Les chaînes hôtelières intégrées n'ont quasiment plus que la franchise pour se développer et se tournent avec ardeur vers les hôteliers indépendants. S'il y a de plus en plus de professionnels prêts à les rejoindre, elles se voient confrontées à des hôteliers affolés de perdre leur liberté.
"Les chaînes hôtelières sont condamnées à se développer quoiqu'il arrive ; c'est dans leurs gènes", s'exclame sans rire un développeur d'une chaîne hôtelière. Se développer, oui, mais désormais pas n'importe comment, ni comme on veut. Depuis, plus d'un an, la plupart des chaînes hôtelières intégrées ont dû faire une croix sur la construction d'hôtels neufs en France ou, en tout cas, modérer furieusement leurs prétentions en ce domaine. Si quelques enseignes plutôt économiques réalisent encore des acquisitions d'hôtels existants, tous les opérateurs s'accordent pour dire qu'il ne reste aujourd'hui plus grand-chose d'intéressant à reprendre sur le marché. La plupart des chaînes ne peuvent que se tourner vers les hôtels exploités par des hôteliers indépendants ou de petits groupes d'hôtels. Car le drame que vivent les réseaux intégrés est que d'un côté, les investisseurs institutionnels et les banquiers ont quasiment disparu de l'univers financier de l'hôtellerie (bien que des banques d'affaires et des fonds de placement étrangers émergent aujourd'hui sur le marché français). De l'autre côté, les investisseurs privés non hôteliers sont allés voir ailleurs en quête de placements défiscalisés autorisés. De quoi manquer de financements. Et puis, on ne peut plus construire librement en raison de la loi Raffarin.
A présent, pour les chaînes hôtelières intégrées, le gros des troupes à recruter se trouve dans le vivier d'hôteliers indépendants. La franchise, qui garantit un minimum de durée dans la relation entre le réseau et ses membres, est la formule la plus en vogue. Concrètement, selon Coach Omnium, 78% des hôtels entrés récemment au sein des chaînes intégrées sont des franchises. Car si les chaînes volontaires ont longtemps souffert d'avoir des adhérents les quittant à la moindre contrariété, les intégrés ont préféré ferrer le poisson pour qu'il ne s'en aille pas trop vite. Un contrat de franchise, qui possède une véritable valeur juridique et quelques garanties, est en cela suffisamment rigide pour empêcher franchiseur ou franchisé de divorcer à la légère une fois le document signé. Pour autant, les contrats de franchise en hôtellerie d'aujourd'hui ne ressemblent plus à ceux d'hier. Il y a encore quelques années, on s'impliquait (ou on s'enfermait, selon les opinions) pour un minimum de 15 ans en moyenne, avec des clauses de sortie extrêmement drastiques. Pour rompre un contrat de franchise, il fallait prouver une faute grave de l'autre partie ; situation en général difficile à obtenir. C'est toujours vrai maintenant, sauf que les chaînes hôtelières qui se sont accordées pour stratégie de croître par la franchise ont assoupli considérablement les conditions contractuelles d'affiliation : on signe toujours pour 10 à 15 ans, mais une possibilité de dénonciation de la relation après trois ans, sans frais, est introduite de plus en plus souvent par les franchiseurs. L'élasticité se retrouve aussi dans une foultitude de compromis accordés par les sergents-recruteurs des enseignes, comme par exemple un allégement des droits d'entrée, des délais plus longs pour mettre en place les standards de la chaîne, un échéancier de paiement de la première année de redevance plus avantageux pour le franchisé, etc. Même les chaînes réputées par le passé comme étant les plus anguleuses et les plus dictatoriales dans leur démarche à l'égard de leurs membres affiliés, n'ont pas échappé à cette nouvelle approche toute en souplesse, voire en douceur.
Toute cette stratégie prouve une adaptation considérable des chaînes au marché
environnant. Parce qu'ils ne reçoivent plus assez de candidatures spontanées jugées
valables venant d'hôteliers indépendants et parce qu'ils se concurrencent entre eux, les
réseaux intégrés doivent aller chercher et démarcher ceux qui correspondent à leurs
critères. Autant dire, qu'un hôtel 2 à 4 étoiles, situé en centre-ville, en bon
état, disposant d'un minimum de
50 chambres peut voir arriver une dizaine de propositions d'affiliation par des chaînes
différentes. Que cet établissement porte déjà une autre enseigne de chaîne volontaire
n'a pas d'importance et ne décourage personne. D'ailleurs, même les critères
d'adhésion se sont considérablement ajustés à la réalité de l'offre. Les chaînes
intégrées admettent désormais des hôtels de moins de 50 chambres, voire de moins de 40
chambres, et parfois pas de toute première fraîcheur, ce qui était impensable il y a 4
ou 5 ans. Elles attirent ainsi une centaine d'hôteliers nouveaux par an, ce qui n'est pas
nul. Les montants des redevances perçues au titre de la franchise (droits-d'entrée,
royalties, services à la carte) ont également chuté de façon vertigineuse dans
beaucoup d'enseignes. Mais, outre la configuration physique des hôtels que les chaînes
ont dû accepter en leur état, le principal obstacle à surmonter pour recruter des
hôteliers indépendants reste du domaine psychologique. Quand on est une chaîne
intégrée, considérée parfois comme le loup dans la bergerie par les hôteliers
indépendants, comment s'attirer à soi les agneaux, sans les effrayer ?
