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Restauration

Pierre Gagnaire

Il prend le... Paris

C'est décidé : le restaurant Pierre Gagnaire ouvrira ses portes le 28 novembre au 6 rue Balzac, à deux pas des Champs-Elysées. Le chef qui a retrouvé une bonne partie de son équipe stéphanoise misera sur le haut de gamme avec un menu à 5 plats à 750 francs, mais aussi une formule «plat du jour» à moins de 250 francs. «Je n'ai pas sombré dans la mélancolie aiguë et j'ai toujours la même envie de bien faire mon métier», affirme-t-il.

Un immeuble fin XIXème dans le quartier de l'Etoile. A deux pas des Champs-Elysées, l'Hôtel Balzac et, sur la même entrée, l'ex-restaurant italien «Bice» qui deviendra bientôt le restaurant Pierre Gagnaire. Les travaux vont bon train et une petite note informe «l'aimable clientèle que la réouverture est prévue pour courant octobre.»

Il y aura un peu de retard. En fait au 6 rue de Balzac, le restaurant ne rouvrira que le 28 novembre avec Gagnaire aux commandes.

Ironie du sort, le chef stéphanois aura mis... neuf mois à accoucher de son nouveau projet. Celui de la relance dans un Paris où la concurrence est rude mais où il peut se refaire une place au soleil.

«Parmi toutes les propositions que l'on a pu me faire, j'ai choisi la plus cohérente. Moyennant un loyer très raisonnable, avec une nouvelle décoration et après remise en état de la cuisine par les propriétaires, je serai dans mes murs. Les discussions ont été longues et je tenais à cette indépendance vis-à-vis de l'Hôtel Balzac. Même si je ne possède pas les murs ou le fonds de commerce, je suis à nouveau chez moi et c'est une notion au moins aussi importante que le contexte amical qui a entouré nos discussions avec Christian Falcucci (1).»

L'Hôtellerie :

Vous venez de passer de longs mois loin des fourneaux. En l'état actuel des choses, était-ce un poids à porter ou une sorte de luxe ?

Pierre Gagnaire :

«Ni un poids ni un luxe. En fait, je n'ai réussi à faire le vide que pendant une huitaine de jours pour m'extraire des problèmes présents et futurs.

Chaque jour a compté, et j'ai vite senti que si je ne retrouvais pas un lieu pour travailler, ce serait psychologiquement très difficile. Durant cette «période morte», nous nous sommes efforcés avec Chantal, mon épouse, de prendre les problèmes à bras-le-corps et d'en régler un maximum.»

L'Hôtellerie :

Avez-vous éprouvé des doutes et remis en cause votre cuisine ?

Pierre Gagnaire :

(Longue réflexion) «Des doutes ? Bien sûr. Il faudrait être mégalo ou imbécile pour ne pas en avoir. Ma défaite à Saint-Etienne est due à un malentendu très ancien qui date d'une vingtaine d'années. Je n'ai pas su ou voulu voir réellement quelles étaient les possibilités de la ville, et compte tenu du contexte, ce que je faisais était miraculeux. En fait plus ma notoriété grandissait, et moins j'avais ma place !

J'ai été victime d'une sorte de cynisme bancaire qu'a largement expliqué Marc Veyrat. J'ai négocié un an trop tard et mon honnêteté m'a perdu. J'ai voulu aller au bout d'une logique, et dans une période de crise, c'était impossible...»

L'Hôtellerie :

Ce passage difficile a-t-il pu vous amener à poser un nouveau regard sur votre profession ?

Pierre Gagnaire :

«C'est curieux, mais je n'arrive pas à voir les choses en noir. Même si quelques mots de trop m'ont parfois fait très mal, je n'éprouve pas de réelle déception. Les gens se sont révélés tels que je les avais perçus depuis longtemps. J'ai pu constater que chacun vivait avec ses difficultés et ses lacunes, que l'on pouvait détruire les gens en entretenant les rumeurs ou les fausses supputations, et que les vrais amis étaient là s'il le fallait.»

L'Hôtellerie :

A moins d'un mois de l'ouverture de votre restaurant, avez-vous le sentiment de repartir à zéro ?

Pierre Gagnaire :

«Oui bien sûr. Aujourd'hui il faut qu'à tous niveaux je refasse mes preuves. Il me faut reconstruire pour reprendre le rang qui est le mien avec une clientèle à conquérir. Je sais que tout restera très compliqué et que je serais pénalisé jusqu'à la fin de mes jours par ce qui s'est passé à Saint-Etienne. J'ai cependant refusé de me cacher, et je crois avoir été honnête et cohérent.

J'ai toujours la même envie de bien faire mon métier tel que je le ressens. La grande claque que j'ai reçue laissera forcément des traces, mais je ne prends pas de cachets et je n'ai pas sombré dans une mélancolie aiguë. J'ai encore de l'énergie et la santé pour me battre dans ma cuisine.»

L'Hôtellerie :

Justement, que sera le Pierre Gagnaire parisien ?

