Christian Petitcolas : “Il faut développer la formation à l’université”
Formation - Écoles - vendredi 10 septembre 2010 09:20
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Paris (75) L’inspecteur général de l’Éducation nationale passe en revue les grands défis de la formation initiale dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Favorable au développement de l’enseignement universitaire, il mise aussi sur l’ouverture des enseignants à de nouvelles pistes pédagogiques et sur davantage d’écoute des jeunes de la part des professionnels.
L’Hôtellerie Restauration : En cette rentrée 2010-2011, quels sont les grands défis de la formation dans le secteur de l’hôtellerie-restauration ?
Christian Petitcolas : J’en recense trois. Tout d’abord, l’âge des élèves au moment de leur première formation. En effet, il existe une contradiction entre des collégiens peu matures, qui parfois ne savent pas ce qu’est un restaurant, ne connaissent que le grignotage et le fast-food, voire ignorent tout du concept de cuisine, et l’impossibilité de leur proposer des contrats d’apprentissage à cause de leur trop jeune âge. En rappelant cela, je veux faire prendre conscience que nous sommes dans une filière où 2/3 des emplois sont en niveau CAP, 20 % au niveau bac et le reste au-dessus. Autrement dit : on pourrait accueillir beaucoup plus de jeunes que l’on en a actuellement en formation.
Le deuxième défi est l’absence de reconnaissance de la formation par la profession dans sa convention collective. Certes, le CAP et le BEP non rénové correspondent à des diplômes reconnus. Mais un bac pro, un BTS, un BTM ou une licence pro, c’est autre chose qu’un CAP. Or, les professionnels ne font aucune différence. Lorsqu’un jeune arrive avec un BTS, la première chose qu’on lui fait faire, c’est du nettoyage. Je n’ai rien contre : cela fait partie du métier. Mais jusqu’à quand un jeune doit-il ainsi faire ses preuves pour s’insérer dans un cursus qui, a priori, a fait l’objet d’une préparation longue, ponctuée de nombreux stages ? Attention ! je ne dis pas que c’est la formation qui fait la compétence. En revanche, je suis pour qu’on reconnaisse un ‘plus’ au jeune qui a eu la volonté de prolonger sa formation.
Enfin, il faut que le cursus de formation à l’hôtellerie-restauration se poursuive jusqu’à l’université. Aujourd’hui, celle-ci ne propose ni DUT, ni L1, ni L2 et aucun département d’université ne s’appelle ‘hôtellerie-restauration’. À ce titre, je tire mon chapeau à Hervé This pour la démarche et la reconnaissance scientifique que cet universitaire accorde à la cuisine. Il nous prouve que la cuisine cache beaucoup de connaissances qui nécessitent des travaux de recherche. Travaux qui devraient être publiés et diffusés de façon à aider le secteur à faire mieux encore.
Êtes-vous favorable à la création d’écoles supérieures d’hôtellerie-restauration ?
Oui. Je préconise le développement de ce type d’écoles et des formations à l’université. Car, en hôtellerie-restauration, quelqu’un qui n’est pas capable de passer de l’encadrement à l’exécution, quand il manque de la main d’œuvre, ne fera pas long feu. Et, avec la mondialisation, tous les métiers rentrent dans cette logique. Par ailleurs, les écoles supérieures d’hôtellerie-restauration pourraient être un lieu d’étude et de recherche sur des thèmes comme l’hébergement, qui est à la fois le lieu où l’on accueille, mais aussi celui où l’on prescrit un déjeuner, un dîner… Or, au niveau des régions, il devrait y avoir systématiquement des liens entre les hôtels et les restaurants, mais aucune thèse ou recherche n’a encore pu être menée sur ce point, faute de structure de formation et de réflexion adéquate.
Le profil des élèves de 2010 est-il différent de celui de leurs prédécesseurs ?
Il est profondément modifié. Il y a quinze ans, il n’y avait que 30 à 40 % d’une classe d’âge qui arrivait au niveau du bac. Aujourd’hui, on en est à 65 %. Autrefois, on avait des méthodes d’apprentissage qui étaient la récitation et le calcul mental. Maintenant, on apprend sans dictée ni calcul mental. Conséquence : les élèves en fin de 3e n’ont pas la mémoire, or les métiers de l’hôtellerie-restauration sont des métiers de mémoire.
