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Pointe du Raz

Dernier réveillon à «l'Hôtel de l'Iroise»

Après 46 ans de bons et loyaux services, Marie Le Coz, 77 ans, achève cette année sa carrière d'hôtelière à la Pointe du Raz.

«Le 30 décembre, c'est complet. Le 31 aussi et le lendemain, c'est fermeture définitive», exit les retardataires. Seuls quelques privilégiés, clients de la première heure, ont vécu donc en direct, les dernières heures de cet établissement de 10 chambres dont l'image a fait maintes fois le tour du monde. En 45 ans d'activité, les clients anonymes de Mme Le Coz -Français, Suédois, ou Japonais, dont les cartes postales ornent les murs-, purent ainsi côtoyer, le temps d'une soirée arrosée d'embruns, des vedettes comme Charles Vanel, Bourvil ou... Robert Mitchum. Toute une époque va bientôt disparaître sous les coups de boutoir des bulldozers.

«Au nom de l'opération Grand Site»

Dans le cadre de la rénovation du site de la Pointe du Raz*, l'hôtel posé sur la lande «face à l'Amérique», va donc être bientôt rasé comme l'ancien centre commercial. «Un véritable crève-coeur» pour Marie Le Coz. Vieille dame très digne dans l'adversité, fatiguée par des années de lutte contre l'hydre administratif -«on ne peut rien contre l'Etat»-, elle s'est aujourd'hui résignée, contrainte et forcée. Et dès le 8 janvier, elle est partie à 800 m de là dans sa maison du bourg de Lescoff, son village natal. Ensuite, il s'agira de rendre les clefs contre le solde de son indemnité de départ (dont nous ne saurons rien du montant)... et de tourner la page.

Initiée en 1989 par Brice Lalonde, le ministre de l'Environnement de l'époque, l'opération «Grand Site» a finalement eu raison d'elle. Vingt ans de lutte rythmée par les manifestations anti-nucléaires de Plogoff, vingt ans de fausses promesses et d'espoirs parfois, pour en arriver là. Difficile pour celle qui a consacré toute son énergie à son établissement. Ce n'est pas l'indemnité accordée par le Conservatoire du littoral qui atténuera son chagrin.

Perché sur la falaise, l'hôtel de l'Iroise, c'était sa vie, sa famille depuis son inauguration en 1952. Au point que malgré la notoriété, Marie n'avait jamais «gonflé» ses prix. Dans le modeste établissement, complet à 15 jours, on pouvait ainsi disposer d'une nuit à 170 F et d'un petit déjeuner à 24 F. Un luxe rare, pour une soirée avec vue imprenable sur l'océan, 72 mètres plus bas.

TF1 s'y est arrêté en ouverture du journal de 13 heures. Libération lui a consacré toute sa dernière page. D'autres médias anglo-saxons et nippons ont relaté l'histoire... «Depuis plusieurs mois, je n'arrête pas de raconter mon histoire à des journalistes français et étrangers», souligne Marie Le Coz en souriant. Le «lobbying» des médias n'aura pourtant servi à rien. Son établissement ne sera pas transformé en musée du souvenir. Il disparaîtra pour laisser place au programme de revégétalisation de ce site piétiné chaque année par plus de 800.000 visiteurs.

Alors que se profile l'heure de la retraite imposée, Marie programme donc sereinement sa cessation d'activités. Non sans un pincement au coeur. Heureusement que le réveillon du Nouvel An lui a permis de terminer son histoire en beauté. Deux couples de clients, fidèles parmi les fidèles, lui ont en effet offert le caviar, le foie gras et le champagne afin de parler «des bons moments ou de ce terrible ouragan d'octobre 1987» quand elle a cru vivre la fin du monde. C'était il y a presque 10 ans.

S. Corre

* La restauration du site est estimée à 50 millions de francs dont 10 MF apportés par le Conservatoire du littoral. Cet établissement public créé en 1975 a ainsi acquis 103 hectares sur la Pointe du Raz auprès de 800 propriétaires.

«On ne lutte pas contre l'Etat», déclare résignée Marie Le Coz.



L'HÔTELLERIE n° 2492 HEBDO 09 janvier 1997

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