L'Hôtellerie Restauration No 3703
Chômage partiel : “Même notre cabinet comptable n’a pas réussi à obtenir les identifiants dans les délais” BAGNOLES-DE-L’ORNE Les couples Quinton et Lebailly dirigent en famille deux hôtels-restaurants situés dans la station thermale : le Manoir du Lys, 1 étoile Michelin , et O Gayot. Laure Quinton décrit la mise en place du chômage partiel dans ces établissements et la difficulté de se projeter. Q Ne pas laisser son personnel sans réponse “L’annonce de fermeture a été très brutale. Le 15 mars au matin, les clients des hôtels sont partis. Nous avions 30 couverts au Manoir du Lys et il a fallu appeler les gens pour les prévenir. Certains pensaient quand même pouvoir venir. Impossible pourtant de déroger aux annonces. Pour nos colla- borateurs aussi, ça a été dur. Ils s’interrogeaient sur leur avenir. Comment cela allait-il se passer pour eux ? Comment allaient-ils être payés alors qu’il n’y aurait plus d’activité ? Le plus important a été de les rassurer en étant le plus clair possible et cela, dès le dimanche. Il ne fallait pas les laisser rentrer chez eux sans réponses. La notion de ressources humaines prend toute sa dimension dans ce genre de situation inédite.” Q Toujours pas d’identifiants le 3 avril “Avoir un bon cabinet comptable, sur lequel on peut compter, est important. Et puis, si les entreprises ne s’en sortent pas, les comptables n’auront plus de travail, c’est toute la chaîne qui est concernée. Nous avons 25 collaborateurs au Manoir du Lys et 10 au O Gayot. Vers le 13 mars, j’avais déjà appelé mon cabinet pour évoquer le chômage partiel compte tenu des annulations qui tombaient. C’est le cabinet qui a fait les demandes de chômage par- tiel. Même si on nous parle de simplification, les démarches administratives restent compliquées. C’est dans les périodes de stress qu’on se trompe, et les erreurs peuvent bloquer les dossiers. Alors que le cabinet comptable a fait les demandes en même temps et ce, dès le début de la crise, nous avons eu les identifiants pour le O Gayot, mais le 3 avril, nous ne les avions toujours pas reçus pour le Manoir du Lys. On sait que beaucoup de professionnels se plaignent de la difficulté pour s’inscrire, mais même notre cabinet comptable, qui est compétent, n’a pas réussi à les obtenir dans les délais demandés. Nos salariés reçoivent leur salaire au plus tard le 2 de chaque mois et il fallait s’y tenir. Ils ont eux aussi des charges. En mars 2019, au Manoir du Lys, nous avions fait 95 000 € de chiffre d’affaires hors taxes et cette année 38 000 €, sachant que nous venons de sortir 32 500 € pour payer les salaires sans visibilité.” Q Aucun investissement possible cette année “Nous avons monté un groupe WhatsApp avec nos équipes, ce qui m’a permis de les prévenir que leur salaire avait été versé sur leur compte, mais nous n’avons pas encore envoyé les bulletins de salaire. Nous avons plusieurs banques et nous les avons toutes contactées pour mettre en œuvre les diffé- rents emprunts possibles, dont le prêt garanti par l’État (PGE). Quand un banquier vous demande un prévisionnel dans le contexte actuel, c’est très dérou- tant. À côté de cela, il ne va pas falloir faire tout et n’importe quoi, comme demander une somme plus élevée que nos besoins. Techniquement, les profes- sionnels se retrouvent face à deux cas de figure : on emprunte soit pour payer les charges fixes, soit pour les salaires. Cela fait des sommes d’argent impor- tantes qui vont limiter, voire interdire, tout inves- tissement. Si on a besoin de 150 000 €, il ne faut pas emprunter plus même si c’est possible, car vous serez bloqués pour six ans. Ce sont des facilités qu’il faut gérer avec précaution. Chez nous, nous avions prévu de créer un spa en fin d’année et nous savons déjà que ce ne sera pas possible. Et nous