Aujourd’hui, les jeunes sont visuels et pas dans une logique de mémorisation d’un contenu, de connaissances, de procédures, de techniques. En revanche, ces jeunes ont une plus grande ouverture d’esprit que leurs aînés et ils ont une plus grande capacité à s’adapter, en terme de relationnel, avec des clients. Du coup, on fait évoluer tous les diplômes : en cuisine, par exemple, on demande aux élèves de commenter leurs plats, même en CAP. Au bac, ils doivent manager un commis. En BTS, on leur demande d’avoir une logique d’accueil et de suivi des clients...
Parallèlement, la cuisine, le restaurant et l’hébergement ont, eux aussi, évolué. L’équilibre alimentaire actuel n’a rien à voir avec celui d’il y a trente ans. Aujourd’hui, en une heure, on veut être servi et que ce soit très bon, léger et équilibré pour pouvoir travailler après. Alors qu’autrefois, on passait plusieurs heures à table quand on allait dans un restaurant. Autre constat : avec les familles recomposées, les jeunes savent de moins en moins ce qu’est un repas intergénérationnel autour d’une table, de quelle façon il faut se tenir, comment les plats ont été préparés... Désormais, on vit dans l’instant, on passe au supermarché, on achète un produit préparé, puis on le fait réchauffer. Un jeune qui arrive, sans acquis de ce que peuvent être gastronomie, culture et valeurs familiales, ça change la donne.
Enfin, le caractère juridique que peuvent aujourd’hui revêtir les relations entre les élèves qui apprennent et les professeurs qui dispensent, modifie aussi les relations. À présent, le moindre incident fait l’objet d’un contentieux, avec souvent l’impossibilité d’élever la voix et encore moins d’élever la main. Alors qu’autrefois, j’ai le souvenir de formateurs et de professionnels hurlant sans cesse dans leur cuisine. Je ne dis pas que c’était bien. Mais, ça voulait dire que tout le monde s’alignait. Maintenant, dès qu’on se rebiffe contre un élève, ce dernier prend son sac et s’en va.
Faut-il imaginer de nouvelles façons d’enseigner ?
Oui, sans aucun doute. À ce titre, le site du Centre de ressources nationales hôtellerie-restauration (www.hotellerie-restauration.ac-versailles.fr) donne quelques pistes pédagogiques, accompagnées de fiches interactives. On explique notamment l’intérêt d’enseigner sur un même lieu la cuisine, l’anglais, l’économie-gestion, les sciences appliquées… Notre parti pris consiste à former les jeunes à partir de leurs acquis et de leurs compétences, sans transférer sur eux ce que l’on enseignait dans le passé, mais plutôt en adhérant aux besoins des professionnels d’aujourd’hui. Je crois beaucoup au rôle formateur de l’entreprise. À condition qu’il y ait un maître d’apprentissage pour suivre le jeune en formation.
Parallèlement, les enseignants, eux aussi, doivent évoluer dans leur pratique. Certes, ils doivent parvenir aux mêmes exigences qu’avant, en terme de maîtrise de techniques et de connaissances, mais faire passer leurs messages autrement, en utilisant notamment des supports visuels et une logique de réflexion via un ‘atelier expérimental’. De quoi s’agit-il ? Au lieu d’avoir une logique dite d’application, où l’on envoie les mets produits à des clients, on les diffère et on réfléchit aux techniques utilisées. Ainsi, autour d’une technique spécifique, on peut s’interroger sur la qualité du produit, la façon de le préparer… plutôt que d’être dans le coup de feu permanent. Il s’agit donc de ‘comprendre pour apprendre’ et non pas de ‘répéter pour faire’.
Je cite à nouveau en exemple Hervé This, qui a notamment réfléchi aux qualités nutritionnelles et chimiques des mets. Il aide ainsi les formateurs à donner les explications de ce qui se passe réellement en cuisine. C’est la voie à suivre. D’ailleurs, si l’université continue à aller dans ce sens, il y a également de nouvelles pistes pédagogiques à inventer au niveau du service. Car la salle reste un peu délaissée par rapport à la cuisine, or c’est le service qui fait vendre.
