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Restauration

Premier Forum de la cuisine française

Pour renouveler son identité

Les restaurateurs d'Euro-Toques France et de la Haute Cuisine Française, les Jeunes Restaurateurs d'Europe (France) et les Maîtres Cuisiniers de France se sont associés le 20 mars dernier à l'occasion du Premier Forum de la cuisine française qui s'est déroulé à la Cité des Sciences de la Villette (Paris). Leurs objectifs ? Identifier les conséquences des changements que nous vivons à l'heure actuelle et les traduire dans l'offre de prestations et de services d'un restaurant de qualité. Les intervenants -spécialistes des tendances de la consommation en France et dans le monde et leaders d'opinion- ont apporté bon nombre de réflexions et de conseils pour aider la cuisine française à renouveler et renforcer son identité. Un rendez-vous à ne pas manquer l'année prochaine.

De gauche à droite : Pierre Troisgros, Georges Blanc et Paul Bocuse commentent les nombreuses informations et pistes de réflexion qu'ils ont recueillies à l'occasion du premier Forum de la cuisine française.


Non, les Français ne se sont pas appauvris. Non, les Français n'ont pas décidé de ne plus dépenser. Non, il ne faut pas attendre la reprise. Non, il ne faut pas se lamenter, commente en introduction de ce forum Gérard Mermet auteur de «Francoscopie» et «Le Nouveau Consommateur» (Larousse). Il faut tout simplement comprendre que nous entrons dans une nouvelle civilisation, une civilisation basée sur l'individualisme, la responsabilité individuelle et le temps libre. Il faut aussi admettre que l'on ne mangera plus comme avant. D'ailleurs, nous ne mangeons plus comme au Moyen-Age ni comme à la Renaissance ni comme au temps d'Escoffier. Finie aussi l'ère du steack-frites. La consommation de poulet a augmenté de 30%, celle du poisson de 10%. Les fruits et légumes, le pain et les pâtes sont réhabilités. La nourriture se féminise. «On vit aujourd'hui, poursuit Patrick Babayou directeur prospective de la consommation au Credoc, une phase de recentrage sur le naturel. On attend aussi de l'alimentation qu'elle fasse plaisir, qu'elle ait du goût, qu'elle présente de véritables saveurs françaises ou exotiques d'ailleurs.» On ne passe plus 2 h 30 à table comme autrefois. Les repas se sont déstructurés. Mais d'après Patrick Babayou, cette tendance à la déstructuration des repas est aujourd'hui contenue. Tout simplement grâce à l'arrivée des enfants. On aime prendre les repas en famille pour parler ensemble.

La gourmandise a de l'avenir

Que ceux qui craignent la mauvaise influence des fast-foods sur le comportement des Français se rassurent : 93% des Français rêvent d'aller dans un restaurant 1 étoile Michelin. «Mais si dans les années 80, aller au restaurant, fait remarquer Patrick Babayou, c'était pour manger de façon raffinée et dans une ambiance protocolaire, aujourd'hui, aller au restaurant, c'est pour se faire plaisir. C'est pour déguster une cuisine qui n'est pas celle de tous les jours.» «En effet, pense Christian Millau, les Français aiment toujours manger. Certes, ils veulent manger plus sain, plus équilibré et plus économique, c'est parce que notre société a changé. Après la guerre, les Français allaient à la découverte de tous les loisirs.

Aujourd'hui, ils sont un peu blasés et il est plus difficile de les épater.» Une chose est sûre pour Gilbert Trigano, «la gourmandise a de l'avenir». «Le marché du plaisir, ajoute Gérard Mermet, est porteur comme il ne l'a jamais été.» Après vingt ans de crise et de frustrations, les Français en ont assez, ils libèrent leurs pulsions. Finis les régimes diététiques. Le besoin de transgresser est important, surtout chez les jeunes qui en ont assez de la société que leur ont laissée leurs parents. Ils sont à la recherche du plaisir, mais d'un plaisir, polysensuel (ambiance, musique, décoration...).

Les ingrédients de la réussite

Sur le marché du luxe qui est en pleine progression, on assiste à une demande de plus en plus importante de la démocratisation du luxe. «Le pouvoir d'achat n'est plus un critère», estime Gérard Mermet. Alors, comment séduire les clients d'aujourd'hui et de demain, qu'ils soient français ou étrangers, riches ou non, jeunes ou non ? «Il s'agit, confie Gérard Mermet, de donner l'impression que tout le monde peut entrer chez vous.» «Il nous faut, conseille Georges Blanc, président de la chambre syndicale de la Haute Cuisine Française, briser les barrières psychologiques qui empêchent une certaine clientèle de franchir notre porte et qui pourrait remplacer la clientèle fortunée qui nous délaisse pour aller dans les bistrots.» Pour ce faire, voici quelques clés proposées par les divers intervenants de ce forum.

