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La Truffe Noire et ses mauvais comptes

La Chambre des comptes épingle la gestion du plus célèbre établissement corrézien. et désigne les coupables parmi lesquels l'ancienne municipalité trop ambitieuse et mauvaise comptable.

Pour l'instant personne n'ose en parler en Limousin, et surtout pas à Brive, malgré le changement en 96 du poste-clé, celui de l'inamovible Jean Charbonnel. L'ancien maire, ex-ministre, n'appréciera certainement pas la publication du rapport de la Cour régionale, tant son équipe et lui même sont montrés du doigt dans cette déplorable affaire. Car La Truffe est une véritable institution en terre gaillarde, son histoire étant indissociable de celle de ces quarante dernières années du moins localement. Or, si elle a connu les très graves difficultés que l'on sait (dépôt de bilan, fermeture, reprise etc.), la faute en revient principalement à la manière dont la société d'économie mixte Semhotel s'en occupait.

Cette dernière, créée en 1990 pour 20 ans, avait son capital (2,2 MF) détenu à 80% par la ville, qui gérait déjà La Truffe depuis 1989, via une précédente société baptisée SEMABL, elle-même repreneuse de la SA portant le nom de l'établissement. Son premier exercice faisant apparaître un déficit de 1.500.000 Francs, la nouvelle SEM s'est alors tournée vers un repreneur local, M. Parveaux par ailleurs patron du célèbre Castel Novel, signant avec lui un protocole qualifié de «particulièrement complexe» par les observateurs de la Cour. Dans le détail, la ville, via Semhotel, rachète 4 MF les murs à la SA La Truffe Noire en s'engageant à faire 12 MF de travaux, puis M. Parveaux rachète à son tour au franc symbolique, les 2.500 actions de cette même SA, apportant 2,5 MF de compte courant à la société. La SEM lui consent ensuite un bail commercial, avec promesse de vente ferme après réhabilitation faite des loyers perçus entre temps.

La ville se livre par ailleurs à un pointage entre les deux SEM l'ancienne et la nouvelle, la première donnant gracieusement à la seconde les murs de l'hôtel-restaurant (payés rappelons le 4 MF à l'ex-société de La Truffe). Suit une période d'exploitation catastrophique, menée par des amateurs, béotiens en matière de gestion hôtelière. Résultat des courses : une autre liquidation judiciaire en juillet 1996, un autre trou financier, une bataille entre M. Parveaux et la ville de Brive qui ne veut plus vendre en tenant compte des loyers, un litige judiciaire et la fermeture du plus beau fleuron hôtelier corrézien. Depuis, La Truffe Noire, après de multiples incidents juridiques divers, a trouvé un dernier repreneur, qui n'est pour rien dans toute cette affaire. Une affaire caractérisée, d'après la Cour des comptes, «par un défaut d'expertise, de maîtrise des procédures, de nombreuses irrégularités et de bilans financiers particulièrement défavorables...»

Les erreurs des uns

Que venait faire la ville de Brive dans cette galère ? Perdre de l'argent sans prendre les précautions les plus élémentaires si l'on croit la Chambre comptable, qui, si elle reconnaît l'attachement que pouvait avoir la municipalité à préserver un établissement aussi renommé que La Truffe, s'étonne de la légèreté manifestée par la ville à l'occasion. Lors de la première reprise (par la municipalité) les fautes relevées sont affligeantes : Aucune étude préalable sérieuse effectuée, redressement confié à non-professionnel, (le directeur mis en place avait en tout et pour tout travaillé trois ans dans un complexe hôtelier pour financer ses études), et un projet de développement d'une «banalité déconcertante» (dixit la Cour). Le pire étant que le nouveau patron de La Truffe n'avait dans le montage financier qu'une seule action en propriété (2.950 francs) un apport en compte courant de 150.000 francs (pour un total de plus de 7 MF) et un salaire brut de 25.000 francs mensuel. Payé pour le résultat que l'on sait.

La période «Parveaux» n'est pas non plus à porter au crédit de la cité gaillarde et de son ancien maire. Les engagements pris avec le second repreneur ont été signés hors décisions du Conseil municipal, les baux commerciaux ayant été conclus dans des conditions irrégulières, avec des adjoints au maire non qualifiés pour le faire. De plus, on s'aperçoit que le P.-dg de la première SEM, M. Alibert, était également P.-dg de la seconde, mais aussi de la SA La Truffe Noire (autrement dit, il rachetait sa propre société) et qu'il était adjoint au maire, prenant part aux délibérations autorisant la ville à effectuer l'opération...

L'incroyable micmac financier issu de cet imbroglio juridico-hôtelier serait pour l'organisme consulaire «irrégulier, et entachant la validité de tous les actes.»

A qui profite le crime ?

En tout cas, pas à la ville de Brive, dont les contribuables feront les frais de ce dossier, pudiquement absent de la presse locale. Dans le meilleur des cas, la Chambre estime le déficit à 12 MF même si l'acquisition récente de La Truffe par un authentique professionnel renfloue modestement une comptabilité à la dérive. Pour les experts consulaires, il resterait actuellement quelque 11,5 MF à apurer. En conclusion, la Semhotel, dont la municipalité, a été amenée à prendre des risques inconsidérés pour une opération dont le coût financier était totalement disproportionné au regard des objectifs initiaux, à savoir le sauvetage de la Truffe. Quant à ceux qui se sont réellement remplis les poches au passage, la liste reste à faire, mais nul doute que l'ancien premier dirigeant, puis le mirobolant patron des trois sociétés puissent y figurer en bonne place.

Le principal perdant serait en l'espèce M. Parveaux, qui aura déboursé une somme dont le montant n'est pas indiqué, mais qui ne peut être mis sur le même plan que la SEM, son argent ne venant pas des fonds publics.

Quant à Jean Charbonnel, ancien maire briviste, il se cantonne dans une remarquable discrétion dès que l'on prononce le nom du restaurant, comme son adjoint M. Alibert, P.-dg cumulard à la fois juge et partie, l'institution régionale n'est pas tendre avec lui, soulignant sa responsabilité dans la désastreuse saga de l'hôtel. La seule bonne question étant que ce dernier puisse renaître de ses cendres avec son nouveau propriétaire : la phrase n'est pas de trop, lorsque l'on sait qu'un incendie avait, en 1996, durant sa fermeture entre deux reprises, détruit en partie ce vénérable, mais encombrant, haut lieu de la gastronomie corrézienne.

J.-P. Gourvest



L'HÔTELLERIE n° 2551 Hebdo 5 mars 1998

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