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L'événement

Michelin 98

Le coup de trois !

Trois restaurants dans l'ascenseur montant vers les trois étoiles ! Pour le centième anniversaire de Bibendum, Michelin promeut le Louis XV de Ducasse à Monte-Carlo, Pierre Gagnaire à Paris, le Jardin des Sens des frères Pourcel à Montpellier et ne rétrograde personne.

On compte désormais en France 21 restaurants notés au plus haut niveau par le guide rouge.

L'information circulait depuis quelque temps, sans réelle certitude. Elle a été confirmée par Bernard Naegellen en début de semaine : Alain Ducasse, Pierre Gagnaire, Jacques et Laurent Pourcel sont bien les nouveaux trois étoiles d'un cru 98 où aucune rétrogradation n'a été prononcée par les caciques de l'avenue de Breteuil.

A ce niveau, peut-on parler de surprise ? Assurément pas pour Ducasse et Gagnaire dont la valeur n'a jamais été remise en cause ; peut-être pour les frères Pourcel dont on n'attendait pas le couronnement aussi tôt... même si, à l'automne dernier, le guide Gault/Millau en avait fait ses chefs de l'année.

«J'avoue que c'est une surprise», admet du reste Jacques Pourcel. «Dans nos pronostics, il y avait d'autres chefs avant nous, mais nous sommes bien sûr très heureux. Je n'ai pas d'explication particulière sur ce choix, mais avec Michelin il est toujours très difficile de savoir car ce sont des gens qui cultivent le secret. Je suppose que nous avons été suivis et que notre situation géographique entre Eugénie-les-Bains et Monte-Carlo a pu jouer. Peut-être aussi étions nous meilleurs cette année ?

Lorsqu'une telle chose arrive, on se pose forcément des questions. On se demande en particulier s'il ne faudra pas évoluer pour viser une clientèle plus élitiste et habituée aux trois étoiles. Mais nous n'avons pas envie de changer. On nous a donné ces trois étoiles pour ce que nous sommes et pas pour ce que nous serons.» Au Jardin des Sens, tout va donc très bien... comme c'est le cas depuis l'ouverture en novembre 1988. «Nous avons eu la chance de toujours bien tourner et d'avoir une clientèle fidèle. Nous nous forçons à garder des prix assez bas (NDLR : trois menus à 210 au déjeuner, 370 et 580 francs) que nous compensons par davantage de couverts.»

Au Louis XV de Monte-Carlo, tout ne va pas trop mal ! L'année dernière, Alain Ducasse avait repris les trois étoiles attribuées à Joël Robuchon à Paris. Mais il n'avait pas très bien compris la perte de la troisième étoile à Monaco où, selon lui, son restaurant en valait quatre. Le mal est donc réparé (1).

«Michelin a changé d'avis et c'est bien. L'année dernière, il aurait été trop novateur de me donner six étoiles et peut-être n'a-t-on pas osé. C'est bien pour la profession car c'est une modernité nécessaire et c'est très bien pour l'équipe qui voit son travail récompensé. Au-delà d'une satisfaction personnelle, c'est ce que je veux retenir.

A une époque difficile, il y a encore des jeunes qui ont envie et que je défendrai toujours. Actuellement, il y a à travers le monde 85 cuisiniers qui sont passés chez moi. C'est fabuleux pour l'image de la cuisine française. C'est le plus important pour étayer et valider mon discours sur la formation.»

Rue Balzac à Paris et comme on l'imagine, Pierre Gagnaire a enregistré avec plaisir le retour des trois étoiles symboliquement rendues au début de l'année 96. Les circonstances l'avaient alors contraint à déposer le bilan à Saint-Etienne, mais n'ayant jamais été sanctionné sur sa valeur, il paraissait logique qu'il retrouve au plus tôt son... bien.

«J'éprouve le sentiment du devoir accompli. Celui de ne pas avoir déçu les gens qui avaient confiance en ce que nous faisons et qui nous ont permis de redémarrer», lâche-t-il simplement.

«Il n'y a aucun sentiment de revanche, mais celui d'avoir remis les pendules à zéro (sic) pour repartir avec la cuisine à laquelle je crois. La cuisine a bougé de façon fondamentale. Il n'y a ni nouvelle ni ancienne cuisine, mais tout simplement de la bonne cuisine que l'on fait avec son cœur pour rendre les gens heureux», dit-il encore.