- Un concept précis de son restaurant

«C'est tellement naturel de manger, c'est tellement évident que bien des restaurateurs ont oublié de réfléchir sur leur concept et sur leur stratégie marketing. Dans un restaurant, le client se demande : où suis-je, qu'est-ce qu'on me vend, comment, à quel prix... Moi, je ne vends pas des voyages mais du temps libre» (Christophe Charpentier, P-dg d'Havas Voyages/
American Express). «Il n'y a rien de pire qu'un grand restaurant qui joue au bistrot et un bistrot qui joue au grand restaurant. Il ne faut pas que les restaurateurs s'imitent. Il faut que chaque chef soit authentique et garde son identité. J'aime les cuisiniers qui ont un imaginaire et qui sont de bons artisans.» (Bernard Pivot, France 2 ). «Il faut faire bon et pas cher, simple et raffiné, allier tradition et modernité en tenant compte des nouvelles tendances des consommateurs.» (Gérard Mermet).

- Des analyses situationnelles pour segmenter sa clientèle

«Sur le marché européen, les modes de consommation s'uniformisent, même les pratiques alimentaires. Cependant, si les clients exigent tous le téléphone, la TV dans un hôtel, ils refusent la cuisine dite «internationale». Cest un véritable paradoxe dont il faut tenir compte. De ce fait, je m'intéresse de moins en moins à l'origine de mes clients, cela ne m'apporte rien. Je préfère réaliser des «analyses situationnelles». Dans quelles situations achète-t-on un voyage ? Pour les loisirs, on ne voyage pas seul, il faut donc tenir compte des autres personnes qui accompagneront celui qui achète le voyage. On n'achète pas un voyage en hiver comme on en achète un en été. Quand on va dans un restaurant, on réagit de même. Il ne faut donc pas raisonner globalement. Il faut segmenter la clientèle en tenant compte des moments de la journée, de la saison, du fait que les clients ne viennent pas seuls, que chacun est «pluriel avec lui-même».»(Gérard Mermet)

- Beaucoup d'imagination

«Il n'y a pas de luxe sans écriture, sans regard dans la tradition, sans projection dans la modernité. Il n'y a que la création qui compte. Il faut surprendre les gens. Il n'y a pas de luxe sans humour, sans clin d'oeil, sans vitalité, sans imagination, sans création. Et ne l'oubliez pas, la gastronomie s'adresse à tous les sens.» (Christian Blanckaert «Les chemins du luxe» (Grasset)).

- Un décor actuel et polysensuel

«Changez de décor ! La grande cuisine française garde une grande image de rêve et de magie, mais dans bien des restaurants gastronomiques français, la décoration est un pastiche de Versailles, c'est «moche», c'est «poum-poum». La richesse doit se retrouver dans l'assiette et non pas dans la salle. Les restaurateurs ne doivent pas s'attacher à des valeurs conservatrices.» (Alain-Dominique Perrin, président Cartier International). «Au Planète Havas Voyages, nous avons, avec des sociologues, étudié avec précision l'influence de la lumière, du toucher et... de l'odorat. Ainsi, pour vendre plus de voyages aux USA, nous avons diffusé une odeur de Coca-Cola. Résultat, nous avons multiplié nos ventes par 3...» (Christophe Charpentier).

- Un service pas guindé

«Dans un restaurant, il faut avoir l'impression d'être bien entouré mais pas par des larbins. Ces serveurs ont leur dignité, leur existence.» (Christian Millau).

- Un prix justifié

«Les consommateurs comprennent que le luxe a un prix, mais ce prix doit reposer sur un véritable socle. Un prix sans socle se paie par le mépris.» (Christian Blanckaert). «La notion de légitime dépense doit être prise en compte par les restaurateurs.» (Gérard Mermet).

- Beaucoup de pédagogie

«Les carrés de soie Hermès sont achetés par des personnes de toutes races, de toutes couleurs... Des millions de personnes peuvent s'offrir de bonnes choses à condition qu'on sache les accueillir. A vous de rendre vos clients gourmands. Il faut toucher la meilleure, la plus fine partie de chacun d'entre eux. En effet, les consommateurs sont aujourd'hui éduqués. Il faut s'adapter à leur niveau de culture et d'intelligence. Ils comprennent ce qu'on leur raconte.» (Christian Blanckaert). «Il faut surtout s'intéresser aux jeunes qui n'ont pas la clé pour fréquenter les grands restaurants. Il faut faire comme certains viticulteurs qui les initient à la dégustation des vins.» (Gérard Mermet). «Apprenons aux consommateurs à bien faire la différence entre la restauration et la néo-restauration.» (Patrick Fulgraff président de l'Association des Jeunes Restaurateurs d'Europe). «Par ailleurs, les chefs doivent transmettre leur culture gastronomique et leur savoir-faire à leur personnel pour que la cuisine française reste telle qu'on l'imagine.» (Gilbert Trigano, président de la Maison de la France)

- Une certaine curiosité

«Les chefs ne sont pas suffisamment curieux. A la fin du service, quand ils viennent voir leurs clients, ils leur demandent : ça vous a plu ? Il ferait mieux de demander s'ils ont aimé la sauce, s'ils pensent qu'elle se mariait bien avec la viande ou le poisson etc. Les chefs considèrent que leurs clients ne sont pas assez intelligents pour leur répondre plus précisément. Ils pourraient pourtant recueillir plein d'idées.» (Bernard Pivot). «Que les chefs n'oublient pas de voyager, de goûter pour découvrir ce que les cuisines du monde peuvent leur apporter dans leur diversité.» (Gilbert Trigano).

