du 30 octobre 2008 |
À BORD |
DE L'ORIENT EXPRESS AU TGV
Le virage à grande vitesse de la restauration ferroviaire
Le 22 octobre dernier, l'Italien Cremonini dépossédait la Compagnie des Wagons-Lits du service à bord des TGV France (hors TGV Est). Un secteur et des métiers qui ont connu une profonde mutation depuis l'apparition des trains à grande vitesse.
Un
serveur en livrée apportant avec flegme un Bloody Mary à un client sous
le charme d'une élégante, seule et mystérieuse, habillée de
renard, attablée à l'autre bout d'une voiture-restaurant Pullman, tout
cela n'existe guère plus que dans les romans d'Agatha Christie. "Il est
difficile de sortir des phantasmes liés à la grande époque des
trains de luxe", explique Mauricette Portemann, du service communication de la
Compagnie des Wagons-Lits (CWL).
Les voitures-restaurants Pullman de 22 couverts
ont disparu en 1971, et la restauration ferroviaire a changé au gré des
mutations technologiques et sociétales.
L'arrivée du TGV en 1981, la baisse du temps de transport, la captation de
la clientèle la plus aisée par l'aérien (ce qui est moins vrai aujourd'hui),
mais aussi l'augmentation de l'offre de restauration en gare ont changé les
comportements. "Le service à bord dans des assiettes en porcelaine ne
correspond plus aux désirs de nos clients dont nous étudions à
la loupe les attentes", affirme Laurent Le Mière, directeur Grandes
lignes à la SNCF, en charge de la restauration. Le retour des cuisiniers
dans les trains n'est pas pour demain. Les prestations embarquées se concentrent
aujourd'hui sur trois axes : la voiture-bar, le service à la place relancé
en 2007 avec l'offre 'Pro 1re' et le service ambulant. "Du fait des
arrêts nombreux sur les lignes Téoz (ex-corail), il est apparu que le
service ambulant était la meilleure réponse pour une clientèle moins
captive que dans les TGV. Pour ces derniers, la voiture-bar offre la possibilité
de se déplacer, une vraie valeur ajoutée comparativement à nos
concurrents de l'aérien", précise Laurent Le Mière. Enfin la
relance à bord des TGV nationaux du service à la place à destination
des premières classes a séduit en un an 500 000 voyageurs, et justifié
l'embauche de 150 personnels de bord par la Compagnie des Wagons-Lits, selon Bruno
Faizende, son directeur général France.
Jusqu'au 22 octobre, c'était la filiale du
groupe Accor qui détenait le marché sur les TGV hexagonaux que ce soit
pour l'avitaillement (sauf pour le TGV Est) ou le service à bord, deux métiers
bien distincts qui font l'objet de lots différents lors de l'attribution des
marchés par les chemins de fer français. Réputée déficitaire
(en particulier l'activité de logistique), mais indispensable, la restauration
à bord c'est un peu la patate chaude de la SNCF, une activité de tout
temps externalisée.
Attendu pour le mois de novembre, le
résultat de l'appel d'offres portant sur le service à bord des TGV France
(hors TGV Est) est tombé comme un couperet la semaine dernière. Coup de
tonnerre, à compter du
1er mars 2009 et jusqu'en 2012, c'est l'Italien Cremonini qui
assurera la restauration à bord des TGV hexagonaux. Le lot concernant
l'avitaillement à bord de ces mêmes TGV n'a pas été, pour l'heure, attribué. La
CWL n'est désormais présente sur le territoire national qu'à bord des TGV Est.
François
Pont zzz22t
Le complexe état des lieux des intervenants
actuels dans la restauration ferroviaire
En
France, deux acteurs européens majeurs se partagent le marché Sur certaines lignes internationales Un mot sur la Deutsch Bahn L'avenir avec l'ouverture des lignes à la concurrence
"Nous
sommes clairement dans une logique concurrentielle et européenne et depuis
fort longtemps", clame Laurent Le Mière, directeur Grandes lignes
à la SNCF, qui semble attendre sereinement l'ouverture des chemins de fer
français à la concurrence. |
Complément d'article 105p17
Les hôteliers et la restauration ferroviaire
Dans son intégralité - logistique, service à
bord et services administratifs -, la restauration ferroviaire sur les lignes
françaises emploie près de 3 200 personnes (2 500 à la CWL, dont deux tiers de
roulants, et 700 chez Cremonini dont 300 personnels de bord). Avec un turnover
inférieur à 2 %, une moyenne d’âge qui frôle la quarantaine (37 ans pour les
roulants des wagons-lits), le moins que l’on puisse dire, c’est que le personnel
est fidèle. “Nous aimons ce métier car travailler à bord des trains est
agréable. Nous sommes autonomes et n’avons pas de chef sur le dos. Sans être
considérables, les salaires sont un peu supérieurs à ce qui se pratique dans la
restauration à terre”, explique Ronald Dufresne-Almendro du syndicat Sud-Rail.
