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Restauration

Une étoile échaudée

Soyez maître chez vous

Il faut être clairement patron ou salarié, mais non associé minoritaire. C'est la leçon que tirent Stéphane et Brigitte Lecocq de leur aventure au Château Blanc près de Lille (59). Un macaron abandonné après moins d'un an d'expérience.

A moins de 32 ans, Stéphane Lecocq et son épouse avaient décroché leur première étoile Michelin après un an de service à la tête du Château Blanc à Verlinghem en banlieue de Lille. Une récompense suivant la remise en état de cette bâtisse en mauvais état, mais bien placée et son lancement commercial en pleine période de crise. Stéphane Lecoq est alors P-dg de la SA, mais associé minoritaire aux côtés d'industriels de la région. Le couple a lui-même pendant une bonne année mis la main à la pâte pour la remise en état de l'immeuble. Ils ont mis peu d'économies dans l'affaire et surtout leur savoir-faire. Mais ce grand bateau qui emploiera jusqu'à dix-neuf personnes a relativement peu de fonds propres. Pour démarrer, le P-dg est payé au smic hôtelier. Au troisième mois, la société ne peut assurer la paye des salariés, les banques comme les associés tournent la tête et les Lecocq doivent compléter de leur poche.

L'étoile assure immédiatement une augmentation de 35% de chiffre d'affaires et l'arrivée des étrangers. Au milieu de la seconde année d'exploitation, le CA dépasse 6 MF en rythme annuel. Le résultat opérationnel est largement positif. L'équilibre semble assuré pour la troisième année. Mais c'est à ce moment que les relations se gâtent avec le conseil d'administration. Passons sur les détails. Parce que le P-dg est sanctionné pour s'être offert une prime de 2.000 F sans en avoir référé au conseil après l'obtention du macaron, parce qu' il refuse une embauche qui lui est "suggérée", parce qu'il s'entend menacer d'une augmentation de capital qu'il ne pourra suivre, bref... Stéphane Lecoq réalise qu'il n'est pas le patron et se sent tout à coup en état d'insécurité et d'infériorité. Il quitte l'affaire du jour au lendemain en y laissant des plumes. Sans discuter. A quoi bon ? On ne discute pas quand on n'a pas d'argent.

On peut deviner les arguments des bailleurs de fonds. N'a-t-il pas été payé à fonds perdus un an et demi
-fût-ce au SMIC- pour remettre en état un immeuble et lancer une entreprise qui demandait de nouveau un an et demi pour se trouver sur les rails ? N'a-t-il pas ainsi obtenu un macaron, une notoriété et une grande maison qu'il n'aurait jamais pu financer ?

Brigitte Lecocq suit son mari quelque temps plus tard, ouvre un commerce hors restauration pour le moment, mais garde le virus du métier. Ils louent une maison à Attin dans la région du Touquet (62). Stéphane Lecocq partage sa vie entre un poste de professeur titulaire au LP de Rue dans la Somme voisine et des prestations de conseil. Il pense à remonter une très petite affaire réclamant peu de moyens et se méfie des sollicitations. Les Lecoq goûtent le plaisir peu connu des restaurateurs de prendre du temps pour leurs enfants. Ils tirent deux enseignements de l'aventure : "La restauration haut de gamme a de l'avenir même dans le Nord si on respecte le client, si on sait et si on aime recevoir, si on est économe et que l'on sait s'oublier", explique avec passion ce chef qui oublie au passage le talent du cuisinier. Mais seconde conclusion, il faut choisir son statut avec soin. Ou bien l'on est vraiment patron dans une maison que l'on contrôle, et alors les sacrifices se comprennent. Les investissements doivent être progressifs et limités, proportionnés aux moyens du créateur. Ou bien on est salarié intéressé ou non dans une grande maison. Mais pas entre les deux.

Leur ancienneté dans le métier malgré leur âge laisse bien des possibilités. Ancien du LH du Touquet, Stéphane Lecocq a rencontré sa femme d'origine alsacienne au cours d'une expérience américaine en Floride et sur la côte Est. Directeur de la restauration d'un Holiday Inn pour y apprendre la gestion, il revient dans sa région natale au Château de Bac Saint-Maur près de Lille pour y monter une première affaire. La vraie référence de leur carrière commune. Mais ils n'y étaient que locataires, ce qui les a amenés à céder faute d'un bon accord avec le propriétaire. Avant le Château Blanc, les Lecocq ont vécu de nouveau une expérience aux Etats-Unis pour le lancement du pavillon français de Disneyworld à Orlando. Il sera difficile après ces tribulations de se reposer longtemps seuls à la campagne.

A. Simoneau

Stéphane et Brigitte Lecocq : les leçons de l'échec d'une association en dépit d'une brillante réussite professionnelle au Château Blanc.



L'HÔTELLERIE n° 2493 HEBDO 16 janvier 1997

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