- Des émissions de Télé, au restaurant

«Pour se faire connaître des téléspectateurs, les grands restaurateurs devraient faire comme les grands couturiers. Ils devraient accueillir les équipes de télévisions chez eux au lieu de se rendre sur les plateaux de télévision. Dans les émissions sur les restaurateurs, on ne présente que les personnages et pas suffisamment la convivialité de leur restaurant, de leur cuisine...» (Bernard Boutboul, P-dg Gira Sic Conseil, le Consommator - Ed. JVSD).

B. Gutel

«Le marché du voyage et des loisirs est le premier marché du monde et il est en pleine croissance. La restauration gastronomique est un secteur extrêmement important, car nous le vendrons.» - Christophe Charpentier, P-dg d'Havas Voyages/American Express.

Non aux subventions de l'Etat

A l'occasion de ce premier Forum de la cuisine française, Bernard Fournier, secrétaire général Euro-Toques, n'a pas manqué d'exprimer son désaccord sur la politique de subventions des restaurants gastronomiques mise en place récemment par Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture. «Au CNAC, fait-il remarquer, sur 25 personnes, on ne compte que trois professionnels. Les autres sont des fonctionnaires. Cet organisme dispose de beaucoup de subventions que les hauts fonctionnaires veulent voir progresser. Alors, ces derniers ont profité de certains grands chefs, gentils et dévoués pour mener à bien leurs objectifs. Ils sont devenus «les chimères» de ces chefs. Tout ceci risque d'aboutir à la formation d'une caste fermée, d'une cour. Et puis, vaut-il mieux privilégier quatre à cinq chefs mauvais gestionnaires plutôt que quatre à cinq jeunes chefs ? La profession, affirme-t-il haut et fort, ne veut pas de subventions. Les vrais professionnels veulent garder leur identité. Aujourd'hui, ils sont solidaires au service des consommateurs et non au service d'un ministre qui veut se faire valoir. Ils veulent de la reconnaissance et faire leur métier dans de bonnes conditions de justice de gestion (baisse de la TVA).»


Les attentes des clients français et étrangers d'après des micros-trottoirs réalisés pour ce Premier Forum de la cuisine française

Ce qu'ils veulent Ce qu'ils ne veulent pas
* du bon * de la standardisation
* du simple (poulet rôti, gigot d'agneau) * du compliqué (purée de courgette)
* du vrai, du sincère, du nature * du tape-à-l'oeil
* de l'économique * des prix trop élevés
* du terroir, de la tradition raffinée * du fast-food à l'américaine
* de la quantité * de petites quantités
* être bien servis * pas de formalisme, pas de larbins
* être conseillés dans leur choix pour une bonne * des appellations trop compliquées,
harmonie des saveurs mensongères
* des appellations honnêtes, claires
* des espaces non-fumeurs

Les restaurants gastronomiques vus par les étrangers Quelques extraits de la revue de presse étrangère d'Alex Taylor, France Inter


Les grands restaurants français sont des chefs- d'oeuvre en péril. Ils restent en marge. Trop de formalisme. Trop de snobisme. Des additions trop élevées.

* L'originalité n'est pas de mise en France. La cuisine est écrasée par la mode ou la poussière. Le service est pléthorique et effectué par du personnel en noeud papillon qui a l'air d'avoir avalé un manche à balai.

* Les épouses des restaurateurs se prennent pour des décoratrices.

* Les restaurateurs français sont incapables de voir les nouvelles réalités de ce monde. Pourquoi se crisper ? Aller au restaurant en France risque de ressembler à une visite au musée Grévin.

Info ou intox ?

Jalousie pour Patrick Babayou (Credoc). «On nous reproche, explique-t-il, le fait de vivre dans un musée, dans un passé. Encore faut-il avoir un passé. Appartenir au passé n'est pas si mal. On nous reconnaît notre culture, notre richesse culinaire, encore faut-il savoir la valoriser.» Intox pour Henri Gault «qui constate que tous les dix ans, les anglais et les américains attaquent la cuisine française». Intox aussi pour Christian Millau qui a «constaté que les étrangers ont écrit de telles critiques dans les années 60

Info pour Bernard Boutboul qui souligne que «bon nombre de Français rencontrent à l'égard des restaurants gastronomiques des problèmes d'accessibilité psychologique. Est-ce pour nous ? Comment faut-il s'habiller ?»



L'HÔTELLERIE n° 2505 HEBDO 10 avril 1997

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