Actualités

EMPLOI

Carrière

n Les jeunes et les métiers des CHR

La grande illusion

Alors que les professionnels crient leur désespoir de ne pouvoir trouver du personnel compétent à embaucher, les jeunes sont toujours aussi nombreux à se bousculer aux portes des écoles hôtelières ou d'apprentissage. Mais, peu restent dans la profession.

Comment expliquer cette curieuse situation où il y a d'un côté plus de 3 millions de chômeurs, et de l'autre, un secteur économique qui souffre de pénurie de personnel ? Les professionnels des CHR n'ont pas besoin de statistiques pour se rendre compte de cette réalité, qui les touche tous du plus bas au plus haut de gamme. Et cela les inquiète profondément. Pourtant, le milieu de l'hôtellerie et de la restauration a toujours attiré beaucoup de candidats, car les métiers y semblent très accessibles. On dit que le secteur offre des débouchés, qu'il est en plein développement, que les loisirs vont encore évoluer en même temps que le tourisme. Il y a de quoi envisager une carrière avec optimisme, enjolivée par l'image du voyage et des voyageurs. Mais, les évolutions conjoncturelles et culturelle, ont modifié l'ordre des choses. Les CHR sont souvent cités comme créateurs d'emplois, mais ceux-ci sont souvent précaires et la faiblesse des salaires ne motive plus.

Un refuge pour les jeunes en échec scolaire ?

Car on pourrait penser qu'avec les difficultés à pourvoir leurs postes vacants, les professionnels allaient devoir se plier à des augmentations importantes des rémunérations proposées. Il n'en a rien été. "Le personnel est pratiquement le premier poste de charges d'exploitation dans un hôtel-restaurant. C'est un secteur qui est fort employeur de main d'œuvre. Mais, avec le poids des charges sociales, j'y réfléchis à deux fois avant d'embaucher. Je préférerais que mes employés soient mieux payés, ce que je pourrais faire si nous étions moins taxés. Du coup, je travaille deux fois plus qu'avant et j'ai 1/3 de personnel en moins qu'il y a 6 ans, à chiffre d'affaires égal", s'exclame Xavier Dulouillac, propriétaire d'un hôtel-restaurant 3 étoiles dans l'Est. Le problème est réel. Sur environ 1,2 million de salariés qui s'activent autour des métiers touristiques, 75% ne toucheraient que le SMIC et près de 70% ne sont pas des permanents. La profession hôtelière souffre également d'une image largement dévalorisée, de servitude, de travail forcené et de faible reconnaissance. Des valeurs que les Français ne veulent plus rencontrer. "Beaucoup de monde a envie d'entrer dans ce métier et d'être tout de suite un grand chef de cuisine multi sacralisé, un directeur d'hôtel de renommée ou un chef concierge de Palace", ironise un vieux routier de la profession. La restauration, souvent mise en vedette par les médias, vient en tête pour concentrer les postes les plus convoités. Elle joue un rôle important dans le choix des formations hôtelières par les jeunes. Mais, l'orientation vers les autres métiers liés au tourisme se fait parfois plus par contrainte que par vocation. Le tourisme semble avoir pris la réputation d'un refuge pour les jeunes désorientés ou avec un passé d'échec scolaire.

Besoin de nouveaux profils

Comme le métier semble avoir changé. Au départ, le secteur de l'hôtellerie et de la restauration était un milieu plus ou moins fermé. Vous naissiez la spatule à la main et une toque sur la tête sinon point de salut dans le métier. La noblesse dans la profession était constituée par les familles hôtelières de père en fils, sur plusieurs générations. Mais, le développement d'une nouvelle forme d'hôtellerie, dont les chaînes, et la mondialisation du tourisme ont accru les structures d'accueil et le nombre de postes à pourvoir. Le secteur, endormi il y a une vingtaine d'années, offrait brutalement de belles perspectives de carrière à tout candidat un peu motivé. Il n'était pas rare d'être directeur d'hôtel à 30 ans, voire avant. De nouvelles filières se sont développées en même temps qu'on ne demandait plus les mêmes qualités professionnelles aux dirigeants d'exploitations. Il fallait soudainement devenir bon gestionnaire, puis commercial hors pair et à présent homme de marketing, tout en faisant montre de belles prouesses de manager. Ces contraintes créant une "complexification" progressive du métier, ajoutées à sa dévalorisation, ont fabriqué un furieux doute dans l'esprit des jeunes. Aujourd'hui, environ seulement un jeune sur cinq est resté dans la profession, cinq ans après sa sortie d'une école hôtelière. Sujet à méditer.

