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Restauration

Titres-restaurant vus de Dunkerque

Bienvenus, mais secondaires

L'exemple de cette ville industrielle de 200.000 habitants n'a rien d'original. Les travailleurs mangent d'abord vite dans leur entreprise, au fast-food et chez eux. Et un peu au (vrai) restaurant pour changer.

Dunkerque et sa banlieue c'est l'exemple d'une agglomération de plus de 200.000 habitants, où l'on chôme un peu plus qu'ailleurs en moyenne (15% de la population active), où l'on travaille encore beaucoup dans l'industrie (sidérurgie, pétrole, chimie, pharmacie, industries alimentaires, mécanique), et dans les services un peu moins qu'ailleurs (port et transport, tertiaire urbain varié). Beaucoup d'emplois sont situés en dehors de la ville et sont desservis dans leurs murs par d'importants complexes de restauration collective. Le pouvoir d'achat est très moyen. La grande industrie paye encore de beaux salaires, mais à de moins en moins de monde. La journée continue ou quasi continue est très répandue, le travail posté des hommes encore très important.

Quand on demande à Bernard Prin, vice-président du Syndicat général FNIH du secteur et président des restaurateurs, ce qu'il pense des titres-restaurant dans sa ville, son sourire s'élargit. "Cela marche bien. Avec la Chambre de commerce nous avons mis au point un guichet de collecte qui garantit aux restaurateurs un règlement ponctuel, rapide, sans aucun risque d'impayé." Mais qui travaille bien dans le métier avec les titres-restaurant ? "D'abord les fast-foods", répond Bernard Prin sans hésitation. "Puis les restaurants à moins de cent francs du centre-ville. Et en été, les restaurants de la plage", précise-t-il.

Ce que confirme le bureau de l'ATH à la Chambre en y ajoutant un troisième larron : les magasins traiteurs et rayons traiteurs des grands magasins. La CCI collecte en moyenne 1,2 MF par mois, ce qui est encore loin d'être exhaustif par rapport au marché local (impossible à évaluer avec précision) peut-être de l'ordre de 3.000 repas par jour. Y manquent notamment quelques gros morceaux comme les deux restaurants Quick, les enseignes du groupe Agape situées tout près des géants industriels, le groupe de cafés dîneurs Verhaeghe avec ses cinq établissements en centre-ville et à la plage. Résultat des courses : McDonald's loin en tête, devant le rayon traiteur du magasin Uniprix. D'une manière générale, les fast-foods ou assimilés sont en tête mais les magasins traiteurs viennent très fort derrière. La fourchette des remises va de plus de 100.000 F à quelques centaines de francs.

Pas d'inquiétude

Surprenant ? Légal en tout cas. Le dernier texte en date, un décret du 28 mars 1988 étend l'utilisation des titres non seulement aux brasseries, cafés-tabacs, mais aussi aux charcutiers-traiteurs, boulangers pâtissiers glaciers salons de thé, autrement dit tout ce qui sait confectionner un plat. A condition que le point de vente puisse apporter à la commission de contrôle la preuve qu'il est capable de produire des plats chauds, à emporter ou non, équilibrés et variés sur la durée dans des conditions d'hygiène conformes à la loi. "La commission ne donne pas facilement son accord", assure Jacques Millier à la Centrale de réservation des titres (CRT) de Bagnolet. Cette organisation centralise tous les titres sauf le chèque déjeuner traité par le réseau des Banques Populaires. Cela représente quelque 120.000 affiliés pour 342 MF de CA en 1996 à 35 F le ticket moyen. Sans que le calcul ne soit effectué de façon rigoureuse, on pense à la CRT que les fast-foods et les traiteurs représentent ensemble tout près de 50% du chiffre d'affaires et qu'ils progressent.

Mais cela ne semble pas troubler les restaurateurs que nous avons interrogés, pas plus que les gérants de restaurants rapides n'en font un objectif de vente particulier. "Pour nous, c'est un moyen de paiement comme un autre", commente le patron des Quick. "Nous avons deux clientèles", précise le responsable de McDonald's Grande Synthe. "Une clientèle familiale et une clientèle individuelle de travailleurs. Il est évident que le titre-restaurant représente une part importante de ce segment. Mais nous n'avons aucune stratégie publicitaire liée au titre-restaurant", conclut-il. Les restaurateurs traditionnels raisonnent en fait de même. Pour eux, le titre est devenu discrètement indispensable. Au Wall Street en centre-ville, c'est peut-être 20% du CA le midi en semaine. Au Petit-Saint-Eloi, au Welcome, parmi les gros remetteurs de titres, on retrouve les mêmes évaluations, très approximatives. Ces restaurateurs ne semblent pas faire la liaison entre d'éventuelles difficultés et la concurrence des traiteurs. "Nous sommes tous concurrents, on ne mange qu'une fois. Mais seules les cantines collectives qui acceptent n'importe qui sont en concurrence déloyale avec nous", note l'un d'eux.

"De plus, le titre est un encouragement à sortir", note le syndicaliste, lui-même restaurateur sur le front de mer. Evidemment, la loi est la loi qui interdit l'usage du titre hors des journées de travail sauf si le titre précise que le salarié travaille les jours fériés. Mais peut-on empêcher vraiment un couple de manger un sandwich le vendredi et de sortir le samedi ? Et en ces temps de crise, le restaurateur peut-il refuser avec hauteur cette pratique déviante ? Rappelons toutefois que le titre- restaurant est un avantage en nature exonéré de charges sociales jusqu'à un plafond relativement haut. Frauder constitue donc un délit passible d'une amende et dans certains cas d'une peine de prison de huit jours ou plus. Mieux vaut ne pas abuser de cette source de clientèle.

Et si les restaurateurs ne sont pas inquiets, du moins peuvent-ils remarquer que la tendance générale à manger davantage hors de chez soi ne signifie pas nécessairement manger au restaurant. Même avec un titre. Peut-être y aurait-il lieu d'être un peu plus précis dans la vente des menus adaptés. Non pas en cherchant à se rapprocher d'un impossible marché à 35 F le ticket, mais en jouant sur une gamme du plaisir raisonnable. Gouailleur, le patron du Saint-Eloi répond en parlant de la concurrence des restaurants d'entreprise : "ce sont des collègues, pas vraiment des concurrents. Nous sommes meilleurs qu'eux." Manger un plat au restaurant avec un titre, c'est une forme de plaisir qui se paie, mais doit rapporter autre chose que quelques calories.

A. Simoneau



L'HÔTELLERIE n° 2501 Hebdo 13 mars 1997

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