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du 21 février 2008
VIE PROFESSIONNELLE

ENTRETIEN CROISÉ

Pour André Daguin et Jean-Louis Caffier : le développement durable, c'est l'affaire de tous et maintenant

Le président de l'Umih et le rédacteur en chef de LCI, spécialiste de l'environnement et des sciences, réaffirme l'urgence de la préoccupation environnementale.
Propos recueillis par Sylvie Soubes

André Daguin : La base est très intéressée. D'habitude on est obligé d'impulser, même quand il y a un joli programme. Cette fois, c'est différent. Je constate qu'il y a une bonne volonté absolue de leur part. Ils ont le sentiment aigu qu'ils vivent d'un capital qui est la Terre. Notre boulot à nous, syndicat, c'est de leur montrer ce qu'il faut faire. On a lancé ça de manière très forte lors de notre congrès national à Lyon. On va aussi les sensibiliser dans le cadre du permis d'exploitation qui est un outil de formation nouveau, obligatoire, et qui concerne tous les professionnels.

Jean-Louis Caffier : Il faut dire très clairement que le monde est en train de changer, et que toutes les activités humaines vont suivre d'une manière ou d'une autre, simplement parce que physiquement certaines choses ne seront plus possibles. Quand on pense qu'un Américain consomme l'équivalent de 5 terres, si on applique ça à l'ensemble de la population du monde, ça ne tient pas. La base du développement durable doit passer par une très bonne information, plus qu'une petite prise de conscience.

A. D. : L'information est vaste.

J.-L. C. : Si demain, je vous dis que je vais vous couper le bras, c'est une information. Sauf que vous n'avez pas toutes les données à ce stade. Si je vous dis que je vais le faire parce que votre bras est gangrené, vous allez comprendre qu'en vous coupant le bras je vous sauve la vie. Regardons comment depuis cent cinquante ans on s'est basé sur une énergie abondante et pas chère. Et comment ça a permis de tout augmenter…

A.D. : En s'approvisionnant sans réfléchir à l'avenir.

J.-L. C. : Il y a un axe très fort dans les suites du Grenelle de l'environnement. En France, on va vers une relocalisation des productions. Que ce soit dans le secteur agricole ou industriel en partie. Il va y avoir un prix supérieur pour tout ce qui est carbone, c'est-à-dire transport. Ce qui veut dire qu'on va revenir à des productions locales. Il y a déjà des villes qui favorisent la réimplantation des agriculteurs et des producteurs de fruits et légumes à proximité, comme Besançon.

A. D. : Ça me fait penser au haricot vert du Kenya, qui est presque aussi beau que celui qu'on fait chez nous, mais qui a parcouru 7 000 km en avion pour arriver dans notre assiette.

J.-L. C. : Le saumon fumé écossais, savez-vous quel trajet il fait ? Il est pêché au large de l'Écosse, d'accord, mais il est ensuite transporté par Maroc par avion pour y être fumé. Puis il revient en Écosse. C'est le genre de pratiques qui doit disparaître. Mais il faut pour ça relever un peu le prix de l'énergie. On ne peut pas continuer à répandre tout ce qu'on déverse dans l'atmosphère. Le but n'est pas de solutionner tout ce qu'on a fait depuis cent cinquante ans dans les quinze à vingt ans qui viennent, mais c'est de limiter les dégâts.

A. D. : Les changements climatiques sont un indicateur.

J.-L. C. : Dans l'hôtellerie, prenons le cas des stations de moyenne montagne, leurs activités vont changer. La tendance est connue. Il y a de moins en moins de neige en hiver. Alors que vont-elles proposer à part le ski ? Aujourd'hui, l'Union des banques suisses ne prête plus, depuis l'an dernier, un centime aux stations situées à moins de 1 500 mètres. En revanche, elles sont prêtes à financer autre chose, pourquoi pas des patinoires, des circuits découvertes, d'autres activités. Il faut essayer d'anticiper ces contraintes, si on ne s'y prépare pas dès maintenant, en termes d'équipements, d'infrastructures, on va dans le mur d'une manière ou d'une autre. Le Languedoc ou la Côte d'Azur ne sont plus des bords de mer. Ce sont des cités de la région parisienne avec un peu d'eau à côté et du soleil. C'est l'exemple même d'un tourisme non durable avec destruction du paysage et une fréquentation déraisonnable.

A. D. : Au fond, c'est comme les élevages d'animaux, quand il y en a trop au même endroit, ça flingue tout. C'est pitoyable, le sol est fichu, il n'y a que de la boue, il n'y a plus rien. Nous, on réfléchit et on s'aperçoit que les hôteliers sont déjà bien au fait. Les restaurateurs, eux, n'y sont pas encore alors que par leurs fournitures, leurs produits, ils pourraient être dans le coup. D'autant plus qu'il y a tout à y gagner, les produits de saison sont plutôt moins chers. D'après des études récentes, 37 % des consommateurs acceptent de payer un peu plus cher un produit bio. Mais attention, ils mettent des limites. Ils veulent bien aller jusqu'à 15/20 %. Au-delà, ils refusent… Dans le panier d'une ménagère qui fait ses courses pour trois jours, le prix du produit agricole, viande et poisson compris, correspond à moins de 5 % du panier total. Tout le reste, c'est du transport, de l'emballage…

J.-L. C. : On a besoin de produits bio en France. Le bio représente 6 % de la consommation, or on ne produit qu'un tiers de cette demande. Dans les objectifs du Grenelle, il y a quand même des obligations, notamment pour les collectivités locales, d'augmenter considérablement la part du bio. Ce qui veut dire qu'on va devoir importer davantage. Le Premier ministre, François Fillon, souhaite que lorsque la France sera présidente de l'Union, nous arrivions à un accord européen sur la taxation des importations. Si l'Europe fait des efforts en termes d'émissions de gaz à effet de serre et qu'on importe des produits d'entreprises et de pays qui ne maîtrisent pas le phénomène, on va se mettre en grande difficulté. Les objectifs de la loi française de l'Europe sont de diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Il va falloir changer des choses en profondeur. Les compagnies low cost qui vous emmènent à Vienne ou à l'autre bout de l'Europe pour 29,50 E ne vont pas durer longtemps. On a des TGV qui alimentent des grandes villes alors qu'on a encore des lignes aériennes intérieures pour ces destinations. Ça vous paraît logique dans le contexte actuel ? Et si on ajoute que prendre l'avion coûte moins cher alors que le train n'émet pas de CO2 ?

A. D. : Aux membres du bureau, j'ai donné la consigne de prendre le TGV quand il y a moins de trois heures de transport.

J.-L. C : L'énergie carbonée, il faut la rendre plus chère. Par une taxe progressive. Et si on déplaçait la fiscalité du travail sur la fiscalité du carbone ? Les seuls exemples où la consommation de pétrole a baissé, ce sont lors des chocs pétroliers. Dans les années 1970, il y a eu une baisse de consommation et on a continué à se développer. En 1980, il fallait une demi-heure de travail pour un français payé au Smic pour acheter un litre d'essence. En 2005, il lui fallait travailler seulement dix minutes. Ce qui veut dire que le prix de l'essence a été divisé par trois…

A. D. : Ça revient à ce que vous disiez tout à l'heure, il faut donner la bonne information.  

J.-L. C. : On a annoncé la disparition de la banquise de l'Arctique entre 2060 et 2080. Les observations satellites qui ont été faites depuis six mois nous ramènent en 2020. On a pris 1 degré en France au siècle dernier, et si on laisse faire, ça va s'accélérer. Il faut savoir que 1 degré fait migrer la végétation et les écosystèmes de 200 km vers le nord. Si on prend 3 degrés à l'horizon 2050, où va-t-on produire le champagne ? Où va-t-on faire du bordeaux ? zzz74v zzz52

Repère

Rédacteur en chef à LCI, Jean-Louis Caffier est responsable du secteur sciences et environnement de la chaîne. Il présente notamment l'émission hebdomadaire 'Terre Mère', à regarder sans faute. Il préside l'association Enclhume (énergie, climat, humanité, médias), et il est aussi à l'origine des Entretiens de Combloux (Haute-Savoie) avec Jean-Marc Jancovici (auteur et développeur principal du Bilan carbone de l'Ademe). Ces rencontres annuelles ont pour "objectif de fournir un cadrage sur l'énergie et le changement climatique", et se déroulent dans une station de moyenne montagne dont le "PIB (Produit Intérieur Brut) est inversement proportionnel à la qualité environnementale". Rendez-vous sur combloux.com

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L'Hôtellerie Restauration n° 3069 Hebdo 21 février 2008 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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