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Table ronde

La formation actuelle répond-elle aux besoins des professionnels de la restauration ?

L'adaptation de l'enseignement hôtelier aux besoins des professionnels de la restauration reste un sujet d'actualité. Malgré la rénovation des diplômes à la demande des professionnels et la participation de la profession dans l'élaboration des référentiels, il semble toujours difficile de recruter des jeunes aujourd'hui capables de répondre aux besoins des professionnels, notamment en matière d'accueil et de service. En réunissant à la fois des professionnels, des professeurs, des inspecteurs généraux de l'Education nationale et des étudiants, L'Hôtellerie a voulu pousser le débat plus loin en essayant de trouver des solutions dans l'intérêt de chaque partie


Propos recueillis par Béatrice de Lacretelle


L'Hôtellerie :

Quels sont aujourd'hui les besoins des professionnels en matière d'enseignement hôtelier ?

Gabriel Biscay :

«En ce qui concerne la cuisine, on sait très bien que pour arriver à former un cuisinier qui maîtrise son métier, il faut compter environ dix ans. Face à cette réalité, j'estime qu'aujourd'hui les jeunes entrent un peu trop tard en apprentissage, s'ils intégraient la formation à l'âge de 14 ans au lieu de 16 ans, comme cela se faisait autrefois, ils pourraient se rendre compte suffisamment tôt de la réalité de ce métier (emploi du temps soutenu, pas de week-end, etc.) et de leurs motivations premières, afin d'éventuellement pouvoir se recycler s'ils décidaient de changer de branche professionnelle. Tandis qu'à l'heure actuelle, les jeunes terminent leur apprentissage à l'âge de 19 ans en moyenne, font leur service militaire, un problème qui devrait bientôt disparaître, puis entrent dans la vie active à l'âge de 20 ou 21 ans. Et, à ce moment-là, il est trop tard pour réussir à les former correctement.»

Laurent Clivillé :

«Il est certain que les jeunes arrivent de plus en plus tard en apprentissage. Et je crois fortement que cela est dû au fait que ces jeunes ne viennent pas à nos métiers par choix, mais par une certaine forme d'obligation, car ils ne sont plus en mesure de choisir, mais de prendre ce qui est possible et ils savent pertinemment que l'hôtellerie-restauration est un secteur porteur d'emplois. Malheureusement, souvent, ils ne résistent pas aux contraintes que ces métiers exigent. Par ailleurs, les jeunes sont conscients du malaise qui règne dans la société actuelle et du coup, on a des personnes qui s'investissent parce que conscients d'avoir leur chance, mais elles sont très instables. Elles vont donner un très bon travail pendant quelques jours, puis s'écrouler pour de nouveau repartir. Seulement, certaines maisons n'ont pas envie de supporter ces jeunes déstructurés et là il y a un problème d'éducation de base familiale qui entre en compte. Et en tant que maîtres d'apprentissage, on vous demande de jouer à la fois les rôles d'éducateur, de professeur, de professionnel, de chef d'entreprise et il arrive un moment où cela devient trop lourd à porter. Alors, je ne sais pas si c'est l'Education nationale ou la formation qui peuvent remédier à ce problème qui en est un réel pour la profession.»

Jean-Pierre Gauthier :

«Il est clair que l'école bénéficie de beaucoup plus de temps et de moyens pour restructurer les étudiants qui viennent dans les filères professionnelles et les difficultés que vous rencontrez au niveau de l'adaptation des individus face à une profession, l'école a pour mission de donner à travers les enseignements professionnels cette dimension d'adaptation qui peut-être vous échappe.»