“La contrepartie des contraintes liées à notre activité, c’est de pouvoir
prétendre à six semaines de congés payés, plus seize à dix-huit jours de
récupération par an, précise Gildas Le Gouvello, délégué national à la CFDT et
salarié de la CWL depuis 1973, les hôteliers sont présents chez les anciens,
moins dans les nouvelles embauches. Nos employeurs veulent des commerciaux,
c’est d’ailleurs notre titre désormais, nous ne sommes plus des stewards ou
hôtesses.” Les créations de postes sont rares, une soixantaine chez Cremonini à
l’occasion de l’obtention du marché de l’iDTGV et iDNight en 2005 et 150 à la
CWL, avec le lancement en 2007 du service à la place en 1re classe. Lors du
changement d’attribution d’un marché, le nouvel opérateur est dans l’obligation
de reprendre le personnel en place. Cremonini vient de remporter le marché «
France » mais cela ne devrait donc pas provoquer d’embauche.
Des syndicats qui bouillonnent et des métiers qui évoluent
“Cremonini est un professionnel du secteur reconnu, mais il ne dispose pas de
l’expérience française de la CWL, surtout concernant la logistique. Nous le
constatons sur le TGV Est. [La filiale du groupe Accor y assure le service à
bord alors que la logistique a été confiée à Cremonini, NDLR.] Je ne défends pas
ma paroisse, se défend Ronald Dufresne-Almendro, employé des Wagons-Lits, mais
en cas de changement d’opérateur, nous craignons d’avoir à en subir les
conséquences. Par exemple, que les affectations sur les trains à créneaux
porteur - donc à fort chiffre d’affaires -, ne se fasse au mérite, ce qui aura
un impact important sur nos salaires qui comprennent un pourcentage.”
Selon des sources syndicales un commercial junior (appelé jadis steward) serait
rémunéré en premier échelon 1 280 euros (sur 13 mois) plus un pourcentage de 3 à
6 % sur la recette (soit de 1 600 à 2 000 euros bruts par mois), une variable
très favorable sur un Paris-Lyon à midi, beaucoup moins sur un Paris-Lille en
milieu d’après-midi (les bars seraient même inexistants sur ce trajet en raison
de la brièveté du temps de transport). C’est le même principe pour les
personnels de bord affectés au service à la place. “Les plateaux-repas proposés
en 1re classe ne sont pas compris dans le prix du billet, la mission de nos
personnels de bord est donc de faire de l’accueil et du service, mais aussi de
la vente”, explique Emmanuel Richy, en charge du marketing et de la qualité
produits à la CWL.
Des profils hôteliers appréciés à bord de
l’Eurostar, du Thalys et des trains de nuits
Une aptitude commerciale moins prégnante dans les postes à bord des trains de
nuits Lunéa, un marché détenu par Cremonini. “Nous avons un employé de bord dans
chaque voiture-couchette. Il s’agit d’une fonction d’accueil et de sécurisation.
Certes, il n’est plus question de préparer les couchettes comme à l’époque des
wagons-lits [les derniers, dont le confort se rapprochait de celui d’une cabine
de bateau, ont définitivement disparu en 2007, NDLR], mais nos salariés doivent
aussi veiller à la propreté, en particulier dans les lieux communs comme les
toilettes. Enfin, nous testons, à la demande de la SNCF, le service de
petits-déjeuners en cabine. Il n’y a pas de bars à bord, juste des distributeurs
automatiques. Pour ces postes où le sens de l’accueil est primordial, le profil
hôtelier est un plus”, argumente Jean-Pierre Molinari, président délégué de
Cremonini en France.