n’allons pas embaucher pour la saison d’été pour préserver les emplois actuels et l’entreprise. La crise sanitaire terminée, les gens vont avoir envie de venir dans des stations de charme comme la nôtre mais une partie de la clientèle, notamment étrangère, ne sera pas au rendez-vous.” Laure Quinton. À Giverny (Eure), village de Claude Monet , la saison s’étend d’avril à octobre. L’an dernier, près de 700 000 visiteurs ont arpenté rues et jardins durant cette période. L’an dernier, La Musardière, crêperie de 70 cou- verts et hôtel de 11 chambres, est rachetée par Franck Auvray , qui engage des travaux et aménagements pour un montant total de 1 M€. Il fait aussi le pari d’ouvrir à l’année, tout comme l’a fait, en 2012, le chef étoilé Eric Guérin , en créant le Jardin des Plumes, situé à quelques enjambées, et désormais aux mains de David Gallienne . Ce dernier a partici- pé à la mise en place de la carte de la Musardière, avec le chef Benjamin Revel . Tous les atouts ont été réunis pour attirer la clientèle locale et parisienne hors saison. Mais 2019 n’est pas une année de tout repos, malgré les bons chiffres du tourisme en France. Les mouvements sociaux des gilets jaunes puis les grèves des transports se répercutent sur l’activité du week-end. “On se dit qu’on peut perdre” “Dès le début, nous savions que nous ne serions pas rentables avant trois ans, compte tenu des sommes investies. La banque nous avait suivis dans notre plan prévisionnel, qui même au bout d’un an, serait négatif. Nous sommes encore dans la phase de construction d’une image et d’une clientèle”, explique Franck Auvray. L’établissement avait cependant réussi à maintenir la trésorerie avec huit collabora- teurs en CDI et deux apprentis. Le couperet du 15 mars tombé, les salariés sont mis au chômage partiel et Franck Auvray fait naturellement appel au prêt garanti par l’Etat (PGE). Sauf qu’il ne rentre pas dans les cases. ” L’EBE [excédent brut d’exploitation, NDLR] étant négatif, nous n’avons pas accès au PGE.” Entre stupeur et colère, le chef d’entreprise s’adresse aussi à Bpifrance. “ On se dit qu’on peut tout perdre alors que nous étions dans un projet cohérent et à potentiel. Pourquoi la banque ne pourrait-elle pas avoir un regard ad hoc ? À qui ce dispo- sitif est-il destiné alors ?”, s’insurge Franck Auvray qui cherche des solutions. Il n’a pas pu, pour l’instant, s’adresser au médiateur du crédit, sa banque ne lui ayant toujours pas fourni les documents nécessaires. “ Nous avons demandé le prêt rebond proposé par la Région, mais n’avons toujours aucune réponse [au 8 avril]. Je n’ar- rive même pas à savoir si nous sommes éligibles ou pas.” Franck Auvray constate à son tour un “ fossé énorme entre les annonces de l’État et la réalité qui se met en place”. L’avenir de l’établissement, pourtant prometteur, s’assombrit chaque jour. Incompréhensible, comme pour beaucoup. Franck Auvray déplore un “fossé énorme entre les annonces de l’État et la réalité sur le terrain” Giverny Face à la situation engendrée par la crise sanitaire, le propriétaire de La Musardière a fait appel au prêt garanti par l’État (PGE). Mais, stupeur et incompréhension, il n’est pas éligible à ce dispositif. Poser une question, ajouter un commentaire Sylvie Soubes > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR462983 Poser une question, ajouter un commentaire Sylvie Soubes > www.lhotellerie-restauration.fr/QR/RTR063027 13 17 avril 2020 - N° 3703 L’Hôtellerie Restauration La Musardière, crêperie de 70 couverts et hôtel de 11 chambres. © LAMUSARDIÈRE • Les résultats de notre enquête “80% des professionnels des CHR jugent les mesures d’aide insuffisantes” p. 5 • Le tableau récapitulatif des différentes aides p. 6-7 RETROUVEZ DANS CE NUMÉRO DANS VOS RÉGIONS #coronavirus
Made with FlippingBook
RkJQdWJsaXNoZXIy ODk2OA==