Jacky Dudemaine :

«J'ajouterai qu'aujourd'hui je ne suis pas convaincu qu'on mette bien dans l'esprit des jeunes quels sont les marchés de demain sur lesquels ils vont pouvoir se positionner et trouver du travail. J'ai l'impression que nous sommes un peu en retard sur ce point. On trouve de plus en plus d'établissements où on mange bien, on arrive relativement facilement à trouver des jeunes pour travailler en cuisine, du moins plus facilement que des jeunes formés à l'accueil et à la salle. La raison de ce phénomène vient de la part des chefs de cuisine qui ont su mettre en avant un métier qui aujourd'hui a une certaine aura. Il y a un revers à la médaille puisque tout le monde veut devenir Bocuse ou Robuchon, mais au moins ils ont une motivation, une route à suivre et cela leur donne des envies et des ambitions. En revanche, on ne trouve pas cette dimension côté salle. Mais surtout, on ne leur donne pas suffisamment conscience de la réalité du marché. Finalement, ne trouvant pas les personnes adéquates pour nos métiers, on forme nous-mêmes les gens presque à la base. Et j'ai l'impression qu'on forme toujours dans les écoles à ce qui se fait toujours dans la grande restauration qui n'est pas du tout représentative de la restauration d'aujourd'hui en terme de quantité. Sans pour autant affirmer qu'il ne faut pas leur apprendre les bases du métier, je crois qu'il faut aussi et surtout leur inculquer les nouvelles techniques pour qu'ils puissent aller travailler dans n'importe quel type de restaurant.»

L'Hôtellerie :

L'information des métiers auprès des élèves est-elle bien communiquée de la part des écoles et des lycées ?

Jean-Pierre Gauthier :

«On ne dit pas à un jeune qui sort d'un BEP qu'il va être maître d'hôtel tout comme on ne dit pas à un jeune BTS diplômé qu'il va être directeur d'entreprise. Par contre, on dira à un BEP qu'il est em-
ployable par une entreprise après une période normale d'adaptation. Aucune école est à ce jour en mesure de fournir des individus en forme pour des sociétés telles que les frères Blanc ou d'autres groupes de restauration. On a des jeunes diplômés qui ont besoin d'une petite adaptation selon le moule dans lequel on souhaite les faire entrer. Je pense que c'est le langage que la plupart des enseignants tiennent à ce jour.»

L'Hôtellerie :

Et auprès de la profession ?

Didier Galopin :

«J'en doute d'après tout ce que j'entends. J'ai l'impression que l'école hôtelière donne une image très fausse de son enseignement aux professionnels. Les notions de découpage et de flambage ne représentent que 10% de notre enseignement et on passe davantage de temps sur la connaissance des produits, l'accueil, la relation avec le client, la vente... D'autre part, je suis étonné d'entendre que nos élèves ne maîtrisent pas les bases à leur sortie d'école, car pratiquant encore le métier pendant les saisons, j'ai l'occasion de voir des stagiaires à l'oeuvre et qui sont très malléables à tel point qu'en quelques jours, ils deviennent des commis de bonne qualité pendant une saison.»

L'Hôtellerie :

Comment l'enseignement hôtelier répond-il aujourd'hui aux besoins des professionnels ?

Didier Galopin :

«A Nantes, au Lycée Nicolas Appert où j'exerce, nous avons transformé un de nos trois restaurants d'initiation en une brasserie pour accueillir les 170 professeurs de la maison. A l'heure du déjeuner, les élèves servent les professeurs en prenant en compte toutes les contraintes du service d'une brasserie (service à l'assiette, contraintes horaires, etc.).»

Gérard Laufmoller :

«Au cours des 10 dernières années, on a assisté à une nette évolution de l'enseignement hôtelier. Aujourd'hui, les écoles sont conscientes de l'importance de la communication et de la relation avec le client. Les techniques ont évolué, la vidéo est apparue et aussi bien les professionnels que les professeurs ont pris conscience que l'individu n'était pas un porteur d'assiettes, mais un «porteur d'image». Et dans les techniques de commercialisation que nous inculquons à nos élèves, on s'efforce de les rendre polyvalents quel que soit le type d'établissement, car valoriser les produits, les mettre en oeuvre, animer, former, motiver une équipe de travail sont des éléments qui font aussi partie de notre souci quotidien sachant que la restauration aujourd'hui ne s'arrête plus au simple découpage de canard ou flambage, mais va plus loin. En tant qu'enseignant, je pense qu'on se donne le maximum de moyens pour aller dans votre sens, car nous avons compris la manière dont vous opériez, étant également des anciens du métier.»