Du côté de l’Eurostar, on déclare carrément sa flamme pour les jeunes de
formation hôtelière. “Nous sommes très proches de l’aérien, avec une business
class et une première classe. Nos employés de bord, que nous appelons toujours
hôtesse et steward, ne sont pas des commerciaux car les prestations de
restauration sont comprises dans le prix du billet. Accueil à bord, choix de
plats chauds, service de boissons en permanence, vaisselle en porcelaine, ce
type d’offre haut de gamme est familière des hôteliers. Notre activité se porte
aux mieux et a justifié 200 embauches entre mars et juin 2008. Le programme de
recrutement a été suspendu en septembre suite à l’incendie du tunnel, mais
pourrait reprendre prochainement. Pour 35 heures de travail hebdomadaire, un
steward peut compter sur une rémunération annuelle de 30 000 euros bruts
(salaires et défraiement)”, annonce sans langue de bois Pierre-Louis Phelipot,
directeur général de Momentum Services Limited, la joint-venture en charge de la
restauration à bord de l’Eurostar. Un intérêt pour les profils hôteliers
confirmé aussi du côté de Bruxelles chez Railrest, opérateur du service à bord
sur le Thalys, “même si la qualité de la prestation est un peu moins élaborée en
l’absence de business class, de vaisselle en porcelaine et de service de plats
chauds. Avec 1 h 22 de trajet entre Paris et Bruxelles, le temps ne nous le
permet pas”, précise Peter De Groote, directeur des ressources humaines de
Railrest.
Une moindre attractivité dans la logistique
et l’avitaillement
À À l’invitation de Jean-Pierre Molinari de Cremonini, nous avons visité le centre
de production nord qui assure la logistique et l’avitaillement du Thalys et de
l’Eurostar. Ces métiers demandent rigueur, organisation et hygiène. Pourtant
pour la préparation des trolleys à boissons ou à plateaux repas et le traitement
des retours à reconditionner, les personnes formés dans les métiers de
l’hôtellerie et de la restauration auront peu d’espace pour exprimer leurs
talents. Aucun centre de logistique ne produit de repas, il s’agit de gérer les
flux, les produits (plateaux repas, viennoiseries, sandwichs…) réalisés par des
prestataires extérieurs, assurer la complexe ventilation sur les trains et
minimiser les pertes “à moins de 4 %, au-delà, nous aurions des pénalités”,
explique le responsable qualité en charge de la visite.
Petit lexique de la restauration ferroviaire
Course : trajet au cours duquel le commercial (ex-steward) travaille.
HLP ou Haut le pied : le commercial effectue un retour vers son point de départ
sans travailler. “En réalité, il y a une forte solidarité entre nous et lors
d’un HLP, l’usage est de donner un coup de main à nos collègues qui travaillent
à bord. On ne va pas rester assis les bras croisés”, explique Gildas Le
Gouvello.
Voyage : C’est une mission avec une course à l’aller et au retour (donc sans HLP).
Découché : En raison du créneau horaire de certains trains, le commercial doit
dormir sur place pour reprendre un train retour le lendemain : c’est un
découché.
Lignes transversales : lignes de chemins de fer qui ne passent pas par Paris. Un
Bordeaux-Toulouse par exemple.
Wagons-couchettes : Ils ont totalement remplacé les wagons-lits en 2007. Il
s’agit de cabines de quatre couchettes en première classe et de six en seconde.
Norme Atlas : C’est la norme des matériels dans l’aérien. Les équipements dans
le ferroviaires en sont proches : “La taille de nos chariots ambulants est un
peu plus basse que dans l’aérien”, explique le responsable qualité de Cremonini.
Service à la place : Relancé par la CWL en France sur 7 destinations
principales, le service à la place est un plateau-repas (avec un plat chaud sur
l’Eurostar), proposé aux voyageurs de 1reclasse sans qu’ils aient à se déplacer.
“Nous voudrions leur extension à la seconde classe”, espère le syndicaliste
Ronald Dufresne-Almendro
Réserve : personnel disponible sur le site, capable de remplacer au pied levé un
autre commercial défaillant (retard, maladie…) pour que le train soit assuré.
Pullman Orient Express : train de luxe événementiel, classé monument historique,
rénové en 2003 et exploité par la Compagnie des Wagons-Lits. C’est Lenôtre, le
traiteur du groupe Accor, qui assure la restauration à bord.
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L'Hôtellerie Restauration n° 3105 Hebdo 30 octobre 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE