Actualités

www.lhotellerie-restauration.fr
 
du 4 septembre 2003
ACTUALITÉ JURIDIQUE

Du côté des prud'hommes

COMMENT L'EMPLOYEUR PEUT-IL SUPPRIMER UNE PRIME ?

Pendant de nombreuses années, un employeur verse une prime de fin d'année à tous ses salariés. Un jour, par une note de service, il les informe de la suppression de cette prime. Un de ses salariés s'est rendu devant le conseil de prud'hommes pour contester cette décision.L'employeur s'est vu condamné pour ne pas avoir dénoncé cet usage selon un certain formalisme.

Le salarié travaille dans un bowling de la région parisienne. Depuis son embauche en 1954, il a perçu une prime de 13e mois intitulée 'gratification', dont le montant était systématiquement égal à un mois de salaire brut. Cette prime a ainsi été régulièrement versée chaque mois de décembre, et ce jusqu'en 1993, date à laquelle elle a été payée en deux fois, au cours des mois de juillet et de décembre. Depuis décembre 1994, l'employeur a cessé de la verser.
Si l'ensemble de ses collègues de travail a préféré se fondre dans le mutisme, le salarié en cause n'a pas accepté la perte d'argent qu'entraînait la suppression de la prime. Il a écrit à son employeur pour la lui réclamer. Ce dernier lui a répondu avoir décidé de ne plus la verser. Le salarié devait donc se plier à cette mesure. Chacun restant campé sur ses positions, la justice devait trancher.

Les enseignements à tirer de cette décision

En premier lieu, la prime versée par l'employeur, qui présente les caractéristiques de constance dans sa périodicité de versement, de généralité et de fixité dans son montant ou son mode de calcul, constitue un avantage individuel acquis que l'employeur ne peut pas supprimer unilatéralement.
En outre, la dénonciation d'un usage par l'employeur doit respecter une procédure bien précise :
- informer individuellement chaque salarié par lettre recommandée avec accusé de réception ;
- informer les représentants du personnel ;
- respecter un délai de prévenance.
A défaut, les salariés peuvent prétendre au maintien de l'avantage individuel acquis et en réclamer le paiement selon les prescriptions applicables (en la matière, la prescription est de 5 ans).

Le salarié invoque un usage
Devant le conseil de prud'hommes, le salarié entend obtenir le paiement de cette prime de 13e mois pour les années passées depuis 1993. Selon lui, cette gratification présentait les 3 critères faisant d'elle un usage de l'entreprise, la rendant obligatoire, à savoir : elle était constante, fixe et générale. Le salarié développe son argumentation. Cette prime était versée tous les mois de décembre : elle était ainsi constante dans son échéance de versement.
Cet avantage était également versé à l'ensemble des salariés de l'entreprise. Enfin, celui-ci était fixe dans son montant : un mois de salaire brut.
Cette prime présentait ainsi les caractéristiques d'un usage propre à l'établissement. Elle était devenue au cours des années un avantage acquis.
Le salarié poursuit en invoquant les règles de droit propres à un usage. Si l'employeur voulait se libérer de cette gratification, il lui appartenait de la dénoncer en respectant une procédure spécifique : il devait informer individuellement les salariés de la cessation du versement de la prime. Il devait aussi informer par la même occasion les institutions représentatives du personnel. Il devait enfin respecter un délai de prévenance suffisant, permettant l'engagement de discussions entre la direction et les salariés.
N'ayant pas respecté une telle procédure, la prime continuait d'exister et les salariés ne pouvaient en être privés. Le conseil de prud'hommes devait condamner l'employeur à lui payer la prime.

La procédure à respecter

L'employeur qui souhaite dénoncer le versement d'une prime présentant les caractères de constance, de fixité et de généralité doit obligatoirement respecter une procédure :
w L'employeur doit informer les représentants du personnel, c'est-à-dire qu'il doit informer le comité d'entreprise, ou, à défaut, les délégués du personnel de cette décision de dénoncer la prime préalablement versée.
w L'employeur doit informer individuellement les salariés, c'est-à-dire qu'il doit informer préalablement et individuellement chaque salarié par lettre recommandée avec accusé de réception.
w L'employeur doit respecter un délai de prévenance suffisant. En pratique, le caractère suffisant du délai s'apprécie en considération des modifications apportées. Ce délai doit notamment permettre de rendre possible d'éventuelles négociations.
Il a déjà pu être jugé que la suppression fin septembre d'une prime de 13e mois devant être versée fin décembre était trop hâtive (Cassation sociale - 13 février 1996).