L'Hôtellerie :

Et l'apprentissage ?

Michel Fournier :

«L'objectif de l'apprentissage est d'apprendre aux jeunes les bases du métier pour ensuite se diriger vers un BP s'ils le souhaitent. Si les professionnels ne sont pas satisfaits des jeunes apprentis qu'ils emploient, cela provient également d'un problème d'enseignement. On rencontre de plus en plus d'individus qui ne sont pas des professionnels et dont le rôle est d'être formateur. Conclusion, nos jeunes ne sont ni encouragés ni intéressés par le métier, ce sont de mauvais apprentis qui la plupart du temps finissent par rompre leur contrat, ce qui est tout à fait possible depuis que les CFA n'ont plus d'agréments. C'est pourquoi je pense qu'il serait peut-être intelligent, tout en conservant le CAP traditionnel qui forme de vrais professionnels et sans retourner en arrière au temps où le CAP collectivité existait, de trouver une autre appellation qui permettrait de former une certaine frange de personnes pas vraiment représentative de la profession au départ.»

M. Batteux :

«Pour former nos jeunes correctement à un métier, nous réalisons un échange entre les professionnels et le CFA, alors qu'avant, c'était toujours fermé. Maintenant, à la demande des maîtres d'apprentissage, nous avons mis en place des réunions régulières, les maîtres d'apprentissage se déplacent pour les examens, les évaluations, on les fait intervenir dans le cadre de la formation, etc.

Du côté des apprentis, nous formons des jeunes apprentis à un métier. Si les jeunes que nous formons sortent de 4ème, ils font une année de CPA. Là, ils travaillent un mois par formation afin de se faire une idée du métier : un mois en boulangerie, un mois en pâtisserie, un mois en glacerie, un mois en service, un mois en restaurant. Cela leur permet de voir autre chose que la cuisine de base et parfois, à l'issue de cette première année de formation, ils changent de direction. Sinon, ils entrent en 1ère année de CAP en brasserie rapide, c'est-à-dire qu'ils ont un découpage en 55 minutes à réaliser pendant le service, puis en 2ème année, on les amène en restauration classique pour préparer l'examen.»

Jean-Pierre Gauthier :

«Le fondement même de l'apprentissage repose sur le fait que lorsqu'on amène un apprenti au niveau de compétence dans un domaine, il est temps de le changer et là est la difficulté. C'est un enseignement progressif qui doit être donné à l'apprenti. L'apprentissage est une philosophie d'entreprise. Quand le jeune est bon, il faut le mettre à la viande, puis quand il est bon à la viande, on le met au garde-manger et quand il est bon partout, il faut lui dire : vous êtes bon partout, allez ailleurs.

Je vais plus loin dans la démarche. Nous avons à St-Quentin un CFA qui gère le BTS par alternance. Bon nombre de ces étudiants sont sur le groupe Accor. Environ 50% des jeunes ne sont pas restés dans le groupe. Et permettez-moi de vous dire que le groupe en a strictement rien à faire, car il sait qu'il va les retrouver dans deux ou trois ans avec davantage d'expérience. Ils vont faire leur tour de France. C'est une dimension philosophique de l'apprentissage absolument fantastique. On n'attache pas la formation à un objectif immédiat mais à un objectif à très long terme, un objectif qui entre dans une structure globale de la formation d'aujourd'hui, l'apprentissage et du chômage actuel. Une notion tout à fait différente par rapport à ce qu'est la formation.»

L'Hôtellerie :

A quoi servent les diplômes ?

Cédric Servain :

«Lorsqu'on sort trop diplômé, on souhaite commencer directement dans l'entreprise par être chef de rang ou maître d'hôtel, ce qui est rarement le cas. Personnellement, ça ne me gênerait pas de commencer à la base. Le problème aujourd'hui vient du fait que la société impose des diplômes, de plus en plus valorisants. Parallèlement, sur le terrain, on débutera toujours le métier à la base. Alors, peut-être que si l'on est titulaire d'un Bac Pro, on progressera plus rapidement que celui qui n'a qu'un CAP ou un BEP, mais franchement, à quoi servent les diplômes ?»

