie du concept de la Fnac à l'origine. En 1977, nous avons préféré utiliser l'espace à une autre fin. Nous y sommes revenus en 1992 parce qu'il s'agissait d'une demande de la part de nos clients. Le Fnac café, c'est un point de rendez-vous, de détente, de repos. Ce n'est pas un produit d'appel", argumente Pierre-Jean Richard, directeur des concepts. Juste un café, car la Fnac ne souhaitait en aucun cas se lancer dans la restauration comme c'est le cas chez Virgin depuis une dizaine d'années.

Le restaurant bouche-trou

Pour d'autres comme Célio, c'est le contraire. C'est une surabondance d'espace qui les a motivés pour créer un espace de restauration dans leur boutique en face de l'Opéra de Paris. Il s'agissait aussi, en filigrane, de faire profiter aux clients comme aux non clients des atouts du magasin : une vue imprenable sur l'Opéra Garnier. "En fait, c'est l'occasion qui a fait le larron. Ce n'était pas prévu dans la stratégie de développement du départ. Mais, l'espace disponible était tel que nous n'avions pas suffisamment de références de vêtements pour occuper tout le magasin. La création d'un restaurant est venue naturellement", explique t'on chez Célio. Si ces restaurants ou cafés attirent des clients, c'est bien entendu pour leur situation mais aussi et surtout grâce à la notoriété et à l'image du magasin. A l'ouverture, ce sont les clients de la boutique qui s'y bousculent en premier mais aussi la clientèle de quartier. En aucun cas, la rentabilité d'un restaurant ne peut être espérée par la venue de la seule clientèle du magasin.

Clients habitués

D'après ces commerçants, la clientèle des habitués est assez dominante dans l'espace restauration. Ces boutiques et magasins sont souvent situés dans des centres d'affaires et à l'heure du déjeuner, cadres, dirigeants et secrétaires s'y attablent facilement. "Au Virgin Café à Paris, la clientèle qui fréquente le restaurant le midi est assez différente de celle du Mégastore. A cette heure-là, c'est une clientèle d'affaires qui est satisfaite de trouver un endroit pour déjeuner pas trop cher sur les Champs-Elysées. Le ticket moyen est d'environ 140 francs. En revanche, le soir, il est plus faible, aux alentours de 100 francs. Mais, c'est véritablement notre clientèle venue pour le Virgin Mégastore, qui en profite pour se restaurer. Il en est de même durant le week-end," explique Patrick Druart, qui dirige le Virgin Café. Le plus important dans la stratégie d'ouverture d'un restaurant, c'est de ne pas désorienter la clientèle. Il est indispensable qu'il y ait une corrélation entre le positionnement et l'image du magasin, et celui de la restauration. Parfois, cette homogénéité est trop forte ! "Quand vous allez déjeuner chez Armani, ce sont des plats de qualité que vous vous attendez à déguster, à l'image des vêtements proposés. En revanche, la restauration est issue un peu trop du même concept : les petites portions sont destinées aux appétits d'oiseaux des mannequins et les prix sont du même acabit que ceux pratiqués en boutique", s'indigne une cliente.

Des prestataires qui n'ont pas à chercher le client

La motivation du côté des cafetiers ou des restaurateurs de monter des implants dans les magasins est beaucoup plus simple à comprendre. Dans les grands magasins, la clientèle n'est pas à chercher et le prestataire de restauration peut se contenter de fournir. Certains restaurateurs qui gèrent ces espaces de restauration montrent leur marque, d'autres non. Pour Columbus Espresso Bar, il s'agit bien d'une stratégie de marque. La Fnac est ainsi une opportunité que les concepteurs de Columbus ne pouvaient laisser passer. "La formule que nous avons proposée à la Fnac correspondait à ce qu'ils avaient envie de faire. De plus, nous étions une petite structure, donc plus facilement malléables. Il fallait faire aussi cohabiter nos logos. En bref, des tas de petits détails que nous pouvions facilement régler grâce à la souplesse de notre exploitation. Le partenariat avec la Fnac nous a permis de rebondir et d'avoir une plus grande visibilité", explique Philippe Bloch, co-président de Columbus Espresso Bar.

Une présence en toile de fond

La vision de Flo est différente. Il bénéficie déjà d'une forte réputation mais pourtant il a accepté de signer un mandat de gestion avec Habitat, sans qu'aucune reconnaissance de la marque Flo ne soit visible par la clientèle. De son côté, Habitat ne souhaitait pas entreprendre une telle opération sans un partenaire capable de ne pas décevoir. Didier Luneau qui dirige la branche concession "TSF" (Transmission de Savoir- Faire) chez Flo, s'explique : "La démarche que nous avons pu avoir à l'époque avec les grands magasins fin 1989 n'a rien à voir avec celle entreprise avec Habitat. Le Printemps souhaitait à l'époque faire venir des marques connues ; ils ont fait appel à nous. Du côté de Habitat, il s'agissait beaucoup plus de prendre un restaurateur qui avait un positionnement similaire au leur, à savoir proposer des produits de qualité. Que notre nom n'apparaisse pas, n'est pas un handicap. Nous gérons aussi 5 restaurants au Festival Disney sans qu'on sache que c'est Flo qui est derrière tout ça. Nous nous voulons simplement que les gens viennent manger chez nous, c'est tout." Du côté de chez McDonald's, la réflexion est différente. Ils viennent de s'implanter bien visiblement au coeur du rayon jouets des Galeries Lafayette de Paris. La cible naturelle : enfants et parents/grands-parents. Les cas de créations de restaurants à l'intérieur des magasins restent du domaine de l'exception et on ne devrait pas trouver trop souvent de telles implantations ailleurs que dans les grandes surfaces. En bons distributeurs, chacun sait que le mètre carré de l'espace restauration est moins rentable que celui d'un disquaire. Mais, pour les commerçants proposer un lieu de convivialité et d'échange comme un café reste sans doute une bonne idée, très en harmonie avec les goûts actuels du public. Ils préfèrent doucement s'associer avec des opérateurs de la restauration connus.

M.-L. Estienne


L'HÔTELLERIE n° 2561 Supplément Economie 14 Mai 1998

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