Des espérances vite refoulées

Pourtant, la profession hôtelière fait toujours rêver. Dans un pays où le bac ne vaut plus rien et où les métiers manuels n'ont plus la cote, il y a encore, dans beaucoup d'écoles hôtelières, seulement une place libre pour sept à douze demandeurs. Malheureusement, après quelque temps, les candidats au métier sont souvent surpris du décalage qui existe entre leurs rêves et la réalité. Une idéalisation et par conséquent une absence de connaissance du secteur les font souvent tomber de haut. "C'est un peu comme au théâtre, on ne voit que le spectacle qui en met plein la vue, sans trop savoir ce qui se passe dans les coulisses" , se plaît à dire un hôtelier. Ne tournons pas autour du pot ; la profession hôtelière est devenue décevante pour les jeunes. Pour y travailler, il faut de plus en plus de foi et une vocation en acier trempé. Une fois le diplôme acquis, ceux qui sont arrivés au bout de leurs études sont confrontés à un deuxième problème, la recherche d'un emploi. Ce n'est pas tant que les offres soient inexistantes. Bien au contraire. Les professionnels sont en permanence à la recherche de personnel. Mais, ils offrent surtout des postes d'exécution et de base. Les jeunes diplômés sont pour leur part exigeants. Ils pensent qu'à partir du moment où ils ont un diplôme, certains postes de direction leur sont dévolus d'office. "Dès les premiers jours en entreprise hôtelière, même les plus mordus confrontés à "la corvée de patates", ont parfois du mal à rester accrochés", raconte un professeur d'école hôtelière.

Peu de postes d'encadrement

"Je ne vais quand même pas accepter un poste de simple standardiste alors que j'ai un BTS", s'exclame Valérie, jeune diplômée. "J'ai besoin de mener à bien tout un projet pour pouvoir m'épanouir dans un travail. Ce n'est pas à la réception que je vais trouver ça. Le mieux que je puisse espérer et de finir chef du service, déclare Sophie en deuxième année de BTS. Cela ne me pousse pas à rester dans le métier". Des témoignages comme ceux-ci sont légion. Ce que recherchent les jeunes à l'heure actuelle, c'est directement un poste à responsabilité. Mais, ces emplois se font de plus en plus rares. Le pourcentage de cadres dans la profession est très faible : ils ne représentent que 6% des salariés du secteur, contre près de 17% dans les autres secteurs du tertiaire. "Plus le secteur dispose de postes d'encadrement, plus il est motivant. C'est l'une des raisons qui justifie le manque d'engouement pour les métiers de l'hôtellerie et de la restauration", constate un spécialiste en recrutement. La profession regorge d'exploitations à la gestion familiale où seuls des postes d'exécution sont disponibles. La majorité des établissements ont de toute façon moins de 10 salariés. Là où la proportion de cadres, ou assimilés, est plus importante, c'est dans les chaînes hôtelières. Mais, leurs directeurs consacrés souvent très jeunes il y a 20 ans, sont toujours là. D'âge mûr, ils s'accrochent à leur fauteuil de direction. On les comprend. La quasi stabilisation du parc d'hôtels en France empêche la création de nouveaux postes de direction. Par dessus le marché, une tendance veut que les chaînes hôtelières commencent à recruter des cadres issus de formations commerciales ou de gestion, plutôt qu'hôtelières, pour diriger leurs hôtels. De quoi décourager les jeunes diplômés en hôtellerie. Il reste la possibilité de partir à l'étranger, mais contrairement aux idées qui circulent, il y a une minorité de jeunes qui osent ou qui réussissent à quitter la France. D'autant plus que les permis de travail sont délivrés de plus en plus au compte-gouttes dans les destinations prisées, comme les Etats-Unis ou le Canada.