Si beaucoup d'hôteliers indépendants pensent par idéologie, par préjugé ou par principe qu'entrer dans un réseau intégré est un geste contre nature, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir sauter le pas. Pour autant, beaucoup de freins viennent perturber cette démarche. Le premier est la peur de perdre sa liberté. Selon, une étude de Coach Omnium (portant sur 250 hôteliers indépendants et 335 franchisés), 49% des hôteliers candidats à la franchise ont peur de ce qu'ils pourraient trouver à rejoindre un franchiseur. Ils disent craindre de devoir se plier aux exigences liées au produit, comme la dépersonnalisation de leur hôtel, l'obligation d'investir ou encore un trop grand contrôle que la chaîne exercerait sur leur exploitation. 26% des professionnels redoutent les contraintes commerciales et 18% la perte de leur indépendance. Justifiées ou non, ces craintes ne sont pas sans fondement. Si la plupart des franchisés en place ne se plaignent plus réellement d'une perte de liberté, tous ne sont pas logés à la même enseigne. Dans la majorité des cas, la franchise satisfait plutôt. Mais, tout de même, 4 franchisés sur 10 se déclarent déçus par leur franchiseur. On lui reproche généralement de ne pas avoir tenu les promesses mises en avant au moment de la signature du contrat ou encore d'être peu à l'écoute des affiliés.
Les hôteliers ne se suffisent plus de porter une enseigne connue ou moins connue. "Si au début de la franchise en hôtellerie, les hôteliers affiliés avaient l'impression de se retrouver dans une grande famille et de participer à une sorte d'aventure avec leur franchiseur, aujourd'hui ils veulent voir un résultat additionnel sur leur chiffre d'affaires, palpable et mesurable, et des moyens pour leur faciliter la vie", commente un directeur de chaîne. Pour être motivés à adhérer à un réseau, 93% des candidats à la franchise aimeraient pouvoir profiter des services groupés (centrale de réservations, guide, centrale d'achat,...), 82% veulent bénéficier d'une assistance commerciale, et 47% souhaitent obtenir des conseils de spécialistes de la chaîne. Le message est clair. Les franchisés déçus sont souvent ceux qui ont vu un décalage entre leurs attentes, voire leurs fantasmes, et les services rendus par leur chaîne. Ainsi, certaines enseignes connaissent épisodiquement une véritable hémorragie d'adhérents mécontents qui partent à la première occasion qui leur est donnée. Face à cette situation, les chaînes hôtelières ont montré qu'elles avaient plus d'un atout dans leur jeu. Quelques enseignes récentes ou remises à jour se développent relativement bien et présentent des "scores de bonheur" de leurs franchisés, qui font référence. Pour réussir à satisfaire leurs clients, ce qui est souvent leur premier objectif pour se rentabiliser, certaines chaînes ont compris qu'elles devaient d'abord veiller à satisfaire leurs hôteliers.
C. Gary
COMBIEN ÇA COÛTE D'ADHÉRER À UNE CHAÎNE ?Le coût d'adhésion à une chaîne hôtelière intégrée est excessivement
variable. Le prix est fixé par la chaîne en fonction de ce qu'elle estime posséder
comme savoir-faire, comme moyens promotionnels, comme notoriété, comme résultats
d'activité et en fonction de son ancienneté et du nombre d'hôtels. L'adhésion à une
chaîne intégrée coûte entre 4 et 13 fois plus cher que l'affiliation à une chaîne
volontaire. COMPARAISON DE COÛTS ENTRE CHAÎNES VOLONTAIRES ET CHAÎNES INTÉGRÉES
(1) - 4,6 millions de francs de chiffre d'affaires pour 55% de taux d'occupation (2) - les montants de redevances sont une moyenne exprimée au forfait par chambre ou en pourcentage sur le chiffre d'affaires. Ces montants officiels sont communiqués par les chaînes et peuvent varier à la hausse ou à la baisse selon les cas. Exemple de coûts moyens d'adhésion, hors achat d'équipements normatifs et de produits d'accueil pour un hôtel 2* de 50 chambres en province, avec restaurant (3) - coûts exprimés hors taxes -- hors mandat de gestion (3) - 7,5 millions de francs de chiffre d'affaires pour 55% de taux d'occupation
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L'HÔTELLERIE n° 2561 Supplément Economie 14 Mai 1998