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Dominique Wolton, sociologue : la profession a "de l'or entre les mains"

Vie professionnelle - mardi 23 novembre 2010 09:08
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75 - Paris Roland Héguy, président confédéral de l’Umih, et Dominique Wolton, directeur de l’Institut des sciences de la communication au CNRS, invité très attendu du 58ème congrès de l'Umih à Biarritz, reviennent sur le rôle et l’importance de la profession dans la société moderne. Image et enjeux.



Discussion libre entre Roland Héguy et Dominique Wolton, qui est l'un des invités très attendus du congrès de l'Umih à Biarritz.
Discussion libre entre Roland Héguy et Dominique Wolton, qui est l'un des invités très attendus du congrès de l'Umih à Biarritz.

Dominique Wolton : Les CHR sont un capteur de la société, dont la force réside dans sa fonction de communication sociale et culturelle. Depuis le début de l’humanité, les gens ne font que deux choses : ils achètent et ils vendent, c’est le commerce. Et ils se déplacent pour acheter et pour vendre, et c’est l’hôtellerie. Vous êtes dans une fonction de service, de rencontre essentielle. Dans le monde, il  y a aussi des cultures de cafés, hôtels, restaurants, très différentes d’un pays à l’autre. En France, nous avons une culture très forte du bistrot et de la boulangerie. Ils représentent la vie et le cœur du village. Or, les boulangeries sont en train de repartir alors que les cafés ferment. Le café, c’est une identité culturelle française, un patrimoine que l’on ne valorise pas assez. Même constat pour la restauration populaire. On le voit bien dans le cinéma des années 30/40, ce qui faisait alors la force du restaurant, c’était la restauration populaire. Ce qui fait le tissu de la restauration aujourd’hui, c’est le restaurant à 12 euros.

Roland Héguy : Nous devons rester un acteur de proximité.


D. W. : En France, l’accueil n’est pas à la hauteur de ce que les gens attendent. A Paris, c’est typique. Nous avons pourtant la chance folle d’être la deuxième destination au monde, voire la première. Ce constat n’est pas propre à votre secteur, mais un étranger fera obligatoirement appelle à un café ou à un restaurant dans la journée... Je trouve que ce petit plus, cette petite dose d’humanité, fait défaut. Comme je viens de vous le dire, ce n’est pas spécifique à votre branche. La qualité du service dans notre pays a baissé globalement depuis une trentaine d’années. Les gens ne sont pas aimables entre eux, ils ne sont pas polis. C’est un phénomène sociologique. L’émancipation individuelle, qui est en soit un progrès, s’est traduite par le fait suivant : ‘j’ai des droits de mais je n’ai  pas de devoirs.’ L’individu a le droit d’être lui-même, de s’exprimer, de revendiquer, mais les contre parties de devoir, de respect ou de politesse ont en partie disparu.

R. H. : La notion de service disparaît parce qu’elle est devenue trop chère en France. Le petit job n’existe plus. Avant, c’était très agréable quand vous descendiez dans un petit hôtel de pouvoir vous faire cirer les chaussures ou d’avoir une consommation plateau repas… Tout ça est fini ou ne concerne que les établissements de prestige. Nous avons effectivement perdu en matière d’accueil mais je crois que l’on peut encore changer la donne. Il faudrait que tous les jeunes qui sont dans nos métiers se sentent acteur de ça. C’est quelque chose sur lequel nous devons travailler.

D. W. : Vous avez la possibilité d’accueillir des gens qui n’ont pas de formation et cette capacité à capter des fonctions de travail est également extrêmement importante. Chez vous, des gens sans diplômes peuvent grimper dans la hiérarchie. Il n’y a pas beaucoup de professions aujourd’hui qui peuvent le proposer. Pour les jeunes, c’est autant d’occasions de promotion et de formation, autant d’occasions de découvrir d’autres formes de rapports humains et sociaux. Votre force réside également dans son aspect artisanal. Et l’artisanat, il n’y a pas de mystère, on y reviendra sans cesse. Quand les gens sont enfermés dans des grandes tours, face à leur ordinateur du matin au soir, ils ont envie de contacts, ils ont besoin d’un accueil où ils sont reconnus. Les petits commerces, les petits indépendants sont fondamentaux dans cet équilibre. Je trouve catastrophique cette concentration pour raisons économiques, C’est tout une part de la communication humaine qui s’en va.