Des candidats peu motivés

Autre alternative, l'explosion des hôtels superéconomiques a voulu être la panacée pour les jeunes qui veulent se "défoncer". "Mais il est de plus en plus difficile de trouver des gérants pour ces hôtels", indique le responsable du personnel d'une chaîne 0-1 étoile. Savoir qu'ils devront peut-être faire le ménage et tenir la réception les fait fuir. Ils s'imaginent déjà dans leur petit bureau bien capitonné à donner des ordres à leur personnel." D'autres chefs d'entreprises ont un regard encore plus sévère sur les jeunes d'aujourd'hui. "Malgré le chômage et la dureté de la vie, je trouve que les jeunes sont des fainéants, voulant tout sans effort. Ils sont de plus très vindicatifs et ne veulent pas se salir les mains", s'apitoie Pierre, hôtelier à Lyon. Si la profession hôtelière suscite de moins en moins de vocations, c'est aussi parce qu'elle se montre de plus en plus marginale par rapport aux autres secteurs. L'hôtellerie et les hôteliers sont jugés réactionnaires, anti-progressistes. On parle même, sans doute avec exagération, "d'esclavagisme" en faisant allusion aux conditions de travail du personnel. Il faut dire que si les salaires sont ce qu'ils sont, il n'y a plus beaucoup de compensations indirectes pour les salariés. Le pourboire, pour le personnel en contact avec la clientèle, permettait dans certains cas de doubler son salaire. Aujourd'hui, la clientèle est de moins en moins nombreuse à déposer une piécette ou un billet dans la coupelle de l'addition.

Un appauvrissement des prestations

De plus, alors que l'Assemblée nationale vient de voter les 35 heures, les professionnels du tourisme se posent la question de savoir quel va en être l'impact sur leur personnel. Déjà, les horaires pratiqués dans la profession n'ont rien à voir avec ceux qui sont en vigueur dans les autres secteurs. Toutefois, ce ne sont pas tant les quantités d'heures travaillées qui posent le vrai problème, mais les nombreuses coupures, les jours de congés décalés, le travail de nuit... qui ne sont pas compensés par des rémunérations conséquentes. Et puis, les emplois précaires, dont les boulots saisonniers, lassent la jeunesse en quête de stabilité. Une récente étude révélait que 72% des jeunes de moins de 22 ans rêvent ainsi de devenir fonctionnaires. Les jeunes ne veulent plus gâcher leur vie privée. Du coup, l'hôtellerie, quand elle trouve des employés, vit un important turn-over de son personnel et les exploitants ont des enfants qui ne veulent plus reprendre l'affaire familiale. Un drame.

Poursuivre ses études pour échapper au travail

Les jeunes en formation hôtelière s'imaginent, en poursuivant leurs études que ce soit après un CAP ou un BTS, qu'ils pourront échapper aux postes d'exécution dont la profession a tant besoin. Du coup, ils sont nombreux à vouloir s'inscrire à Cornell aux Etats-Unis ou à Lausanne. "Mais, c'est reculer pour mieux sauter ! s'étonne Richard Champion, sous-directeur d'un hôtel sur la Côte Basque. Ils ne se rendent pas compte que le passage par le terrain est obligatoire. C'est en faisant ses preuves au bas de l'échelle, que des postes plus enrichissants pourront être proposés. La formation que le jeune aura suivie n'est pas perdue et lui servira quelques années plus tard." C'est un point de vue qui reflète la réalité qui a cours. A chaque échelon correspond une compétence et le passage par les postes de base est encore souvent indispensable. "Si les jeunes veulent continuer leurs études. Il leur est vivement recommandé de choisir une formation en alternance. Cela leur permet de mieux appréhender le monde de l'entreprise et facilite l'insertion. C'est surtout la personnalité du candidat qui prime lors d'une embauche. En fait, la profession a besoin de gens de terrain à des niveaux intermédiaires", indique Pierre Berthet, Président de l'Unatech. Au niveau de la restauration, les jeunes sont toujours demandeurs de formation d'apprentissage, car ils ont le sentiment de faire un vrai métier. Ils créent quelque chose de leurs mains.

Un risque d'appauvrissement des prestations

Le milieu des CHR souffre donc d'un trop plein de cadres et d'une carence en personnel de base. C'est l'un des maux principaux du secteur, ajouté à celui de la dévalorisation du métier qui ne sait plus raconter de belles histoires à la jeunesse. Une profession qui n'attire plus les jeunes est une profession qui meurt. Il est certain que les hôteliers et les restaurateurs voudraient embaucher plus et s'offrir de bons professionnels. Mais, le coût du travail les en décourage légitimement, et une augmentation de leurs charges ne peut être répercutée sur les additions. La clientèle se fait déjà tirer l'oreille pour aller plus souvent au restaurant ou à l'hôtel et trouve que leurs prestations sont trop chères par rapport à son budget. Si la profession, aidée par le gouvernement, ne trouve pas rapidement une solution à ses problèmes d'embauche et de travail, elle continuera à encourager son appauvrissement en ressources humaines. Elle court également le risque de proposer un niveau décevant de qualité de ses prestations, ce qui parfois se vérifie déjà. Et dans ce jeu-là, personne n'est gagnant.

M. Habert


L'HÔTELLERIE n° 2561 Supplément Economie 14 Mai 1998

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration