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n Commercialisation hôtelière

Les hôteliers apprennent à apprécier leurs commerciaux

Après une très lente évolution des mentalités, les hôteliers commencent à reconnaître les vertus de la vente. La commercialisation active, faite par des vendeurs confirmés, est une nécessité que personne ne contestera plus. La profession s'organise de manière énerg-ique en même temps que la reprise s'accélère.

Jacques Pouligny, est directeur commercial d'un grand laboratoire pharmaceutique situé dans le quartier d'affaires de La Défense près de Paris. Son entreprise est grosse consommatrice de nuitées hôtelières et organise beaucoup de séminaires partout en France. Pour cette raison, cet acheteur de nuitées est très souvent sollicité par les chaînes hôtelières. Mais, il est aujourd'hui las de pratiques commerciales qui le font s'interroger. "Le mois dernier, j'ai mis à la porte un commercial d'un groupe hôtelier, qui venait me présenter son hôtel. Je reconnais que j'ai perdu patience. En moins d'un an, j'ai reçu la visite de 12 commerciaux de ce même groupe, représentant tantôt une de ses chaînes, un hôtel du quartier, une zone géographique... Impossible d'avoir un seul interlocuteur permanent pour tout le groupe. De plus, quand le contact passe bien, le commercial est changé. Je ne veux plus travailler avec des gens qui ne savent pas s'organiser". Des déçus comme Jacques Pouligny, il y en a de plus en plus selon les témoignages de chargés de voyages dans les entreprises. C'est à la fois le résultat d'une très forte agressivité commerciale des hôteliers, encouragée par la récession et par une forte concurrence. Mais, c'est sans doute aussi dû à un manque de maturité dans les organisations des groupes hôteliers et des hôtels. Il faut dire que les clients et acheteurs dans les entreprises sont désormais bien informés et sont devenus de bons experts en hôtellerie. Certains connaissent parfois mieux le marché et l'offre hôtelière, que les commerciaux hôteliers qui les prospectent. "Avec la reprise économique en hôtellerie, on a l'impression que les hôteliers veulent très vite retrouver des clients. Alors, ils nous harcèlent sans cesse". note un chargé de voyages, apparemment blasé.

Devoir chercher le client

En fait, l'appel à des services commerciaux en hôtellerie est un phénomène relativement neuf qui date du milieu des années 1970. Mais, il s'agissait plus de relations publiques et de prescription, que de vente comme on l'entend aujourd'hui. Quand les clients poussaient tout seuls les portes des hôtels, il n'y avait pas de besoin de commercialisation. Puis, vint la commercialisation en zone primaire entamée par les hôtels de chaînes. "Il s'agissait essentiellement de se faire connaître dans la ville auprès des entreprises et des institutionnels, pour se créer une notabilité", se souvient Max Herbert, ex-hôtelier alsacien aujourd'hui à la retraite. Les besoins en dynamique de promotion et de vente hôtelière sont venus lorsque la demande s'est affaissée, vers le début des années 1990. Bref, il fallait imaginer aller à la pêche au client. On estime que l'hôtellerie en France emploie environ 2.300 commerciaux, internes (qui sont attachés à un seul hôtel) et externes (qui commercialisent un ensemble d'hôtels). Pour autant, les commerciaux internes, au statut hybride, sont souvent considérés dans les hôtels comme des touches-à-tout : il n'est pas rare qu'on les réquisitionne souvent pour le service des banquets, pour débarrasser ou pour faire la mise en place de salles.

Des commerciaux mal considérés

Si la commercialisation hôtelière est une réalité, les motivations des hôteliers pour utiliser les services de commerciaux sont des plus diverses. "Pour un hôtelier, sortir de son hôtel pour trouver le client est un acte difficile. Cela lui semble même parfois contre nature et il finit par refuser de le faire lui-même", observe un attaché commercial d'une société de commercialisation. C'est une des raisons qui justifient que les hôteliers recrutent des commerciaux. Mais, à entendre ces derniers, les hôteliers sont peu nombreux à faire correctement leur travail. "Ils pensent qu'il suffit d'envoyer un mailing de temps en temps ou d'inviter un prospect à déjeuner. Ils ne savent pas utiliser leurs vendeurs. Les hôteliers n'ont quasiment jamais de stratégie et de politique commerciale affirmée, n'assurent pas de suivi de leurs clients et ne raisonnent qu'à court terme", juge durement Christine Talle-Berthier, qui a assuré la commercialisation de plusieurs hôtels jusque il y a un an. En fait, les hôteliers semblent n'avoir jamais vraiment donné leur chance aux commerciaux, qui ont presque toujours été les mal compris, les mal lotis et les mal aimés de la profession. "Quand il y a des clients, c'est grâce à l'hôtelier ; quand il n'y en a pas, c'est à cause du commercial", fustige un responsable commercial d'un petit groupe hôtelier familial. Cette mauvaise image des commerciaux est sans doute à torts partagés. Les hôteliers n'ont sans doute souvent pas su diriger, fixer des objectifs clairs et suivre le travail des commerciaux. Pour eux, un commercial coûte trop cher et les résultats de son travail ne se hument pas avant environ six mois. Par méconnaissance du métier de la vente et des attentes de leur clientèle, les hôteliers ont souvent confondu et mélangé les objectifs, sans se donner des priorités, ni entreprendre de programmer les actions commerciales. "Les hôteliers veulent tirer sur tout ce qui bouge et sur tout ce qui peut remplir leur planning. Pour la Coupe du Monde de Football, il y a des hôtels qui vont augmenter leurs prix de façon exagérée, valablement sur tous leurs clients. C'est une politique de tiroir-caisse qui ne respecte pas les clients qui viennent toute l'année et qui sauront s'en souvenir", observe un directeur commercial de chaîne hôtelière.

Réorganisation des forces de vente

Les commerciaux, de leur côté, n'ont souvent pas été assez convaincants pour imposer des méthodes, des conditions aux hôteliers, voire une crédibilité. "Il y a encore aujourd'hui, y compris dans plusieurs grands groupes hôteliers, des commerciaux qui ont des fiches de clients dans une boîte à chaussures. L'informatisation des fichiers est pour eux du domaine de la science-fiction. On imagine aisément ce qui se passe quand ces vendeurs quittent l'entreprise", commente un consultant en organisation. "On a connu des attachés commerciaux que l'on avait l'impression de ne voir que passer leur temps à table et avec toujours les mêmes personnes", ajoute un chef de réception. Aujourd'hui, aux lendemains d'une crise en hôtellerie où bien du monde a été sonné, les consciences sont mobilisées. Les chaînes et groupes hôteliers, bientôt suivis par les indépendants, sont en train de réorganiser leur commercialisation. Ils cherchent aussi des commerciaux avec de nouveaux profils : plus vendeurs que par le passé, presque stratèges, plus volontaires et plus mobilisés autour de la cause de l'entreprise. Tempête dans un verre d'eau ou profonde révolution culturelle ? Personne ne peut encore le dire, mais ici et là de grands signes montrent que cela bouge. Chez Accor, où le projet Accor 2000 bat son plein, la réorganisation des forces de ventes est à l'ordre du jour. Une nouvelle orientation sera présentée en septembre prochain avec pour objectifs principaux la performance des collaborateurs et la création d'une passerelle entre les marques hôtelières, jusque-là commercialement rivales. "Nous sommes passés en hôtellerie d'une ère de prescription à une ère de vente. La vente, c'est un métier technique qui a ses spécificités. Chez Accor, les commerciaux doivent devenir des stars. Ils ne devront plus vendre un hôtel ou une marque, mais l'ensemble des 2.500 établissements du groupe. Plus question de connaître chaque hôtel, mais d'avoir des outils de vente adaptés. Notre nouvelle organisation est construite à partir du client", explique Hervé Jeanson, à la direction des ventes France de Accor.

Nouveaux profils

On constate aussi que les hôteliers commencent à ouvrir leur commercialisation à des professionnels qui ne sortent pas obligatoirement du sérail. Par exemple, Hôtels & Compagnie a engagé il y a quelques mois Alain Bouchart, directeur commercial et marketing qui travaillait auparavant pour un grand brasseur. Ailleurs, il est de plus en plus courant de trouver des recrutements volontaires de commerciaux issus d'autres secteurs, là où on n'employait que des personnes, réceptionnistes ou chefs de réception, accédant à ces postes par promotion interne. Cette approche est motivée par une envie pour les hôteliers de trouver des collaborateurs avec des yeux neufs, capables d'innover dans leur démarche commerciale. "Les commerciaux n'ont plus besoin d'être, dans l'absolu, des hôteliers. Ils doivent connaître en revanche les systèmes de distribution dans le tourisme et être sensibilisés au yield management. On ne demande plus de connaître les hôtels à fond pour les vendre", pense Eric Fiat, patron d'Activ'Gestion, société de commercialisation hôtelière. "Il est demandé aux commerciaux de posséder surtout des qualités relationnelles, d'être curieux et d'être créatifs", poursuit-il. En fait, les employeurs attachent de plus en plus d'importance à la personnalité des candidats et à leurs capacités à intégrer de petites structures. Même avis pour Pascal Gauthier, directeur commercial de la chaîne parisienne Timhotel : "Pour moi, un commercial en hôtellerie doit être impliqué et doit être intéressé à la marche de l'entreprise".

Responsable devant son client

Les pratiques commerciales demandées aux vendeurs changent également. "On ne peut plus être le nez au vent. Il faut établir sa politique des ventes avant de lancer ses commerciaux dans l'action. Il faut un travail de préparation en amont et calculer l'investissement et le retour sur investissement dans la vente. On se concentre sur des cibles de clientèle et on ne se déplace plus chez les prospects qui représentent une faible potentialité d'activité. La relation peut très bien être entretenue par téléphone", argumente Alain Bouchart. Tous les responsables commerciaux sont d'accord pour dire que les vendeurs doivent être autonomes, avoir des objectifs mesurables et mesurés, être suivis et qu'ils doivent disposer d'assez de pouvoir de décision en matière tarifaire, par exemple. "Plus question de faire attendre un client pour lui communiquer des prix ou des disponibilités. Il faut être responsable devant son client", insiste Pascal Gauthier. En fait, on veut impliquer le commercial en amont dans la stratégie commerciale de l'entreprise et ne plus le réduire en simple tireur de sonnettes. Il devient presque un "marketer" de terrain, toujours en observation sur ce qui évolue sur le marché. Mais, son travail doit être toutefois limité à un rôle précis. Pour Eric Fiat, "le commercial en hôtellerie est un chasseur, un rabatteur d'affaires. Il accroche le client et c'est ensuite à l'hôtelier de prendre le relais en fournissant la prestation et l'accueil".

Intéressements et primes

A la question du commercial embauché qui doit venir avec un fichier de prospects ou non, les réponses diffèrent et relativisent l'importance de la chose. "Un fichier commercial en soi n'est rien. Tout le monde peut acquérir une liste de noms de contacts ciblés. C'est seul, la connaissance personnelle des contacts qui peut être un avantage et une valeur ajoutée pour un vendeur. Mais, ce n'est pas une règle universelle", développe Pascal Gauthier. Enfin, le système de rétribution des attachés commerciaux prend un tournant, bien que l'ouverture des salaires reste très large : entre 7.500 et 11.000 francs brut, à expérience égale ! A l'instar des tendances qui s'affirment dans les entreprises des autres secteurs d'activité, la rémunération des commerciaux hôteliers s'oriente vers un fixe plus important, soit entre 80 et 90% du salaire, pour un variable plus faible. "Je crois qu'il faut que les vendeurs soient récompensés par des intéressements à la mesure de ce qu'ils créent comme chiffre d'affaires. Il doivent avoir un fixe raisonnable et surtout des intéressements sur objectifs sans limitation", développe Hervé Jeanson. Opinion qui n'est pas forcément la même ailleurs. "Il est difficile d'attribuer une paternité à un achat en hôtellerie. Un nouveau client venant de signer un contrat peut très bien avoir été démarché trois ans auparavant, avoir entendu parler de la chaîne par un ami ou avoir vu une publicité. Je crois que le commercial doit avoir un salaire fixe tout à fait correct et des primes symboliques et accessibles, mais limitées en quantité, sur les résultats de l'entreprise et non directement sur ceux de son travail", défend Pascal Gauthier.

Un investissement commercial

C'est un choix que font de plus en plus les entreprises, qui préfèrent attribuer la prime plutôt que la commission. Elle permet de motiver les vendeurs sur des objectifs différents, que ce soit de produits, de clientèle ou de marge. Il est certain que l'hôtellerie et les hôteliers, dont beaucoup sont encore très surpris des retombées d'actions commerciales engagées et qui découvrent les vertus de la vente, veulent accepter l'idée de vendeurs professionnels. Si un commercial coûte chaque mois en moyenne à son employeur entre 20.000 et 24.000 francs (salaire, charges sociales, etc.), cela ne couvre pas ses frais de fonctionnement. Aussi, les hôteliers se rendent-ils comptent qu'employer une force de vente est un véritable investissement, qui entre dans la stratégie globale de l'entreprise. S'il y a de plus en plus de professionnels convaincus de l'utilité de la commercialisation et de sa nécessaire organisation, le vendeur va devenir très certainement un partenaire important et respecté par la hiérarchie hôtelière. Question de temps.

M.Watkins


L'HÔTELLERIE n° 2561 Supplément Economie 14 Mai 1998

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