Depuis décembre dernier, la propriétaire (1) d'un établissement de cinq chambres dans un petit village près de Salers ne dort plus. Son hôtel est fermé, suite à l'avis défavorable de la commission de sécurité. Depuis, courriers, interventions d'élus ou de clients restent vains. "La pilule est dure à avaler !", soupire-t-elle. "Je pensais que la commission allait me donner des conseils, m'aider à planifier des travaux éventuels. Mais non !" La fermeture est intervenue le soir même de la signature de l'avis défavorable. "Mes parents ont tenu l'hôtel pendant 25 ans et moi je l'ai repris il y a dix ans. Je n'embête personne. Je ne demande rien à personne", lance-t-elle. Elle a calculé. Il faudrait 120.000 F pour mettre les chambres aux normes. "Je ne peux pas investir cette somme. Nous ne travaillons pas suffisamment, seulement pendant la saison et surtout quand les hôtels de Salers sont complets. De plus, pas question d'augmenter le prix de la nuit, actuellement de 140 F pour les chambres avec lavabo et de 180 F pour celles avec douche. Et j'ai déjà des emprunts à rembourser". Alors que faire ? Elle a proposé un calendrier de travaux sur trois ans. Elle espère qu'il va être accepté par la sous-préfecture.
Mais les soucis ne s'arrêtent pas là. L'hôtel se complète d'un bar et d'un restaurant. Et la cuisine n'est pas aux normes non plus. "Elle n'a pas encore été contrôlée. Mais je sais bien qu'il faudrait tout casser et tout refaire. Et comme elle sert au restaurant et à ma vie familiale, c'est irréalisable", raconte-t-elle. Le coût prévisible s'élève à environ 100.000 F sans pouvoir le répercuter sur les repas ouvriers qu'elle sert à 55 F. "Mes clients n'accepteront pas de mettre 20 F de plus pour manger".
Elle envisage donc d'arrêter le restaurant, de conserver le bar et l'hôtel... si les
autorités acceptent sa réouverture contre la mise en place de la détection d'incendie. "Ou
alors la commune rachète tout et je deviens simple salariée...", lance-t-elle.
Mais ce débat n'est pas à l'ordre du jour du conseil municipal. "Il ne faut pas
rêver. Si je dois fermer, personne ne récupérera mes clients, des habitués qui
venaient déjà du temps de mes parents. Ils ne cherchent pas des deux étoiles mais une
ambiance, un cadre familial". En attendant, elle ne sait pas quoi répondre à
ceux qui téléphonent pour réserver une chambre. D'autant que l'établissement est cité
dans le guide du Routard : "simple, bien tenu, propreté impeccable ; cuisine du
terroir délicieuse".
"Mais j'ai peur, peur qu'après les travaux on trouve autre chose, qu'il faille
recommencer à investir". Cette crainte est partagée par René Legras. C'est son
épouse Annie, qui tient l'Hôtel du Château à Anglards-de-Salers. Là aussi, l'avis
défavorable de la commission de sécurité menace l'établissement. Saisonniers, Annie
Legras et son mari se battent pour avoir le droit d'ouvrir. "Le problème, c'est
que nous ne sommes sûrs de rien. Tout peut changer dans les prochaines années pet il
faudrait tout recommencer."
René Legras pose une série de questions. Pourquoi tous les établissements d'une même commune ne sont-ils pas vérifiés en même temps ? "Car je suis fermé, mais l'hôtel voisin, lui, va ouvrir. Il semblerait qu'un flou juridique existe pour savoir qui doit réaliser les travaux ente propriétaires, locataires et gérants. Alors ils passent au travers des contrôles." Pourquoi la sécurité s'arrête-t-elle à la porte de certains ? "Les normes de sécurité doivent s'appliquer pour tout le monde : chambres d'hôte, gîtes, logements HLM, immeubles vétustes accueillants des locataires, etc."
