Grand angle : La cuisine de femme existe-t-elle ?

La cuisine de femme est-elle identifiable ? Certains clients l'affirment, parlant de délicatesse, de subtilité, de cuisine du coeur. Mais qu'en pensent réellement les premières concernées et leurs homologues masculins ?

Publié le 27 décembre 2012 à 16:59

"Quel plat d'une infinie délicatesse, c'est bien la cuisine d'une femme", a-t-on pu entendre d'un chef à la table d'Anne-Sophie Pic, à Valence. 'Délicate', 'sensible', 'raffinée', sont souvent des termes utilisés pour qualifier la cuisine de femme. Des chefs comme Gérald Passédat au Petit Nice à Marseille, n'hésitent pourtant pas à qualifier leur propre cuisine de délicate ou subtile. La cuisine de Jean-Georges Klein à l'Arnsbourg à Baerenthal n'est-elle pas aussi d'une grande sensibilité ? Des chefs femmes et hommes nous donnent leur point de vue sur une question qui divise.

Adeline Grattard, Yam'Tcha, Paris Ier 43009

Formée aux côtés de Pascal Barbot à L'Astrance (Paris, XVIe) et de Flora Mikula aux Olivades (Paris), Adeline Grattard pense qu'il y a une différence entre la cuisine d'homme et de femme. "C'est une approche du métier différente et c'est comme cela dans tous les corps de métier. Nous faisons une cuisine plus débrouillarde, plus instinctive peut-être. Moi je cuisine comme si j'étais une femme au foyer qui a de l'argent, du temps et qui veut faire plaisir. La cuisine d'homme est souvent plus technique, elle revêt plus un côté 'show'. En salle, je serais plus satisfaite d'un plat qui entraîne une véritable émotion et d'entendre un client dire 'c'est délicieux', plutôt que 'comment il a réussi ça ?'"

Anne Majourel, La Coquerie, Sète (34) 43010

Sur son site internet, elle assume pleinement son statut avec le titre 'chef au féminin'. Avec la sortie du film Les Saveurs du Palais (inspiré de l'histoire de François Mitterrand et de la cuisinière Danièle Mazet-Delpeuch qu'il fit entrer à l'Élysée), elle avoue être troublée. "Oui, je pense faire une cuisine de femme, mes clients viennent justement pour cela. Quand ils voient la différence entre une cuisine de femme et celle d'homme et qu'ils l'apprécient, ils la recherchent. Une femme ne cuisine pas pour séduire ou accomplir un exploit, mais pour nourrir, fédérer. C'est une cuisine tournée vers les autres, quand celle des hommes, réfléchie, carrée, tient plus de la performance. Je ne suis pas critique en disant cela, mais je constate qu'il y a des manières différentes d'appréhender l'art de la cuisine et qu'à l'arrivée, ce n'est pas pareil. Je sais que ma cuisine est imparfaite, je suis incapable de reproduire deux fois la même assiette, mais le sens est là, le goût et le plaisir aussi. En même temps, dans ce métier, il n'y a pas de dentelle. Les coups de feu, les casseroles, les marmites remplies, c'est lourd, c'est violent."

Reine Sammut, Auberge de la Fenière, Cadenet (84) 43011

"On parle souvent d'un homme comme d'un chef et d'une femme comme d'une cuisinière. Moi je fais une cuisine pour faire plaisir, pour quelqu'un, c'est ce qui me donne envie de faire mieux. Les hommes sont plus techniques, quand les femmes sont rassembleuses. En même temps, il y a toujours un brin de féminité chez les hommes et un brin de masculinité chez les femmes. À l'origine, les femmes font une cuisine plus nourricière. Aujourd'hui, c'est l'approche qui est différente."

Amandine Chaignot, Hôtel Raphaël, Paris XVIe 43012

"Je n'aime pas trop que l'on catalogue les cuisines en général. Cela m'agace que l'on veuille absolument cloisonner la cuisine de femme et je trouve étrange d'associer la cuisine de femme et les qualificatifs 'équilibrée', 'délicate' ou 'subtile'. Pour moi, il y a autant de façons de s'affirmer et de personnalités en cuisine, homme ou femme. C'est souvent un peu cliché cette histoire." Amandine Chaignot évoque ainsi un déjeuner sur le thème du canard préparé avec d'autres chefs, où un journaliste avait qualifié son carpaccio de 'féminin'. "Je me pose alors la question, que faut-il que je fasse pour que l'on ne qualifie pas ma cuisine de féminine ?" Elle est pleinement consciente qu'une femme dans un cinq étoiles attise la curiosité, "mais il ne faut pas que cela s'arrête au fait que je sois une femme. C'est le fond qui compte et il faut se démarquer."

Stéphanie Le Quellec, Hôtel Prince de Galles, Paris VIIIe 42403

"Non, définitivement, je ne pense pas qu'il existe une cuisine de femme. Chez moi, il est question d'une cuisine de sensibilité et de coeur. J'ai vu des hommes à la sensibilité exacerbée et des femmes brutes. Ce qui compte, ce sont les compétences, les qualités et l'échange autour d'une même passion. Il y a encore peu de femmes en cuisine, c'est un métier physique, parfois ingrat et qui demande beaucoup d'heures. Pour mener une vie de femme et de mère, il faut se donner les moyens."

Virginie Basselot, Saint James, Paris XVIe 42877

"Un couple de clients m'a dit la semaine dernière à l'issue du repas qu'il reconnaissait bien là une cuisine de femme. En même temps, ils savaient qu'il y avait une femme derrière. Je pense qu'à l'aveugle, ce serait impossible à dire. Nous avons toutes travaillé avec des hommes et je ne pense pas que ça ait changé quelque chose. C'est peut-être au niveau du management et du dialogue que cela évolue. J'ai aussi l'impression que les jeunes viennent plus facilement vers nous. À passer toute la journée avec eux, on est parfois un peu maternelles." 

La cuisine des femmes ne serait donc pas identifiable aux caractéristiques que l'on a tendance à associer à la gent féminine. La délicatesse, la subtilité, le raffinement peuvent se retrouver autant dans une cuisine de femme que dans une cuisine d'homme, tout comme la robustesse, la générosité ou la franchise. La différence se situerait dans l'approche de la cuisine et du métier. Comme le sous-entendent les chefs, qui serait capable distinguer des plats réalisés par des hommes ou par des femmes s'il procédait à une dégustation à l'aveugle ?


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Publié par Caroline MIGNOT



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