Chlorophylles et chlorophyllines, la fraîche et appétissante couleur des végétaux verts, par Hervé This

On voit d'emblée que je ne parle pas de 'la' chlorophylle, mais 'des' chlorophylles, et je parle aussi de chlorophyllines. Pourquoi le pluriel ? Pourquoi cet autre terme ?

Publié le 28 janvier 2019 à 17:25

 

Au début, il y a  la cuisine. Jadis, et naguère encore, on parlait de la préparation du vert d’épinard. Aujourd’hui, on entend parler de chlorophylle. C’est bien dommage, parce que le jargon a pris la place de la justesse. Le vert d’épinard, c’est une préparation verte, pour colorer les aliments, depuis des siècles. Rien à redire. En revanche, la chlorophylle est un mot prétentieux… et qui est faux depuis des décennies.

Commençons par le vert d’épinard, qui peut se faire aussi au persil, au cerfeuil, au vert de poireau, par exemple : on l’obtient classiquement en broyant des végétaux verts, puis en chauffant doucement le jus dans une casserole. Se séparent une mousse d’un beau vert, en surface, et un liquide brun, qui décante. On récupère la partie verte pour colorer en vert diverses préparations, telle la mayonnaise, en vue de donner une fraîche couleur.

Le mot chlorophylle, lui, fut introduit en 1818 par les pharmaciens français Joseph Bienaimé Caventou (1795-1877) et Pierre Joseph Pelletier (1788-1842), pour désigner le ‘pigment’ extrait des végétaux verts, et que l’on croyait être une matière de composition constante. Nos deux pharmaciens et chimistes reconnaissaient toutefois que le changement de mot n’était pas grand-chose : Nous n’avons aucun droit pour nommer une substance connue depuis longtemps, et à l’histoire de laquelle nous n’avons ajouté que quelques faits ; cependant nous proposerons, sans y mettre aucune importance, le nom de chlorophylle...”

 

Des chlorophylles

Puis, progressivement, les physico-chimistes découvrir que cette chlorophylle (au singulier) était en réalité faite de plusieurs composés différents. Ainsi, Georges Gabriel Stokes (1864), H. C. Sorby (1873), Mikhail Tswett (1906) et Richard Willstätter (1872-1942) découvrirent que la couleur des végétaux verts est due à la fois à des composés verts ou bleus, et à des composés jaunes, orange ou rouges. On conserva le nom de chlorophylles pour les premiers, mais ce mot fut donné à l’ensemble de la famille, au pluriel, ou bien à des composés particuliers, mais assorti d’une lettre. Par exemple, il est juste de parler de chlorophylle a, ou de chlorophylle b, ou de chlorophylle c… Bref, on connaît aujourd’hui une foule de chlorophylles, et parler de ‘la chlorophylle’ n’a plus aucun sens. Il faut parler « des chlorophylles ».

 

Des colorants

Cela dit, de même que l’industrie facilite le travail des cuisiniers en produisant du sucre pur, ou de la gélatine, ou du sel, ou de la farine, sans que l’on ait à purifier le sucre, à cuire du pied de veau, à cristalliser du sel, à moudre du blé, elle produit aujourd’hui des colorants… qui sont considérés par la réglementation comme des ‘additifs’. Les préparations à base de chlorophylle en font partie, sous le nom de chlorophyllines, de code E140 ou E141. Ces préparations, qui sont extraites de divers végétaux, dont la luzerne, ne contiennent pas seulement des chlorophylles, mais aussi des composés colorants de la famille des caroténoïdes, qui sont jaunes, orange ou rouges. Et c’est le mélange de ces composés qui donne la fraîche et appétissante couleur des végétaux verts : sans les caroténoïdes, la couleur serait froide, métallique.

Mais il faut expliquer pourquoi on parle de chlorophyllines : lors de l’extraction, on effectue une réaction de saponification, qui préserve la couleur. D’autre part, pourquoi deux codes ? Parce que les chlorophylles sont des composés dont les molécules comportent, en leur centre, un atome de magnésium. Les chlorophyllines dont cet atome de magnésium a subsisté ont le code E140. Mais les cuisiniers savent bien que l’on préserve la couleur des végétaux à l’aide de cuivre, ce qui justifiait l’emploi des bassines à reverdir. Et l’industrie, dans la même foulée, fait des cholorphyllines au cuivre,  de code E141.

