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du 30 octobre 2008
VIE PROFESSIONNELLE

POURQUOI L'ACCUEIL A-T-IL AUTANT D'IMPORTANCE DANS NOTRE SOCIÉTÉ ?

Dialogue autour de l'accueil entre Pierre Gouirand, auteur d'un essai haut en couleur sur ce thème, et André Daguin

Ancien président du syndicat des hôteliers de Nice-Côte d'Azur, longtemps directeur du prestigieux Hôtel Westminster à Nice, Pierre Gouirand est aussi docteur en philosophie. Il vient de signer un essai sur l'accueil riche d'enseignements. Rencontre avec André Daguin, président du conseil de surveillance de l'Umih.
Propos recueillis par Sylvie Soubes


André Daguin et Pierre Gouirand.

Pierre Gouirand : Cette réflexion sur l'accueil est née il y a une trentaine d'années. À cette époque, je dirigeais l'Hôtel Westminster, et on reprochait à tous les hôteliers français de très mal accueillir leurs clients. On mettait en avant l'accueil chaleureux des clubs de vacances… Je n'avais pas le sentiment de mal accueillir, néanmoins, j'ai cherché à comprendre. La première question qui m'est venue à l'esprit, c'est : qu'est-ce que l'accueil ? Si on est bien reçu, on revient. Si on est mal reçu, on fuit. Quel est ce phénomène ? Je me suis aperçu que la réponse débouchait sur des domaines assez larges. Tous les problèmes d'accueil sont à l'origine de la vie ! Il faut que la graine qui se balade trouve un lieu accueillant pour se développer ou que l'arbre pousse. Il faut qu'une idée trouve une conscience qui la reçoive, qui l'améliore, et qui la fasse repartir. C'est ainsi que le savoir se transmet et évolue. Il faut que la femelle accueille le mâle chez les animaux pour qu'il y ait procréation. On voit donc que le destin du monde est lié au destin de l'accueil. Je me suis alors demandé comment cela fonctionnait.

André Daguin : Sachant qu'aujourd'hui l'accueil est essentiel et, partout, nécessaire. Mais par quel bout commencer ?

P. G. : Il faut d'abord comprendre ce que veut celui qui arrive, et comprendre dans quelles dispositions il se trouve. Le déplacement est au cÏur du premier chapitre de mon livre. J'essaie de montrer que celui qu'on accueille est un être écartelé. Quand vous traversez une rue pour acheter un journal, vous ne savez pas ce qui peut arriver. Comment le vendeur de journaux va-t-il vous accueillir ? Vous ne savez pas d'avance si vous ne le connaissez pas. Quand on se déplace, on est sur ses gardes, consciemment ou non. D'un autre côté, celui qui voyage porte en lui ce que j'ai appelé le complexe d'Ulysse, il est auréolé. Celui qui voyage, c'est celui qui est libre, qui a les moyens d'aller là où d'autres ne vont pas, c'est presque un dieu. Le problème que nous rencontrons dans nos métiers, c'est d'avoir à accueillir des gens aux attentes opposées. D'une part, ils veulent être rassurés, protégés, pris en charge. Et d'autre part, ils veulent recevoir les honneurs qu'ils estiment dû à leur position privilégiée de voyageur. L'accueil, c'est répondre à cette attente.

A. D. : L'accueil est-il le propre de l'homme ?

P. G. : On peut caricaturer en distinguant 3 grandes 'sociétés' : les insectes, où on n'agit que par réflexe. Les araignées n'accueilleront jamais bien la mouche… Dans les troupeaux d'animaux, c'est une bataille. Chez l'homme, c'est quelque chose de bbeaucoup plus réfléchi. C'est là que l'on trouve les trois concepts sur lesquels repose la relation : la reconnaissance ; il faut reconnaître celui qui arrive, lui donner satisfaction. Ensuite, il y a l'hospitalité, qui est un temps de paix. Une sorte de pacte s'établit. Celui qui arrive ne portera pas ombrage à celui qui reçoit, et celui qui reçoit s'engage à ne pas attaquer celui qu'il reçoit. Regardez, légalement, l'hôtelier est responsable si on vole quelque chose dans la chambre du client. Ce qui nous amène au troisième concept : le maternage. On apporte des solutions aux problèmes, des réponses aux questions.

A. D. : Pour savoir qui l'on accueille, il faut avoir soi-même de l'expérience. Il faut que ceux qui accueillent voyagent, qu'ils deviennent mobiles aussi. Ton bouquin doit les aider comme nous aider à chercher les raisons, les racines profondes, et puis en tirer au plus haut niveau une espèce d'enseignement qui prenne tout en compte. C'est comme si l'on enseignait la cuisine en oubliant la création. La cuisine, c'est répétitif, mais c'est aussi imaginatif. Pour l'instant, l'accueil, c'est répétitif. Il faut lui faire prendre une nouvelle dimension. Et dans les écoles hôtelières, on a sans doute la meilleure formation qui soit derrière les fourneaux, mais du côté de l'accueil, on est encore un peu ratatiné.  

P. G. : On n'enseigne pas l'accueil parce que l'on ne sait que dire. On dit souriez… Le sourire a été relativement bien étudié. Pourquoi accorder tant d'importance au sourire ? Il se trouve par hasard dans notre physiologie ; les muscles les plus mobiles sont les zygomatiques. Certains sentiments mettent en mouvement le corps : on trépigne de colère, on se tord de douleur, on éclate en sanglots… Il y a un sentiment qui est plus doux et qui ne met en mouvement que les muscles les plus mobiles, c'est le plaisir. Quand nous éprouvons du bonheur, seuls les zygomatiques s'actionnent. C'est le sourire spontané. La grande supériorité de l'homme sur les animaux, c'est qu'il parvient au sourire volontaire. L'homme a appris par mimétisme à sourire même lorsqu'il n'éprouve pas de plaisir. On sait que c'est par mimétisme parce que l'on a fait des recherches sur les aveugles de naissance, qui ne savent pas faire de sourire volontaire. Il n'y a pas chez eux de mémoire musculaire. Ensuite, tout au long de notre éducation, on crée des codes sociaux autour du sourire. Quand on sourit volontairement, nous voulons dire à la personne qui est en face de nous que nous éprouvons du plaisir en la voyant. Éprouver du plaisir, c'est ce qu'il y a de plus valorisant pour l'autre. Accueillir en souriant, c'est dire à celui qui arrive, j'ai du plaisir à vous voir arriver. Donc, vous pouvez avoir confiance en moi. Le sourire est un langage visuel qui veut dire beaucoup de choses.

A. D. : Chez les animaux, montrer les dents, c'est agressif. Pas chez l'homme. Si un lion te sourit, ça n'est pas bon signe. On peut tirer aussi comme conclusion qu'un client bien accueilli sera un client sans problème, et qu'un client mal accueilli sera à l'affût de toutes les difficultés. Il n'y a pas de prestations strictement parfaites, il y a toujours un petit truc quelque part. Un accueil intelligent va non seulement gommer les imperfections, mais peut-être les transformer en avantages. Dans l'apprentissage de l'accueil, pour l'instant, on en est resté au stade primaire. Il faut passer au cran au-dessus. Mécaniquement, le gars qui a été loupé à l'accueil va se dire : ils m'ont considéré en dessous de ce que je suis, et je vais leur prouver, avec mon oeil acéré, que je peux être tout aussi observateur et emmerdant que les gens qui ont un statut au dessus. Celui qui est accueilli par quelqu'un qui a le trac, ce n'est pas tout à fait un loupé, car ça peut le valoriser, ça veut dire qu'il est intimidant. Il ne faut pas confondre accueil et service, ce sont deux choses différentes. L'accueil, c'est le moment où l'inconnu devient connu, où l'étranger ennemi devient un ami que l'on prend en charge. Le service, ce n'est plus du maternage. Dans service, il y a la servilité, c'est l'esclave. Il y a aussi la serviabilité. C'est se mettre au service de quelqu'un volontairement, comme le médecin se met au service du malade… C'est à ce niveau que le service est extrêmement honorable. On sert dans l'armée, on sert son pays. On oublie toujours de faire cette relation. Il y a de l'honneur dans le service. Il faut inculquer à tous les jeunes que nous formons qu'ils ne sont pas les esclaves du client, mais qu'ils ont une mission de service.

A. D. : Qui commence avec l'accueil.

P. G. : Dans l'accueil, ce qu'il faut éviter, c'est la mécanisation. Il faut rester sur un plan humain. Sans quoi nous n'aurions pas besoin d'hôtesses. On aurait des robots. L'hôtellerie a énormément changé. Quand on réfléchit à ce qu'était une chambre de palace il y a cent ans… C'étaient des mètres carrés…

A. D. : Des mètres cubes…

P. G. : Des mètres cubes, très bien décorés. Mais il n'y avait aucune technologie. On montait les brocs d'eau, les bûches pour le feu. Aujourd'hui, c'est devenu un laboratoire électronique. La note est payée par la télévision… On est en rapport avec le monde entier. Le service s'est totalement déplacé vers l'efficacité, abandonnant la plupart des services directs à la personne. L'accueil a repris d'autant plus d'importance que l'on ne trouve plus, dans la chambre, le contact humain que l'on trouvait avant. Une femme de chambre vidait les bagages, on mettait les chaussures qu'on vous cirait, on prenait les petits-déjeuners dans la chambre, mais on sonnait le maître d'hôtel qui venait prendre votre commande. Il y avait des rapports constants dans un palace. Ils ont disparu, et toute cette envie de contact humain se retrouve aujourd'hui au moment de l'accueil.

A. D. : D'où son importance, évidemment.

Repère

Un titre complexe pour un sujet non moins complexe. Rassurez-vous, l'ouvrage de Pierre Gouirand brosse un tableau clair de l'accueil, et entraîne la curiosité du lecteur sur les chemins du bon sens. À lire sans réserve.

L'accueil de la philoxénologie à la xénopraxie aux Éditions Amalthée • 18,50 E en librairie.

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L'Hôtellerie Restauration n° 3105 Hebdo 30 octobre 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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