Laurent Fabretti :

«Le diplôme est très important, c'est une marque de référence et toutes les personnes qui sont autour de la table ne diront pas le contraire. Il est vrai qu'on préférera recruter un Bac + 2 très volontaire à un CAP ou BEP très lymphatique. Mais le contraire existe aussi. L'entreprise qui va embaucher un commis, un chef de rang ou un maître d'hôtel va se baser sur un diplôme en disant cette personne a choisi son métier. Mais elle tiendra compte également de l'envie de l'individu. Il faut se mettre à la place du client. Lui, il est à table et de quoi a-t-il envie ? D'une personne motivée, agréable, performante dans son service et non pas de connaître son cursus de formation. Dans nos brasseries, tous nos directeurs sont issus d'un CAP ou BEP. Donc, inutile de vous dire que la promotion existe dans nos métiers. Toutefois, il est vrai que plus ça va, plus on va se référer à vos diplômes et aujourd'hui, avec un BTS en poche, on vous prend comme commis.»

L'Hôtellerie :

Comment les diplômes sont-ils définis?

Georges Koukidis :

«Nous fonctionnons de manière étroite avec les professionnels par le biais de commissions professionnelles consultatives (CPC). Autrement dit, le ministère est à l'écoute de la profession et chaque fois que s'engage une rénovation de diplôme, c'est le plus souvent à la demande de la profession. Les CPC sont composées exclusivement de professionnels, qu'ils soient employeurs ou employés, encadrés par du personnel du ministère de l'Education nationale. Pour prendre un exemple, aujourd'hui, on est en train de s'interroger sur une éventuelle rénovation du Bac Pro restauration à la demande de la profession. La CPC a désigné un groupe de travail chargé de conduire cette opération. Les membres de la CPC peuvent participer au groupe de travail, mais, en général, il est composé de techniciens, c'est-à-dire des enseignants, mais aussi des professionnels qui se sont portés volontaires pour participer à l'élaboration de ces travaux. Un travail de longue haleine, on compte en général deux à trois ans pour que le référentiel et le diplôme puissent être mis en fonctionnement.»

Nicole Lutwiczack :

«En complément, je pourrai donner l'organisation du travail d'un groupe de réflexion procédant à l'élaboration d'un diplôme. Si l'on prend le cas du Bac Pro restauration, nous avons souhaité, avec les professionnels, avoir une idée un peu originale qui consiste à avoir une large consultation à la fois des professionnels et de l'ensemble des professeurs et formateurs de CFA. Depuis maintenant un an, nous travaillons sur cette étude pour laquelle nous avons lancé une enquête écrite auprès d'un échantillon considérable qui regroupe toutes les formes de restauration, c'est-à-dire aussi bien la restauration collective que la restauration commerciale de façon à avoir le sentiment des employés en tant que salariés ou stagiaires, des élèves titulaires d'un Bac Pro et des formateurs. Pour l'instant, nous en sommes à la collecte des enquêtes et nous devrions avoir les premiers résultats le mois prochain. Cela confirme la lenteur de l'élaboration d'un référentiel pour finalement aboutir à un condensé qui couvre les besoins à la fois de la profession et des professeurs.»

Georges Koukidis :

«Il va sans dire que si l'on décide de rénover le Bac Pro restauration, il faudra, en amont également, reprendre le contenu du référentiel du BEP.»

L'Hôtellerie :

D'après toutes vos interventions successives, un problème semble persister portant sur l'image des métiers de la restauration et plus particulièrement sur le restaurant et le métier de serveur. Que peut-on faire ?

Didier Galopin :

«Il est vrai que la cuisine a une image beaucoup plus forte que celle du restaurant où, comme on l'évoquait tout à l'heure, nous n'avons pas de point de mire comme Bocuse ou les autres vers lequel nous pouvons nous tourner. Du coup, on a du mal à trouver des arguments valorisants pour promouvoir notre métier auprès des jeunes. Alors, puisqu'il y a des professionnels autour de la table, pouvez-vous nous donner des éléments pour nous aider dans nos démarches ?»