Pourquoi n'existe-t-il pas un accompagnement financier puisque ces mesures sont
obligatoires et que les subventions ne sont accessibles que pour les établissements
classés ?
Pourquoi n'y a-t-il pas eu de visites de sécurité depuis plus de vingt ans et
qu'aujourd'hui elles se multiplient ? Pourquoi ne pas avoir trouvé des solutions moins
onéreuses adaptées aux petits hôtels ruraux ? Et enfin, pourquoi l'administration
tarde-t-elle tant à répondre "à nos propositions de calendriers, à nos
demandes de réouverture, se questionne-t-il. Quand un problème est sérieux, la
réponse doit être rapide !".
Avec son épouse, il envisage, sans gaieté de cur, plusieurs solutions : "Vendre, mais nous risquons de brader notre affaire ; transformer les chambres en appartements et les louer, mais il faut étudier la question et calculer les investissements nécessaires". Dans tous les cas de figures, l'hôtel semble vivre ses derniers jours. "Nous ne pouvons pas, compte tenu de notre bilan, réaliser les travaux de mise aux normes en investissant 50.000F par an pendant quatre ans", affirme René Legras. Car, comme il le reconnaît, la note est lourde. "Je m'attendais à quelque 20.000 ou 30.000 F, mais là, nous sommes dix fois au-dessus. Cela nous a surpris". Aujourd'hui, les époux Legras espèrent rouvrir leurs 18 chambres pour la saison et avoir ainsi le temps de "se reconvertir". Dans le même canton, monsieur et madame Robert Damon vivent un calvaire similaire. Eux peuvent continuer à exploiter leurs 11 chambres, dont 9 sont louées, sous conditions de réaliser des aménagements. "Nous avons fait des travaux en 1991 pour la sécurité. Cela n'est pas suffisant nous dit-on aujourd'hui. Nous devrions en réaliser d'autres, explique la patronne, ce n'est pas possible. Je ne peux pas." Ils se sont installés à Anglards-de-Salers il y a dix ans en achetant le fonds et les murs de l'hôtel du Commerce. "Je veux bien comprendre que des choses sont à améliorer, mais il y a trop de sévérité actuellement. Cela va trop loin. Si plus de cent hôtels doivent fermer dans le Cantal (2), c'est grave", ajoute-t-elle. Certains pourront penser qu'il fallait réagir plus tôt, profiter de l'appui de la Fédération départementale de l'industrie hôtelière. Elle met à disposition un architecte pour évaluer les travaux et leurs coûts et proposer un échéancier de mise en conformité avant le passage de toute commission, échéancier accepté dans la très grande majorité des cas. Encore faut-il être capable d'investir.
Quoiqu'il en soit, il est trop tard pour les "il n'y avait qu'à". Tous ces professionnels menacés de fermeture, qui vivaient paisiblement de leur travail, se retrouvent aujourd'hui dans l'incertitude, rongés par la peur du lendemain. Vont-ils gonfler le flot des chômeurs sans droit ? Et quel avenir pour les villages en zone rurale ? Faudra-t-il dans quelques années utiliser des fonds publics, via les municipalités, pour relancer ou recréer des commerces alors que ceux existants auront été "bêtement" perdus ?
P. Boyer
(1) Elle préfère conserver l'anonymat pour préserver sa vie privée.
(2) C'est le chiffre avancé par des élus ou des professionnels lors de réunions.
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PARLONS CHIFFRESLe Cantal compte 316 hôtels, dont les 136 non classés, 42% des établissements,
ne représentent que 20% des chambres. La zone de Mauriac, où s'est déroulée l'enquête
ci-dessus, comporte 33 hôtels non classés pour 30 classés. (Source : Les cahiers du point économique de l'Auvergne, Ecoscopie du Cantal, publié par l'INSEE et la CCI d'Aurillac). |
L'HÔTELLERIE n° 2560 Hebdo 7 Mai 1998