Pierre Gagnaire :

«Je vous l'ai dit, j'ai gardé mon enthousiasme et ma fraîcheur. J'ose à peine parler d'une certaine forme de naïveté pour replonger dans un projet dont le maître mot est la qualité. La seule façon d'en sortir est d'être cohérent avec ce que je suis et avec mon approche de la cuisine. Je ne prétends pas défendre la cuisine avec un grand C parce que je pense qu'elle est multiple... mais ce serait un autre débat. Disons que je veux encore donner du bonheur aux gens.»

L'Hôtellerie :

Avez-vous défini totalement le concept de votre restaurant ?

Pierre Gagnaire :

«Ce que j'ai vécu n'était pas véritablement propice à une réflexion culinaire, et j'étais davantage concerné par le règlement de gros problèmes qui tenaient à la survie. Je sais cependant ce que je vais faire chez moi, et cela tient à quelques constats.

Le secteur des «menus affaires» à 350 francs me semble suffisamment encombré et Paris n'a pas besoin de moi pour ça. En fait, il existe trois marchés : le bas de gamme ou le populaire qui est un vrai métier exigeant une rigueur industrielle ou commerciale ; le milieu de gamme où spontanément tout le monde a tendance à aller, mais je me suis rendu compte à Saint-Etienne qu'en baissant mes prix je déroutais ma clientèle habituelle sans en capter une nouvelle ; le haut-de-gamme enfin où je me situais jusqu'à présent.

A Paris, j'ai décidé de faire du haut de gamme, sans me monter la tête et sans la moindre prétention. Je veux travailler avec des gens qui font des produits de qualité et avec du vrai personnel qui touchera un salaire relativement important.»

L'Hôtellerie :

Ce sera pratiquement Saint-Etienne à Paris !

Pierre Gagnaire :

«A Saint-Etienne, le défaut est que j'avais peut-être trop de temps pour penser à ma cuisine. Je veux limiter ma carte à une vingtaine de plats très personnalisés et tirer la quintessence de mes trente ans de métier. Je sais que ma cuisine peut être encore créative et ma seule angoisse aujourd'hui serait de perdre mon âme.

Je vais donc proposer un menu dégustation à 5 plats à 750 francs, c'est-à-dire un peu moins cher qu'à Saint-Etienne puisque je n'ai pas les mêmes charges. A la carte, quelques plats permettront à mes clients de manger autour de 500 francs, et il y aura également un plat du jour avec un dessert et un verre de vin pour moins de 250 francs.

Aujourd'hui et comme dans toute aventure, je crois à ce projet. Je suis cependant bien placé pour savoir que ce sont les gens qui font le restaurant et que je devrais peut-être basculer.»

L'Hôtellerie :

Avez-vous choisi votre équipe ?

Pierre Gagnaire :

«Pour 35 à 40 couverts par service, je travaillerai avec une vingtaine de personnes. Certaines étaient déjà à Saint-Etienne et l'essentiel de l'équipe a déjà travaillé avec moi.»

L'Hôtellerie :

Votre priorité est-elle la reconquête des étoiles rendues à Michelin ?

Pierre Gagnaire :

«Aujourd'hui, l'objectif n'est pas de récupérer trois étoiles, mais d'être cohérent et logique avec ce que j'ai défendu pendant vingt ans. Je suis parti sur un échec que j'ai la prétention de ne pas attribuer à ma cuisine, et compte tenu du soutien qui m'est apporté, je pense encore avoir quelque chose à raconter en cuisine.

Je fais partie des gens qui pendant des années ont été davantage obsédés par l'idée d'aller au bout d'un projet que par la conquête des étoiles. J'admets cependant que cette troisième étoile était un couronnement et la référence absolue. Ce jour-là, j'avais gagné ma Coupe d'Europe...»

L'Hôtellerie :

Avez-vous cependant rencontré le responsable du guide Michelin pour évoquer votre cas ?

Pierre Gagnaire :

«J'ai effectivement fait part de ma façon de fonctionner, de la même manière que j'avais pu «rendre» les trois étoiles et demandé à être retiré du guide. Cela me semble normal, mais il n'y a pas le moindre «deal» entre nous.

Je reviens avec le même enthousiasme, la même fraîcheur et le même souci de qualité pour faire de la belle cuisine. Je me resitue dans une logique et si j'avais voulu faire de la brasserie, je ne serais pas là.

J'ouvre mon restaurant le 28 novembre (2), et après quelques jours de rodage je veux être jugé comme les autres et pas en fonction de mon passé, parce que je ne suis pas un «has been» et que mon retour n'est pas un «come back».

Propos recueillis par

J.-F. Mesplède

(1) Comme son voisin l'Hôtel De Vigny (Relais & Châteaux), l'Hôtel Balzac est dirigé par Christian Falcucci et propriété du Groupe Abella.

(2) Réservations à partir du 18 novembre au 01.44.35.18.25.

«

Je veux limiter ma carte à une vingtaine de plats très personnalisés et tirer la quintessence de mes trente ans de métier

»

, affirme-t-il.



L'HÔTELLERIE n° 2482 Hebdo 7 novembre 1996

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