Jacky Dudemaine :

«Un soir, je me suis retrouvé au restaurant avec un certain nombre de grands chefs avec lesquels on a discuté du métier et de son avenir. Par ailleurs, ils étaient pour la plupart des chefs d'entreprises puisqu'ils étaient patrons de leur restaurant. Quand je leur ai demandé ce qu'ils pensaient du service, ils m'ont répondu en ces termes : «pour nous, les serveurs sont des porteurs d'assiettes». Sans prendre cette expression au pied de la lettre, je crois que cette image démontre bien le décalage qui existe entre le métier de serveur et le reste des métiers que regroupe la restauration. Si on se penche sur chacune des professions, on s'aperçoit qu'ils ont tous un point de référence, une appartenance à une corporation. Les cuisiniers ont les grands chefs, les barmen ont l'ABF et puis ils sont barmen avant d'être restaurateurs, idem pour les sommeliers. En salle, il est vrai qu'il y a des MOF, mais ils ont moins de notoriété que les autres. Alors, lorsque j'essaie de motiver mon personnel de salle qui en plus sont des femmes dans le restaurant que je dirige, là en terme d'appartenance ou de référence, c'est le no man's land. Pourtant, la plupart d'entre elles sont motivées pour faire carrière dans cette profession. Mais ce n'est pas toujours le cas. Alors, comment faire pour donner envie à ces jeunes de venir vers ce métier ? Je suis certain qu'il y a des solutions. Si les cuisiniers ont réussi à faire valoir leur métier à ce qu'il est devenu aujourd'hui, je pense qu'il y a moyen d'y arriver en ce qui concerne les métiers du service. Il y a peut-être un travail commun à établir sur ce point entre les professionnels, les écoles, les DRH des grands groupes de restauration.»

Jean-Pierre Gauthier :

«Le fait que vous nous disiez que les chefs de cuisine que vous avez rencontrés vous ont dit que les serveurs n'étaient que des simples porteurs d'assiettes ne me choque pas, mais me surprend. Qu'on ne puisse pas avoir une vision globale de l'entreprise, c'est inquiétant, car c'est occulter la dimension commerciale de ce qu'est le service de salle qui est le seul générateur du chiffre d'affaires, indépendamment de la qualité du contenu des assiettes. On peut avoir les plus belles assiettes du monde, le chiffre d'affaires se génère avec les gens qui sont sur le terrain. Alors, cette vision un peu bloquante de la commercialisation m'étonne.

Concernant les enseignements dispensés, on essaie, maintenant depuis de longues années, de donner aux élèves une vision globale des métiers de la restauration, afin d'éviter les clivages d'abord, afin que les jeunes générations qui vont intervenir dans des cuisines ou dans les secteurs de la production puissent avoir une vision intégrale de ce qu'est la dimension commerciale de l'entreprise et la dimension de production, pour éviter des appréciations aussi brutales.»

Nicole Lutwiczack :

«Pour compléter le point de vue de Jean-Pierre Gauthier, nous avons revu le contenu des diplômes pour axer la formation sur tous les savoir être, l'accueil, la commercialisation, afin de préparer nos élèves à ce rôle voulu par l'évolution de la profession, de savoir-faire techniques à l'action de relation commerciale. Souvent, nous nous heurtons à un manque de maturité de nos jeunes. Ils ont des difficultés à rentrer dans ce rôle de commercialisation de relation avec la clientèle d'où l'importance des négociations avec l'entreprise, car nous comptons énormément sur ces périodes en entreprise pour pouvoir développer et affiner cette fonction commerciale. Et il est nécessaire de pouvoir confier ces missions aux jeunes, seulement souvent les chefs d'entreprises craignent de le faire par souci de préserver leur clientèle fidèle qui pourrait être insatisfaite et ne plus revenir. Un nouveau problème apparaît, relatif à l'encadrement des stagiaires dans l'entreprise, mais qu'il va falloir résoudre d'une manière ou d'une autre si l'on veut véritablement former les jeunes à la relation commerciale.»