Aujourd’hui, les élèves sont-ils suffisamment adaptés aux demandes des professionnels ?
Un professionnel oublie souvent le parcours qu’il a réalisé… Je ne nie pas l’expérience comme facteur d’apprentissage. Mais encore faut-il laisser du temps aux jeunes, au fil de leurs stages, pour qu’ils trouvent leurs marques et aient envie de continuer dans l’hôtellerie ou la restauration. On accuse beaucoup la formation d’être à l’origine du départ de nombreux jeunes : certes, s’il y a de mauvais professeurs ou des élèves mal orientés, cela peut démotiver. Mais les professionnels devraient s’interroger aussi sur la façon dont ils fidélisent leur personnel.
Trop de jeunes seraient-ils tentés de quitter le secteur une fois qu’ils sont formés ?
Les chambres de commerce, qui sont les lieux d’hébergement des contrats d’apprentissage, ne donnent pas leurs statistiques sur ce point. Quoi qu’il en soit, il faudrait doubler les flux en formation, à tous les niveaux. Ne nous arrêtons pas à ceux qui s’insèrent immédiatement dans l’hôtellerie-restauration. Laissons à certains la possibilité de poursuivre de beaux parcours. Récemment, une jeune lauréate au concours général du bac technologique hôtellerie a enchaîné avec une classe prépa en vue d’intégrer HEC. Aujourd’hui, elle est en 3e année à HEC. Et cette jeune femme n’a pas été perdue pour l’hôtellerie-restauration, car c’est ce qui la passionne depuis toujours. Aussi va-t-elle poursuivre dans cette voie, mais auparavant elle se sera donné un bagage.
Par ailleurs, je ne suis pas perturbé par le fait que l’on forme des élèves qui, finalement, ne vont pas s’insérer dans l’hôtellerie. Notre mission est de donner des compétences aux jeunes et qu’ils parviennent à trouver un emploi.
Les modes de consommation évoluent très vite. Comment doivent réagir les formateurs face à ces nouveaux comportements ?
Les professionnels qui ne tiennent pas compte des nouvelles façons de consommer ont du souci à se faire. En particulier ceux qui se disent indépendants. Ils vivent sur leur tradition et ils considèrent qu’ils sont bons. Mais ils doivent savoir écouter l’évolution des consommateurs et permettre aux jeunes en formation d’élargir au maximum la palette de possibilités qui s’offrent à eux.
Les listes d’attente s’allongent dans les lycées pour intégrer la filière hôtellerie-restauration. Comment y faire face ?
Ce n’est pas simple. D’un côté, l’Éducation nationale est le premier budget de la nation, mais c’est aussi celui dans lequel on essaie d’économiser au maximum. De l’autre, en France, on a un esprit cartésien et l’on applique à tous les mêmes règles. Or, il existe des filières de formation très différentes les unes des autres. Alors pourquoi vouloir imposer à tout le monde les mêmes conditions ? Quand je dis qu’en hôtellerie, il faut multiplier les flux par deux, je pense que cela est réalisable. Toutefois, cela impliquerait la création de nouvelles sections et le recrutement de nouveaux professeurs et c’est là que le bât blesse. On n’ose pas supprimer ce qui pourrait l’être et l’on hésite à innover : on préfère rester à structure constante.
Et pourtant le secteur embauche. Un an après la baisse de la TVA dans la restauration, l’Insee a enregistré la création de 21 700 emplois depuis le 1er juillet 2009, alors que l’objectif fixé par les pouvoirs publics était de 20 000…
On aura toujours des emplois dans l’hôtellerie-restauration. Et ce d’autant que l’environnement du secteur, lui aussi, regorge de métiers qu’ils soient liés aux produits, aux matériels ou encore à l’ingénierie. Quant aux mentions complémentaires, elles sont autant de nouveaux métiers possibles pour les jeunes en formation.
Propos recueillis par Anne Eveillard |
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