Dictons… Non, précisions culinaires
Restauration - mercredi 19 novembre 2008 16:40
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Dictons ? Trucs ? Astuces ? Tours de main ? Adages ? Maximes ? Proverbes… Les mots sont innombrables pour désigner des catégories bien floues. C’est la raison pour laquelle je propose de regrouper toutes ces informations sous le nom de “précisions culinaires”. Elles sont passionnantes, parce qu’elles sont des objets de culture ! Sont-elles toujours justes ? Non, hélas, ce qui est un grave inconvénient pour les praticiens, et aussi pour les enseignants : peut-on donner des conseils douteux ? Nous y reviendrons.
Pour l’instant, examinons la question des interprétations des phénomènes observés par les praticiens. Oui, les cuisinières et les cuisiniers ne sont pas fous : quand ils observent un phénomène, ils l’observent vraiment. Hélas, le diable rôde près de l’observation, si l’on peut dire : autrement dit, nous sommes souvent conduits à voir ce que nous voulons voir, nous sommes souvent conduits à entendre ce que nous voulons entendre, et quand l’ignorance règne, des affirmations un peu péremptoires emportent souvent l’adhésion illégitimement. Par exemple, il n’a jamais été démontré que les bouillons où l’on met la viande à l’eau froide sont meilleurs que ceux où l’on met la viande à l’eau, chaude, et pis encore, on “empotait” toujours dans l’eau bouillante avant que Jean-Anthelme Brillat-Savarin ne s’en mêle, donnant des explications - des interprétations - fautives !
Arrêtons-nous un moment. LSR et les autres cuisiniers - des praticiens, eux - écrivaient dans leurs livres qu’il fallait toujours mettre la viande dans l’eau chaude pour faire un bon bouillon. Brillat-Savarin, lui, a fait une œuvre littéraire merveilleuse, mais pleine de fautes techniques ! D’abord, il faut savoir qu’il était homme de loi, pas cuisinier ! Ensuite, il faut savoir que son livre est un recueil d’idées gastronomiques qui couraient à son époque, habillé avec des faits scientifiques également présents. Par exemple, nous sommes bernés par des aphorismes comme : “On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.” Faux ! Archifaux : celui qui travaille pour devenir rôtisseur devient rôtisseur.
Le sucre cuit-il le jaune d’œuf ?
Tout cela est de la littérature, tout comme le fameux “osmazôme” que Brillat-Savarin popularise. Il se fonde alors sur les travaux du grand chimiste Louis-Jacques Thenard, qui avait été, semble-t-il, le premier à extraire une matière de la viande dans l’éthanol (l’alcool de nos eaux-de-vie, vins et liqueurs), et il monta la chose en épingle, prétendant que cet osmazôme était responsable de la saveur de la viande. Faux, encore !
On ne pourra pas passer sous silence les écrits du Baron Brisse, qui fut un summum dans l’art d’interpréter faussement. Cet homme n’était pas cuisinier, et la lecture de ses livres montre bien que l’on peut écrire n’importe quoi. Hélas, il n’y a pas de loi contre les informations fausses ni contre les mauvais travaux… mais là encore, il écrivait de façon si plaisante que ses idées idiotes se sont répandues.
En règle générale, quel dommage que le monde de la cuisine n’ait pas eu la sagesse du physico-chimiste anglais Michael Faraday, qui recommandait de ne pas généraliser hâtivement ! Cela nous aurait éviter des décennies de “cuissons par concentration” ou de “cuisson par expansion ” Non pas, à nouveau, que ces types de cuisson (évitez-moi s’il vous plaît les distinctions subtiles… et infondées entre types et modes) soient fautifs, du point de vue pratique, mais ce sont leurs interprétations qui étaient fautives. Passons, c’est de l’histoire ancienne (j’espère !).
Pour terminer sur cette question des interprétations, laissez-moi donner un exemple pris dans un manuel, afin de mettre en garde les cuisiniers contre ces explications fausses. C’est à propos de crème anglaise, quand on dit que le sucre “cuit” le jaune d’œuf si on ne bat pas immédiatement, afin de faire le ruban : “Toute cellule lipidique est attirée par le glucide. Le jaune d'œuf contient des cellules phospho-lipides et, au contact du sucre, il se produit une réaction chimique interfaces (surfaces jaune/sucre) avec dégagement de chaleur ; ce dégagement suffit pour coaguler la surface du jaune lors du contact avec le sucre si on ne remue pas tout de suite”. Ce charabia n'a aucun sens. D’abord parce que les “cellules lipidiques” ne sont rien, pas plus que des carrés ronds ! Ensuite parce que les lipides ne sont pas attirés par les glucides. D’autre part, il n’est pas vrai qu’il y ait dégagement de chaleur, et, enfin, la coagulation n’est pas une coagulation produite par la chaleur… puisqu’il n’y a pas de dégagement de chaleurs ! Méfions-nous de la fausse science !
Des précisions à foison
Pour en revenir aux précisions culinaires, il y en a à foison… et il est bien désolant que le tri n’ait pas été fait plus tôt. Mais il n’est pas trop tard.
- Est-il vrai que les poires restent blanches quand on leur ajoute du jus de citron ? Et les compotes de poire ? La réponse est oui, pour la première question, et “je ne sais pas” pour la seconde. Oui, l’acide ascorbique, ou vitamine C, présente dans le jus de citron, prévient le brunissement des poires, qui ne contiennent pas beaucoup de ce composé. C’est d’ailleurs un bon critère pour repérer les fruits et légumes qui contiennent cette vitamine C, dont le vrai nom chimique n’est d’ailleurs ni vitamine C ni acide ascorbique, mais (R)-5-((S)-1,2-dihydroxyethyl)-3,4-dihydroxyfuran-2(5H)-one ! Peu importe : la vitamine C inactive des enzymes qui sont libérées quand les cellules végétales sont endommagées, “attaquant” les polyphénols présents en abondance dans les tissus végétaux. Hélas, la vitamine C est dégradée par la cuisson… ce qui fait que je doute (sans a priori ni pour ni contre) sur l’effet du jus de citron contre le brunissement des poires que l’on prépare en compote.
- Est-il vrai que les poires rougissent quand on les cuit dans des casseroles en cuivre étamé ? Au cours de nombreuses conférences publiques, j’ai testé des centaines de poires (Passe Crassane, Williams, Red Williams, Comice, Conférence…) mais je n’ai jamais observé le changement de couleur… jusqu’à ce que nous montrions au laboratoire que tout était une affaire d’acidité, et non de cuivre ou d’étain.
- Est-il vrai que les mayonnaises tournent lorsque les femmes ont leurs règles ? Non, bien sûr… mais j’ai rencontré des femmes qui le soutiennent… et j’ai décidé de ne plus perdre mon temps à vouloir convaincre des gens qui ne veulent pas être convaincus. Est-il vrai que les mayonnaises tournent à la pleine lune ? Certains de mes étudiants qui ont testé la précision… ont fait tourner une mayonnaise un jour de pleine lune… mais ils ont réussi à faire une autre mayonnaise ce même jour. Non, les mayonnaises ne tournent pas à la pleine lune… mais il arrive que des mayonnaises tournent, n’importe quel jour.
- La température de réalisation des mayonnaises est-elle importante ? Il y a plusieurs années, lors d’une série de télévision intitulée ‘Toques à la loupe’, je m’étais amusé à faire des mayonnaises avec des œufs froids et de l’huile chaude, ou inversement : pas de problème !
Ce qui nous conduit à la question des tests… que nous évoquerons dans le prochain article.
Hervé This |
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