L'Hôtellerie :

Comment imaginez-vous pouvoir remédier à ce problème qui jouerait également sur la valorisation du métier de serveur ?

Jacky Dudemaine :

«On pourrait tout simplement faire porter un badge à l'étudiant indiquant son statut d'apprenti ou de stagiaire. S'il est présenté en tant que tel, le client l'acceptera d'autant plus facilement.»

Jean-Pierre Gauthier :

«En effet, les professionnels devraient avoir le courage officiel devant les clients de dire ce garçon ou cette jeune femme est stagiaire pour qu'ils puissent s'exprimer et progresser. A partir de ce moment-là, trouverons-nous peut-être des jeunes plus motivés par rapport à leur activité dans la salle et peut-être aurons-nous des gens qui comprendront mieux l'activité de l'entreprise.»

Laurent Clivillé :

«Je me permettrai d'ajouter aussi à ce sujet, que si le jeune n'est pas toujours à l'aise dans la relation commerciale, faut-il encore qu'il ait un minimum de culture générale. Un secteur que l'Education nationale couvre bien, mais inexistant dans la filière de l'apprentissage. Et en tant que professionnel et maître d'apprentissage de surcroît, je me retrouve face à un apprenti à qui je dois inculquer certains sujets de conversations pour qu'il puisse s'exprimer avec le client. Car aujourd'hui, le client attend autre chose que le simple fait d'être servi et si on peut lui donner, il est ravi et reviendra chez vous. Dans mon petit restaurant, 90% des clients sont des personnes qui reviennent et je suis persuadé que c'est le cas de bon nombre de restaurateurs. Je pense très sincèrement qu'il y a un réel manque dans la formation par apprentissage à combler.»


Former les jeunes au métier de serveur reste l'un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les professionnels. L'une des solutions premières semble résider dans la valorisation de ce métier, qui malheureusement est trop souvent perçu comme étant une fonction «servile» de l'entreprise.


Gabriel Biscay

Laurent ClivilléGabriel Biscay «En ce qui concerne la cuisine, on sait très bien que pour arriver à former un cuisinier qui maîtrise son métier, il faut compter environ dix ans.»


Jean-Pierre Gauthier Cédric Servain «Aujourd'hui, l'enseignement tire les diplômes vers le haut : Cependant, on commence toujours le métier à la base, alors à quoi servent les diplômes ?»


Jacky DudemaineJacky Dudemaine «Je ne suis pas convaincu qu'on mette bien dans l'esprit des jeunes quels sont les marchés de demain sur lesquels ils vont pouvoir se positionner et trouver du travail.» Georges Koukidis «Chaque fois que s'engage une rénovation de diplôme, c'est le plus souvent à la demande de la profession.»


Georges Koukidis



Gérard LaufmollerGérard Laufmoller «Dans les techniques de commercialisation que nous inculquons à nos élèves, on s'efforce de les rendre polyvalents quel que soit le type d'établissement.»


On est jamais mieux servi que par soi-même !

Telle pourrait être la devise des frères Blanc qui ont mis en place il y a près de quatre ans un centre de formation interne à leur groupe, afin de répondre aux besoins spécifiques de leurs établissements qu'ils qualifient de brasseries de luxe. La parole est à Laurent Fabretti, DRH du groupe.

«Nous avons créé ce centre de formation, sans aucune prétention, il regroupe aujourd'hui une centaine d'apprentis en contrats de qualification du CAP au BTS, ainsi qu'une centaine de stagiaires qui vont du BEP au BTS, voire même plus.

