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Travail clandestin

La fin d'une Belle Epoque

Un restaurateur derrière les barreaux. Ce n'est pas fréquent, surtout quand il possède une étoile au michelin et 16/20 au GaultMillau. La cuisine était bonne, mais pas les conditions de travail. Verdict : un mois de prison ferme et huit avec sursis.

Ils sont venus nombreux assister à l'audience ce jeudi 16 avril, pour connaître à quelle sauce allait être cuisiné Alain Rayé gérant de la Belle Epoque à Châteaufort et son épouse Brigitte Rayé. Ce n'est pas moins de 7 infractions qui leur sont reprochées. Comment en sont-ils arrivés là ?

Une enquête est mise
en route

Un premier contrôle à l'initiative de l'inspection du travail a lieu en novembre 1995. L'inspectrice du travail constate alors qu'il y a 12 salariés dont 6 ne sont pas mentionnés sur le registre du personnel depuis mai 1995. Le livre de paie n'est pas à jour non plus. Les déclarations préalables à l'embauche ne sont pas effectuées. Elle dresse alors un procès verbal qu'elle transmet au parquet de Versailles.

En novembre 1996, en nettoyant la turbine à glace, qu'il laisse fonctionner, un jeune salarié se sectionne deux phalanges. Les pompiers sont appelés pour le soigner. Mais leur intervention va entraîner une opération de contrôle des gendarmes. Alain Rayé se présente avec les documents relatifs à son personnel. Les gendarmes constatent que le registre du personnel a été régularisé à la hâte.

A la suite de cet accident du travail, le parquet procède à un classement sans suite, mais demande à la gendarmerie de faire effectuer une enquête supplémentaire par la brigade de recherche. Lors de cette enquête, ils découvriront à côté du restaurant, un établissement secondaire de vente d'épicerie fine, qui n'a pas fait l'objet d'inscription au registre du commerce, ni de déclaration mensuelle de TVA. Ils interrogeront les services de l'URSAFF et constateront que les déclarations sont systématiquement transmises en retard et qu'en outre, Alain Rayé est en retard dans le paiement des cotisations sociales pour un montant qui s'élève à plus de 1 million de francs avec les pénalités de retard et les frais de recouvrement.

Au vu de tous ces éléments, le procureur va donner l'autorisation de procéder à la perquisition de l'établissement. Le mardi 4 mars, à 20 h 30, deux inspecteurs du travail et un membre de l'URSSAF accompagnés d'une trentaine de gendarmes investissent le restaurant. Le cuisinier japonais, travailleur clandestin, essaie de prendre la poudre d'escampette, mais il sera finalement débusqué derrière la chaudière. Sur les 12 salariés, ils constateront aussi l'emploi d'un tunisien dont le titre de séjour était périmé, 3 salariés dont aucune formalité légale n'avait été effectuée, 6 salariés dont une partie des formalités manquait, et un apprenti de 17 ans qui travaillait 70 heures par semaine. Ces faits conduiront à la mise en détention de Alain Rayé jusqu'au jour de son jugement, soit 40 jours d'emprisonnement, et ce malgré une demande de mise en liberté de son avocat.

Employer un clandestin

Lors du procès, à l'énumération des faits reprochés au restaurateur, le président de l'audience, Jean-Michel Hayat constate, que lors du 1er contrôle de l'inspection du travail, le cuisinier japonais était déjà présent dans l'entreprise. Ce dernier précisant lors de son audition par les gendarmes, qu'il avait réussi à se cacher lors des deux contrôles. Ceci conformément aux instructions données par son employeur.

Alain Rayé : «Je n'ai pas renié les faits, c'est bien un travailleur clandestin qui a travaillé chez moi. J'ai fait 40 jours de prison ferme, si j'avais su que cela me condamnait à une telle peine, je l'aurais renvoyé.» Et le président de s'interroger : «Pourtant malgré ces contrôles, qui auraient dû vous servir de clignotants, vous ne l'avez pas renvoyé à ce moment là. Pourquoi ? Quel était votre intérêt personnel à employer un étranger sans titre de séjour ?»

Alain Rayé, tente de se justifier «dans beaucoup d'établissements classés au guide Michelin, on trouve des cuisiniers japonais qui viennent pour se faire une expérience professionnelle et non pas pour faire vivre la famille.»

Le président réitère sa question : «mais quel est votre intérêt personnel ?» Alain Rayé : «il s'agit d'un système qui existe dans la profession depuis des années. Je n'ai pas d'intérêt particulier. Ils sont plus dévoués à l'entreprise dans laquelle il travaille.»

L'inspecteur du travail appelé à témoigner sur le sujet reconnaîtra qu'il existe une véritable filière clandestine de travailleurs japonais dans la restauration, mais d'évoquer aussitôt qu'il existe une voie légale par le biais de conventions de stage avec le Japon.

