L’employeur doit obligatoirement intervenir en cas de harcèlement moral
Suivre les commentaires Poser une question
Ajouter un commentaire Partager :
Le code du travail ne se contente pas de définir la notion d’harcèlement moral, il impose également à l’employeur, témoin de tels faits, d’intervenir afin d’assurer la santé de ses salariés. Ce principe vient d’être rappelé avec force par la Cour d’Appel de Paris, à propos d’un jeune apprenti.
La société en cause exploite un fonds de commerce de traiteurs, organisateurs de réception en proche banlieue parisienne. Il s’agit d’une société de taille importante, puisqu’elle emploie une centaine de salariés. Bien évidemment, elle respecte les dispositions de la convention collective nationale du 30 avril 1997 des hôtels, cafés, restaurants.
En 1987, cette société embauche une salariée sous contrat de travail à durée indéterminée en qualité de pâtissière. Cette pâtissière sera ensuite promue au poste de chef de partie entremets. Son salaire est de l’ordre de 2 500 €, plus les avantages en nature, par mois.
Au printemps 2005, la société reçoit un courrier du beau-père d’un jeune apprenti employé par la société depuis la rentrée de septembre 2004.
La société est informée que cet apprenti est victime de traitements difficiles de la part d’employés de la société.
Immédiatement, une enquête est diligentée en interne. La responsabilité de la chef de partie entremets est établie : il lui est reproché d’exercer un harcèlement moral sur la personne du jeune apprenti, ainsi que des traitements humiliants.
Deux semaines plus tard, la salariée est donc mise à pied à titre conservatoire et convoquée à entretien préalable en vue de son éventuel licenciement. À la suite de l’entretien, la société lui notifie son licenciement pour faute grave, au motif du harcèlement moral dont elle s’est rendue coupable sur la personne du jeune apprenti.
La société lui remet dans le même temps son bulletin de paie avec le solde de ses salaires et congés payés. Un certificat de travail, une attestation pour l’Assedic.
En effet, en raison de la faute grave ainsi retenue, la salariée ne peut prétendre à aucun préavis ni à la moindre indemnité de licenciement.
La salariée conteste son licenciement
Deux mois après avoir reçu son solde de tout compte, la salariée saisit le conseil de prud’hommes, afin d’obtenir la condamnation de son employeur à lui verser :
- le paiement de sa mise à pied à titre conservatoire et les congés payés y afférents,
- ses deux mois de préavis et les congés payés y afférents,
- son indemnité de licenciement,
- des dommages et intérêts qu’elle évalue à 12 mois de salaires.
Au total, il y en a pour plus de 42 000 €.
Pour la salariée, réprimander n’est pas harceler
La salariée réfute en bloc les accusations portées à son encontre par le jeune apprenti. Elle précise qu’elle n’était pas le maître d’apprentissage de ce jeune homme, mais qu’il lui arrivait effectivement de travailler avec lui. Or, ce dernier ne donnait pas satisfaction : il semblait peu motivé, il ne respectait ni les horaires, ni les consignes.
C’est dans ces conditions qu’elle a pu être amenée à le réprimander sans que cela ne puisse s’apparenter, d’une quelconque façon, à du harcèlement. Elle ne manque d’ailleurs pas de faire valoir à cet égard qu’elle était la seule salariée dans un univers masculin, où il était impossible pour elle de se faire obéir et respecter sans élever la voix.
La salariée ne manque pas de produire à l’appui de ses affirmations nombre d’attestations confirmant sa parfaite moralité.
En fait, la salariée conclut, en considérant que son employeur a agi de la sorte afin de mettre fin à son contrat de travail dans des conditions peu onéreuses au regard de ses 17 années d’ancienneté. Elle fait au passage remarquer qu’elle n’a jamais été remplacée.