Pour cette édition 1998, on notera 38 promotions (3 à trois étoiles, 4 à deux étoiles et 31 à une étoile) et 52... destitutions (5 à deux étoiles dont la mythique Auberge du Père Bise à Talloires et 47 à une étoile). Dans le détail, on peut retenir que Mulhouse et Tours gagnent deux étoilés, que Rennes en perd trois, Colmar Nancy et St-Tropez deux et que c'est le statu quo à Lyon.

J.-F. Mesplède

jfmesplede@lhotellerie-restauration.fr

(1) Seule par le passé la Mère Brazier a réussi pareille performance de 1933 à 1938 pour ses deux restaurants de Lyon et du col de la Luère où deux cartes sensiblement identiques étaient proposées.

En outre, le col de la Luère n'était ouvert que de façon saisonnière. Avec deux cuisines très différentes à Paris et à Monaco et une ouverture toute l'année, le «pari» de Ducasse était donc plus audacieux...


Alain Ducasse : «Michelin a changé d'avis et c'est bien.»


«J'éprouve le sentiment du devoir accompli»,confie Pierre Gagnaire.


Le Jardin des Sens à Montpellier

Jacques et Laurent, la belle histoire

Nés tous deux le 13 septembre 1964, les frères Pourcel ont le même âge qu'Alain Ducasse lorsqu'il décrocha trois étoiles au Louis XV en 1990 (1).

Fils de viticulteurs de Florensac dans l'Hérault, Jacques et Laurent Pourcel ont-ils un jour rêvé d'une autre trajectoire que celle de cuisinier ? Pas vraiment. En fait, les jumeaux n'avaient qu'une envie : cuisiner un jour à quatre mains dans leur propre maison !

De l'Ecole hôtelière de Montpellier à leur installation au Jardin des Sens à 24 ans (2), leur parcours dénote clairement un souci de bien faire : Bras et Chapel pour Laurent le cuisinier ; Trama, Meneau et Gagnaire pour Jacques le pâtissier.

«Chapel était en avance sur son époque avec déjà des cuissons et des jus courts ; Bras avait une cuisine très technique, très réfléchie et savait tirer le meilleur parti de chaque produit ; Gagnaire abordait simplement une cuisine compliquée, en expliquant qu'un plat ne devait être jamais figé, ni pensé trop à l'avance. Nous avons eu la chance de débuter dans le métier au moment où ces chefs étaient en pleine ascension.»

Leur conception du métier, évoqué pour Bernard Degioanni dans son livre «Les cuisiniers de demain», prend en compte toutes ces influences.

«Notre cuisine est simple et dépouillée, c'est celle que nous aimerions manger si nous étions clients chez nous ! Un plat est réussi quand tout ce qui le compose est en osmose. Il doit tenir compte du produit, de sa cuisson, de l'accompagnement et de l'assiette dans laquelle il est servi. Nous sommes hostiles à une cuisine aggressive. Aucun ingrédient ne doit exploser en bouche et un plat doit se comprendre.»

Visiblement la philosophie ainsi définie plaît à la clientèle, puisqu'en 1997, 2.500 à 3.000 couverts ont été servis chaque mois au Jardin des Sens avec un ticket moyen de 540 francs !

«Il faut éviter la dérive de la course aux clients. Quand on évoque la gastronomie, trop de gens pensent à des repas à 800 et 900 francs avec peu de mets dans l'assiette et beaucoup de décor autour. Il ne faudrait pas que les restaurants étoilés découragent les clients.»

J.-F M.

(1) Jacques Lameloise n'avait que 32 ans en 1979 lorsque les trois étoiles furent attribuées au restaurant familial de Chagny dont son père était alors propriétaire...

(2) Avec leur ami et sommelier Olivier Château, Jacques et Laurent Pourcel se sont installés en novembre 1988 avec un investissement de base de 1,6 MF. Par la suite 4 MF ont été réinjectés pour l'agrandissement (1992) puis, grâce au financement de Bernard Chauvin, un... client du restaurant, 16 MF pour la construction d'un hôtel et d'un parking (1996).

Pour 1997, le CA de l'hôtel et du restaurant où sont employés 35 à 40 salariés toute l'année, est supérieur à 20 MF.


«Dans nos pronostics, il y avait d'autres chefs avant nous, mais nous sommes bien sûr très heureux», avouent Jacques et Laurent Pourcel.



L'HÔTELLERIE n° 2551 Hebdo 5 mars 1998

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