Le tribunal mettra en avant l'intérêt financier à faire travailler une personne pendant 75 heures par semaine pour un salaire mensuel de 4.000 F payé en liquide.

La lutte contre le travail au noir

Quant au procureur, il commence son réquisitoire par des statistiques. «On constate que 60% des travailleurs clandestins sont employés dans les entreprises de services, et 15% dans le seul domaine des CHR. Ce qui veut dire qu'une entreprise sur sept a recours au travail clandestin. Alors qu dans la confection, qui fait beaucoup plus la une des affaires judiciaires, cela ne représente que 3% des délits. Le travail au noir semble malheureusement accepté par la profession comme un fatalisme nécessaire en raison des charges importantes.»

Mais les pouvoirs publics ont décidé de s'attaquer au chômage notamment en luttant contre le travail clandestin. Une loi du 11 mars 1997 est venue élargir la définition de travail clandestin à travail dissimulé. Aujourd'hui, il suffit d'oublier une seule des formalités lors de l'embauche d'un salarié pour être répréhensible de travail dissimulé, alors qu'auparavant, il fallait l'omission de deux formalités pour constituer du travail clandestin. En outre, cette même loi renforce les droits de ces salariés qui peuvent demander à titre d'indemnité, six mois de salaires.

Quant au salarié tunisien recruté par l'intermédiaire de l'ANPE de Versailles, le procureur rappelle ,que lors de son embauche son titre de travail lui permettait de travailler encore six mois. «C'est vous en tant qu'employeur qui devez procéder aux vérifications, il s'agit de votre responsabilité. Il vous suffisait de joindre au livre de paie son titre de séjour. Ce qui vous aurait permis de voir tout de suite quand celui-ci expirait et de régulariser la situation.»

Un mineur ne peut renoncer à ses droits

Les conditions de travail et d'hébergement de l'apprenti conduiront à la qualification d'atteinte à la dignité humaine. L'apprenti de 17 ans, embauché sous contrat de qualification pour une durée hebdomaire de 43 h pour 2.000 francs par mois, effectuait 70 heuresde travail par semaine.

Pour le procureur, «il est indigne de faire travailler un mineur plus de 70 heures par semaine pour seulement 2.000 francs. Un mineur ne peut renoncer au statut protecteur de la loi.»

Le président interroge alors les deux époux sur leurs horaires de travail. Ceux-ci expliquent qu'ils étaient présents au travail avant et après leurs salariés.

Pour maître Bremont, avocat de Alain Rayé, on est dans le cadre d'un choc de culture : «Pour l'inspecteur du travail, les horaires sont de 43 heures maximum, mais pas dans la profession, qui est en décalage avec ces règles. Il faut éduquer la profession, c'est le rôle de l'inspection du travail.»

Pour le tribunal, les principales victimes sont les salariés, mais aussi les autres restaurateurs : «Vous faites de la concurrence déloyale en ne respectant pas vos obligations et en ne payant pas les mêmes charges». Et de conclure : «Certes, il faut rechercher la satisfaction de la clientèle, mais pas à n'importe quel prix !»

Alain Rayé, lui, a payé le prix, un mois de prison ferme plus huit mois avec sursis. Son épouse, en tant que complice, s'est vu infliger une peine de neuf mois de prison avec sursis. Sa mise en détention couvrant sa peine, Alain Rayé a été libéré le soir même du jugement.

P.C.

«J'ai fait 40 jours de prison.

Si j'avais su, j'aurais renvoyé

ce cuisinier japonais», avoue

Alain Rayé.

«Certes, il faut rechercher la satisfaction de la clientèle, mais pas à n'importe quel prix !», déclare le Procureur.

60% des travailleurs clandestins sont employés dans les entreprises de services et 15% dans le seul domaine des CHR. 1 entreprise sur 7 a recours au travail clandestin.

«Le travail au noir semble malheureusement accepté par la profession comme un fatalisme nécessaire en raison des charges importantes»
, ajoute le Procureur.

Cette affaire met parfaitement en évidence la volonté de l'administration de renforcer les contrôles et les sanctions en matière de travail clandestin. Invoquer la bonne foi, l'ignorance ou les soi-disant usages de cette profession ne seront jamais plus des éléments recevables aux yeux des juges. Choisir délibérément de faire travailler du personnel clandestin, non déclaré, ne peut être une attitude responsable de la part d'un professionnel qui ne pourra que se mettre en opposition avec tous ses collègues qui, malgré une conjoncture difficile, choisissent de respecter la loi et assument financièrement les charges correspondantes. Un employeur qui choisit de ne pas déclarer son personnel fait preuve d'une concurrence déloyale caractérisée par rapport à ses confrères.

On ne pourra donc que mettre en garde tous les professionnels devant de telles pratiques et espérer que le cas de Alain Rayé, aussi difficile humainement soit-il à vivre pour lui, serve au moins de leçon aux autres.



L'HÔTELLERIE n° 2507 Hebdo 24 avril 1997

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