La société procède à une enquête auprès de tous les salariés
En réplique, la société rappelle qu’avant de procéder au licenciement de la salariée, elle a dû user de son pouvoir disciplinaire afin de la ramener à une saine exécution de ses tâches de travail.
Ainsi, la salariée a déjà pu faire l’objet d’une mise à pied disciplinaire pour un abandon de poste, ainsi que d’une lettre de rappel à l’ordre au motif qu’elle ne respectait pas les consignes d’hygiène.
Malheureusement, la salariée n’a pas changé d’attitude et fin mars 2005, la société recevait un courrier recommandé avec accusé de réception du père d’un jeune apprenti. Celui-ci écrivait à la direction de la société : “mon beau-fils ‘ferait régulièrement, de la part de deux employés de votre société, l’objet d’un traitement difficilement admissible’.”
La société explique avoir pris acte de cette accusation et diligenter une enquête sur le fondement de l’article L.1153-5 du code du travail, au terme duquel : “Il appartient au chef d’entreprise de prendre toute disposition nécessaire afin de prévenir les actes […] de harcèlement.”
Cette enquête aboutissait rapidement, puisque la société pouvait écrire au beau-père du jeune apprenti : “Je me suis vu confirmer les mauvais traitements que subissaient les jeunes en général et votre beau-fils en particulier, de la part de la chef de partie entremets.”
Le patron, par l’intermédiaire de son délégué syndical employeur, explique aux juges qu’il a donc décidé de procéder au licenciement de la salariée, non sans recueillir au préalable de très nombreux témoignages émanant de l’apprenti en cause, de deux autres jeunes apprentis en poste, mais aussi de nombreux salariés de l’entreprise.
Enfin, l’employeur de conclure que si la salariée produit de nombreuses attestations de moralité, aucun de ces témoins n’est en mesure de remettre en cause les faits qui lui sont reprochés. La société demande que la salariée soit déboutée.
Le conseil de prud’hommes conclut à une faute simple
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud’hommes rend son jugement. Il rappelle d’abord que le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés, qui ont pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte au droit du salarié, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En l’occurrence, pour le conseil de prud’hommes, la société apporte bien un certain nombre de témoignages qui dénote un relationnel brutal et irrespectueux de la part de la salariée à l’égard du jeune apprenti.
Toutefois, les juges considèrent que le comportement de la salariée ne va pas jusqu’à être véritablement constitutif d’un harcèlement moral.
Il constitue certes un motif de licenciement, mais pas un motif de licenciement pour faute grave.
La salariée se voit ainsi attribuer le paiement de sa mise à pied à titre conservatoire et des congés payés y afférents, ses deux mois de préavis, ainsi que son indemnité de licenciement.
À l’évidence, le conseil de prud’hommes juge que l’ancienneté de la salariée mérite le versement de quelques indemnités. L’employeur ne l’entend pas ainsi et fait appel de cette décision.
Mais la Cour d’Appel considère qu’il s’agit d’une faute grave
La Cour d’Appel décide d’infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes, il déboute la salariée de l’ensemble de ses demandes.
Pour la Cour d’Appel, le licenciement de la salariée est fondé sur une faute grave “tirée de son comportement inadmissible envers le personnel placé sous sa responsabilité”.
À l’évidence, la Cour d’Appel rappelle solennellement l’obligation faite à l’employeur de sanctionner tout salarié se livrant à du harcèlement moral. Pour la Cour d’Appel, cette obligation de préserver la santé de ses salariés doit permettre à l’employeur de procéder à un licenciement, y compris pour faute grave et ce, même lorsque le salarié incriminé justifie d’une longue ancienneté.
Franck Trouet (Synhorcat) |
Derniers commentaires
Un Plan saisonnier pour pallier la pénurie de personnel dans le tourisme
L'Ambroisie change de propriétaire
Après deux années difficiles, l'activité affaires reprend des couleurs
Benoît Vidal ferme son restaurant doublement étoilé Michelin
A quoi sert le Resto-Score