R. H. : La profession a toujours été un vecteur de lien social. Nous apportons la diversité, une ouverture à l’autre.

D. W. : Vous avez du mal à recruter, parce que beaucoup ne veulent plus travailler à des horaires impossibles. C’est peut-être cela qu’il faut mettre en avant. Eh bien oui, il y a des modes de vie différents et tout le monde ne se ressemble pas, tout le monde n’a pas les mêmes besoins ! La qualité de la vie peut s’inscrire dans des horaires décalés. Malheureusement, vous n’êtes pas épargné par la baisse de l’engagement au travail comme valeur… Je pense qu’il faudrait faire un tour d’Europe de l’accueil… Ce serait sans doute très instructif.

R. H. : Nous sommes au centre des contradictions de la société.

D. W. : Dans certains endroits, vous ne trouvez personne à l’accueil et on trouve ça "moderne" de supprimer un emploi. Il faudrait des aides particulières pour éviter cet excès d’automatisation. Nous sommes des êtres sociaux : on est de bonne humeur, on est triste, on est heureux et nous avons besoin de la relation à l’autre. Prenez une petite vieille qui est toute seule et qui va acheter son pain à la boulangerie, c’est parfois la seule communication qu’elle aura de la journée. ‘Comme d’habitude, une baguette bien cuite Madame Dupont’. Pour elle, ça change tout.

R. H. : Je voudrais revenir sur les jeunes. Il y en a beaucoup en France qui sont en réelle difficulté, qui sont en recherche d’un emploi alors qu’ils n’ont pas de bagages, qui veulent se remettre sur les rails pour construire quelque chose. Nous sommes en train d’imaginer avec nos bureaux une sorte de parcours. Un jeune pourrait désormais venir frapper et nous dire, voilàv,j’ai envie de faire quelque et je ne sais pas quoi. Il y aurait alors une prise en charge de ce jeune d’abord pour lui montrer les métiers que nous représentons, ensuite pour l’intégrer dans le cadre d’un contrat d’apprentissage ou d’alternance, avec, à ses côtés, un tuteur labellisé. Mais cette prise en charge serait forte avec un tuteur qui pourrait avoir un rôle presque de père, un rôle qui rappellerait l’esprit du compagnonnage.

D. W. : Un gosse qui a des problèmes a besoin de parler. Dans votre proposition, il va être obligé de se mettre à parler. Même en cuisine ça cause !

R. H. : Nous participons à l’aménagement du territoire, ça aussi c’est important.

D. W. : Ce maillage national doit être préservé. Un café, c’est l'anti-solitude. La baisse de TVA a été significative de la perception de votre secteur. On vous voit d’abord comme un lobby corporatiste, même si dans le même temps l’on vous reconnaît comme un art de vivre.

R. H. : Oui, mais quoi faire ?

D. W. : Il ne suffit pas d’informer pour communiquer. Si les récepteurs ne veulent pas entendre… Tout le problème, c’est d’arriver à  modifier les conditions de réception, pour que les gens se mettent à entendre. Les plats du jour qui passaient de 7,80 euros à 7,60 euros ont donné une mauvaise image. On a eu l’impression que vous étiez juste des profiteurs.

R. H. : Grâce à cette baisse de TVA,  nous avons créé 30 000 emplois  dans une période de récession économique général. Nous avons stoppé les défaillances d’entreprises. Au total, ce sont 60 000 emplois qui ont été maintenus ou créés.

D. W. : Vous êtes plus nombreux que dans le monde agricole et eux ne sont pas taxés d’être uniquement un lobby, alors que vous vous l’êtes.  

R. H. : Comment sortir de cette image alors que nous sommes des chefs d’entreprise qui créent de l’emploi et de la richesse ?

D. W. : Les agriculteurs ont le rapport avec la nature et vous, vous avez le rapport avec l'autre, c'est-à-dire la relation !

R. H. : Il existe envers nos professionnels un capital sympathie individuel. Dans ton village, dans ta ville, tu es copain avec le cafetier, avec le restaurateur. Or, l’image collective de la profession est dénaturée. Il y a une fracture.

D. W. : Là où vous n’avez pas de responsabilité, c’est, qu’en France, nous sommes, et c’est un mode stupide, dans l'urbanisation intensive et la technisation maximum. On déshumanise les rapports sociaux. Quand je vous parle du rapport à la relation, c’est vous qui avez l’avenir devant vous. La question de la relation est devant nous. Les hommes, les êtres humains sont seuls et vous avez, quelque part, de l’or entre les mains.

R. H. : Nous faisons fausse route à être purement dans la mécanique du chiffre.

Propos recueillis par Sylvie Soubes

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