 

Pourquoi l’utiliser ?

Pourquoi utiliser des substances colorantes ? C’est en réalité aux cuisiniers que l’on doit poser la question. Depuis toujours, on utilise le vert d’épinard, le curcuma, le safan, mais aussi le caramel, par exemple, pour colorer. Mieux, depuis plusieurs siècles, les cuisiniers utilisent des produits aussi peu ragoutants que la cochenille (un insecte) broyée, pour obtenir des couleurs rouges : certains additifs sont la matière colorante de cet insecte sans toutes les impuretés (pas nécessairement comestibles) qu’il y a quand on broie l’animal. 

Mais la question serait plus précise si l’on s’interrogeait : pourquoi colorer en vert ? Et la réponse est multiple. Par exemple, le vert est la couleur de l’espérance, associée au printemps, à la résurrection du Christ. C’est un appel vers la « nature », aussi. Et, parfois, c’est aussi une façon de renforcer la couleur d’un végétal pour lui donner plus de couleur. Dans une boisson, comme le sirop de menthe, c’est une façon de donner encore plus le goût de menthe. Bien sûr, il n’y a pas de nécessité absolue de colorer, mais imagine-t-on un monde sans couleurs ?

 

Les précautions à prendre

Les chlorophylles et chlorophyllines sont obtenues industriellement par traitement de fractions de végétaux. Dans les colorants industriels, la quantité de chlorophylle représente 90 % de la matière colorante, le reste étant fait de caroténoïdes, mais aussi de matières grasses ou de cires extraites en même temps. Les caroténoïdes ? Ce sont des pigments des végétaux tel le carotène bêta, qui donne la couleur orange des carottes, ou bien la violaxanthine, la lutéine (de l’œuf), ou l’astaxanthine (des carapaces de crustacés), ou le lycopène (des tomates)...

Que penser d’une éventuelle toxicité des additifs colorants à base de chlorophylle ? Récemment l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (Efsa) a réexaminé la question et conclu que les données toxicologiques fournies lors de la réévaluation de ce colorant étaient limitées et ne permettaient pas de déterminer une dose journalière admissible (DJA) ; les spécifications de l’additif doivent être plus strictement encadrées. Toutefois, cela dit, l’Efsa a aussi conclu que l’emploi du E140 ne présente pas de risque. L’usage quantum satis a d’ailleurs été maintenu dans la mesure où les chlorophylles sont des constituants naturels de l’alimentation humaine, présents en concentrations notable dans de nombreux aliments.

Et puis, il ne faut pas oublier que l’on revient de loin : le cuivre reste très présent en cuisine, même s’il disparaît progressivement. Indiquons que naguère l’usage de sulfate de cuivre dans les aliments (par exemple, pour verdir des cornichons) était pratiqué : il est interdit depuis 1902, et c’est très bien ainsi… même si l’on utilise encore des bassines en confiture en cuivre, qui apporte bien plus de ce métal que dans les préparations colorantes de l’industrie des additifs !

 

 

Quelques idées techniques 

  • Dans une mayonnaise, mettre une pointe de couteau de l’additif E140 (fautivement nommé ‘chlorophylle’) : on obtient un beau vert… que l’on peut améliorer si l’on ajoute une pointe de jaune, d’orange ou de rouge, tels la curcumine (du curcuma, E 100 ou E100 I), la riboflavine (de l’œuf E101 I), le lycopène (E160d, de la tomate).

  • Dans un cocktail fait de 20 % d’éthanol et 80 % d’eau (ou bien tant pour tant de vodka et d’eau), ajoutons du glucose atomatisé en abondance, un peu d’acide citrique (il faut goûter), du sucre, et un peu de colorant vert.

 

 

Où s’en procurer

Chez tous les fournisseurs qui approvisionnent les pâtissiers, par exemple, ou sur internet. 


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