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Goût d'amertume à Lyon

Si l'opération «Bistrots en Fête» s'est dans l'ensemble bien déroulée à Lyon, certains cafetiers gardent un goût amer de la soirée.

«

Au Cocon d'Or», rue d'Alsace-Lorraine à Lyon. Pas très loin du Rhône et de la place des Terreaux. Au pied de la colline de la Croix-Rousse et à deux pas de la «ficelle» (le métro la remplace aujourd'hui) qui permettait d'y monter. Un petit établissement de quartier comme il en existe quelques- uns dans le secteur. Limonade et plat du jour, ambiance pub avec jeu de fléchettes, clientèle de professions libérales le midi et de jeunes le soir. Installé là depuis dix ans, Jacques Duroisin ouvre son établissement de 8 heures à 1 heure du matin, du lundi à vendredi.

A l'occasion de la «Fête de la musique», il avait invité quelques clients qui jouent de la musique à leurs heures perdues, à venir «faire le bœuf». Et le luthier d'à-côté avait prêté une contrebasse et joué quelques notes.

Pour «Bistrots en Fête», il avait trouvé sympa de récidiver, et les clients-amis avaient adhéré à l'idée. En voisine, une comédienne est venue jouer un petit sketch. Et trois «musiciens du dimanche» se sont associés pour jouer quelques notes et «chauffer» la petite salle.

Ce vendredi 27 septembre, tout se passait plutôt bien. L'ambiance était sympathique et dans le ton de l'opération. Par le biais de la presse locale, Michel Forien, adjoint au maire chargé du commerce et de l'artisanat, avait d'ailleurs souligné qu'il «misait sur cette opération pour redonner de l'éclat à ces irremplaçables lieux de convivialité et d'échanges». Jacques Duroisin se sentait donc parfaitement dans la... note.

Ce vendredi soir pourtant, vers 21 h 30, tout s'est subitement gâté. Huit fonctionnaires de l'inspection du travail ont brutalement fait irruption dans l'établissement sous prétexte de contrôle.

- Qui sont ces musiciens ? a demandé Eric B., inspecteur du travail.

- Des amis, l'un est employé de banque, l'autre bijoutier et mon neveu fait son service militaire, a courtoisement répondu Jacques Duroisin.

- Quel est le nom de leur groupe ?

- Ce n'est pas un groupe et ils jouent bénévolement.

- Comment les payez-vous ?

- Je ne les paye pas, je viens de vous dire qu'ils jouaient bénévolement.

- Vous leur donnez bien quelque chose ?

- Je vais leur offrir à boire et à manger ce qui me semble le minimum de l'hospitalité.

- Il faudra déclarer tout ça, je vous convoquerai !

Une trentaine de minutes plus tard, non sans avoir interrogé quelques clients, la troupe est repartie après leur pâle prestation.

Le 30 septembre, comme promis, «Monsieur le Directeur du Cocon d'Or» a reçu pour le 14 octobre à 11 heures sa convocation où Eric B. lui demandait de produire le «registre unique du personnel et les contrats de travail des artistes occupés les 26, 27 et 28 septembre.»

Le 14 octobre, Jacques Duroisin a répondu à la convocation pour réaffirmer que les musiciens avaient joué bénévolement et, pour appuyer ses dires, a produit des attestations sur l'honneur signées par les «artistes d'un soir». Cela n'a semble-t-il pas convaincu l'inspecteur du travail. Et après avoir suggéré oralement -et en vain- que des fiches de paye à hauteur de 300 francs lui soient présentées, a réédité sa demande par courrier arguant de l'article L 762-1 du Code du Travail qui «présume que les artistes sont salariés quel que soit le mode de leur rémunération en l'occurrence un repas et une boisson».

Pas convaincant

Il recommande donc de les «inscrire sur le registre unique du personnel» et de leur «délivrer un bulletin de salaire dont les sommes seront portées sur le livre de paie». A défaut insiste ce monsieur, «vous risqueriez de vous voir reprocher des contraventions, voire le délit de travail clandestin».

Jacques Duroisin n'accepte pas. Il a écrit à sa Chambre syndicale et à l'adjoint au maire pour plaider sa bonne foi. «Je n'ai rien à me reprocher et je ne veux pas céder. On me parle de travail clandestin alors que l'opération était annoncée par une banderole depuis une quinzaine de jours. Je ne ferai pas une fiche de paye pour deux pizzas à 6,50 francs ! Je ne conteste pas les contrôles, mais c'est tellement facile de venir ce soir là. Je ne suis pas contre la loi et l'ordre, mais pas dans de telles conditions. Je ne me sens pas coupable, et je ne comprends pas que l'on vienne me chercher des poux dans la tête.»

Il n'est pas le seul à ne pas comprendre. Le même soir, plusieurs bistrots voisins ont également été contrôlés, et ce «spectacle» là n'était pas prévu au programme. Vous avez dit excès de zèle ?

J.-F. Mesplède

Jacques Duroisin, café «Au Cocon d'or» à Lyon, a reçu la visite de huit
fonctionnaires de l'inspection du travail pendant «Bistrots en Fête».



L'HÔTELLERIE n° 2481 HEBDO 31 octobre 1996

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