L'employeur invoque qu'il a dénoncé cette prime
A l'appui de son argumentation, l'employeur indique que, par une note de service en date du mois de décembre 1991, il a dénoncé cette prime. A cet égard, il produit une note de service dont les termes sont particulièrement éloquents : "En accord avec les différents responsables de service, il a été décidé que la gratification distribuée dans le courant du mois de décembre de chaque année est désormais attribuée dans les conditions suivantes..." Dès lors, le salarié ne saurait se prévaloir d'un usage ainsi dénoncé.

Modèle de lettre de suppression d'une prime

Lettre recommandée avec AR

Monsieur, Madame,

Nous tenons par la présente à vous informer personnellement de la décision que nous avons prise de supprimer la prime...

Cette suppression sera effective à la date du...  

Cet avantage constituait un usage dont vous avez pu bénéficier mais qui n'a jamais fait l'objet d'une clause particulière dans votre contrat de travail.  

Dès lors, sa suppression ne saurait être considérée comme une modification de votre contrat de travail.  

Nous vous prions de croire...

L'usage est un droit pour les salariés
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes a rendu son jugement.
En premier lieu, le conseil de prud'hommes rappelle qu'une pratique constante, fixe et générale constitue un usage dont le salarié peut se prévaloir. L'usage est créateur de droit. A ce titre, le conseil de prud'hommes indique que le demandeur apporte la preuve qu'une prime de 13e mois a bien été versée au personnel au mois de décembre pendant plusieurs années.
Puis, le tribunal rappelle que la société a d'ailleurs pu informer la représentation du personnel de sa décision de dénoncer cette prime : la direction reconnaissait ainsi implicitement l'existence d'un usage dans l'entreprise.
Enfin, le conseil de prud'hommes constate que la dénonciation de ladite prime par la société doit respecter une procédure spécifique. A cette occasion, l'employeur doit plus particulièrement prendre le soin d'informer individuellement chaque salarié de sa décision de dénoncer ladite prime : l'affichage d'un courrier dénonçant ladite prime ne vaut pas information individuelle aux salariés. Dès lors, la dénonciation de la prime est irrégulière et inopposable au salarié.
Le conseil de prud'hommes condamne l'employeur à payer au salarié un rappel au titre de la prime du 13e mois.
L'employeur qui fera appel de cette décision, verra la cour d'appel confirmer ce jugement. Selon la cour d'appel, la société ne démontre pas avoir personnellement averti le salarié de la suppression du versement automatique de la gratification de fin d'année, peu importe qu'il en ait eu connaissance par ailleurs, notamment par voie d'affichage : il faut un courrier recommandé. L'employeur doit effectivement être condamné à payer le rappel de prime.
F. Trouet (Synhorcat) zzz60r

Attention !

La prime prévue au contrat de travail ne peut être supprimée unilatéralement par l'employeur
Lorsque la prime a été prévue au contrat de travail signé par le salarié, elle constitue un élément essentiel de la relation contractuelle qui ne peut être modifiée unilatéralement par l'employeur.
Dès lors, la procédure de dénonciation de l'usage ne peut pas trouver application.
L'employeur qui souhaite supprimer la prime prévue au contrat de travail doit donc proposer au salarié sa suppression et accorder à ce dernier un délai de réflexion d'un mois (article L. 321-1-1 du Code du travail). A défaut d'accord, l'employeur devra soit renoncer à la suppression de la prime, soit engager une procédure de licenciement qui présentera un caractère économique.
Bien évidemment, l'employeur devra alors justifier d'un motif réel et sérieux de suppression de ladite prime (Cassation sociale - 18 avril 2000).

Article précédent - Article suivant


Vos réactions : cliquez sur le Forum des Blogs des Experts

Rechercher un article : Cliquez ici

L'Hôtellerie Restauration n° 2837 Hebdo 4 Septembre 2003 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

L'Application du journal L'Hôtellerie Restauration
Articles les plus lus...
 1.
 2.
 3.
 4.
 5.
Le journal L'Hôtellerie Restauration

Le magazine L'Hôtellerie Restauration