Le travail que l'on rencontre dans nos établissements dits brasseries de luxe n'est pas facile, nous avons des entreprises ouvertes
24 h/24h, les horaires ne sont pas stables bien qu'avec nos 150 salariés, cependant, nous essayons d'être le plus logique possible sur ce point. Nos entreprises génèrent un certain turnover, essentiellement dû au malaise de la société actuelle qui n'encourage pas les jeunes à se stabiliser dans leur travail ; de plus, ils n'ont aucun point de repère par rapport à la société, la plupart du temps, ils côtoient des personnes sans emploi, etc. Par ailleurs, nous n'avons plus ni les moyens ni le temps d'attendre que les jeunes étudiants des lycées hôteliers aient terminé leur cursus scolaire, d'autant plus qu'aujourd'hui, les écoles ont tendance à tirer les diplômes vers le haut, et c'est très bien, seulement, nos besoins se situent le plus souvent au niveau de la base de la pyramide. Et lorsqu'on a eu à faire à des jeunes issus de CAP ou BEP de l'enseignement hôtelier, on s'est rendu compte qu'ils ne savaient pas rester humbles et au contraire se cataloguaient tout de suite comme chefs de rang ou maîtres d'hôtel. Voilà les raisons qui nous ont conduits à créer un centre de formation en partenariat avec l'ANPE, en ce qui concerne le recrutement, à travers lequel on essaie d'adapter des jeunes de 21 ans à nos métiers. Concrètement, la formation se déroule sur six semaines : quinze jours avec un professeur de restaurant et un professeur de cuisine où on leur inculque l'enseignement de base, puis ils partent quatre semaines en entreprise.»

Laurent Fabretti

Cédric Servain


Didier GalopinDidier Galopin « J'ai l'impression que l'école hôtelière donne une image très fausse de son enseignement aux professionnels.»


Nicole LutwiczackMichel Fournier «L'objectif de l'apprentissage est d'apprendre aux jeunes les bases du métier pour ensuite se diriger vers un BP s'ils le souhaitent.»



Michel Fournier


Les intervenants

Les professionnels

Gabriel Biscay, chef de cuisine chez Prunier à Paris

Laurent Clivillé, directeur du restaurant Le Petit Pré à Paris

Jacky Dudemaine, directeur du restaurant L'Appart à Paris

Laurent Fabretti, DRH chez les frères Blanc

Les professeurs

- Gérard Laufmoller, professeur au Lycée Jean Quarré à Paris

- Jean-Pierre Gauthier, chef des travaux du Lycée d'hôtellerie et de tourisme de St-Quentin-en-Yvelines

- Didier Galopin, MOF et professeur de restaurant au Lycée Nicolas Appert d'Orvault près de Nantes

- Michel Fournier, professeur au CFA B. Palissy à Ambérieu-en-Bugey dans l'Ain et président de l'ANPCR (Association nationale des professeurs de cuisine et de restaurant des CFA)

- M. Batteux, professeur au CFA de Versailles

Les étudiants

- Cédric Servain, apprenti en 1ère année de BP au
CFA de Versailles

- Jean Mendès, étudiant en 1ère année de BTS à Jean Quarré

- Philippe Pires, apprenti chez les frères Blanc

L'Education nationale

- Nicole Lutwiczack

- Georges Koukidis


Entrer dans la restauration après avoir suivi
un enseignement général, c'est possible !

Après avoir suivi un cursus d'enseignement général jusqu'au Bac, Philippe Pires est entré à l'âge de 23 ans chez les frères Blanc en septembre dernier. «Je pense aujourd'hui avoir trouvé ma voie et pour ma part, j'estime qu'entrer dans les métiers de la restauration très jeune n'est pas forcément la meilleure chose qui soit. Ici, les plus jeunes restent quelques mois, puis s'en vont. Je pense qu'ils n'ont pas la maturité suffisante que requièrent les métiers de la restauration. Ces métiers sont durs et encore faut-il en prendre conscience. Et ce n'est pas toujours à 16 ou 17 ans que l'on peut s'en rendre compte. C'est pourquoi je pense que la restauration est une profession où l'on va avant tout recruter des individus en tenant compte de leur motivation et de leur caractère. Car c'est un métier de passion, dans lequel sans motivation, il est difficile de réussir


Philippe Pires



L'HÔTELLERIE n° 2505 HEBDO 10 avril 1997

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