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du 4 novembre 2004
JURIDIQUE

RÉALITÉ DU LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE

LE POUVOIR DE CONTRÔLE DU JUGE

Le licenciement pour motif économique fait l'objet d'un régime juridique très particulier. Fortement influencées par le contexte économique, social et politique dans lequel elles ont été établies, les règles qui le gouvernent visent à la défense de l'emploi. Elles sont multiples, complexes et donnent lieu à un abondant contentieux prud'homal. Le rôle du juge est alors essentiel.

L'article L. 321-1 du Code du travail donne une définition précise du licenciement économique : "Constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Le juge va vérifier la réalité et le sérieux du motif économique."
En cela, le juge va vérifier que le motif du licenciement ne repose pas sur la personnalité ou le comportement du salarié.
Ainsi, selon les tribunaux, le motif économique doit être écarté lorsque le motif réel du licenciement est l'inadaptation du salarié à l'évolution de son emploi, par exemple parce qu'il ne maîtrise ni l'anglais ni la micro-informatique (Cass. soc. 12/12/1991 n° 90-46.002).  

Le juge vérifie la réalité de la cause économique
Selon le Code du travail, deux situations peuvent justifier un licenciement économique : les "difficultés économiques" et les "mutations technologiques".
Ces deux causes légales étant précédées de l'adverbe 'notamment', la jurisprudence en a déduit que d'autres causes économiques pourraient être invoquées à l'appui d'un licenciement économique. Le juge va vérifier la réalité ces motifs.

1. Les difficultés économiques
Les difficultés économiques invoquées par l'employeur doivent être réelles et sérieuses pour constituer un motif économique légitime de licenciement.
Il n'est pas exigé que la situation fi
nancière de l'entreprise soit catastrophique pour qu'une suppression d'emploi constitue un motif économique de licenciement (Cass. soc. 9/7/1997 n° 85-43.722). En pratique, l'existence des difficultés économiques est appréciée au cas par cas par le juge.
Constituent une cause de licenciement économique de graves difficultés de trésorerie, un déficit budgétaire important ou un déficit d'exploitation (Cass. soc. 26/03/1992, n° 89-43.961).
En revanche, n'est pas constitutive d'une cause économique de licenciement une situation financière déficitaire depuis plusieurs années sans qu'aucune aggravation ne soit démontrée (Cass. soc. 23/05/200 n° 97-42.221).

Attention, le motif d''économie' n'est pas en soi un motif de nature à justifier un licenciement économique, si la société se contente de faire état de sa volonté de réduire les rémunérations ou les charges sociales.
Il faut aussi noter, par ailleurs, que :
- les difficultés économiques doivent s'apprécier à la date de la notification du licenciement (Cass. soc. 2/4/1998 n° 96-40.766). Dès lors, quand des difficultés économiques existent déjà dans l'entreprise au moment de l'embauche, l'employeur ne peut s'en prévaloir pour se séparer du salarié peu de temps après son entrée dans l'entreprise.
- le cadre d'appréciation des
difficultés économiques est l'entreprise, et même le groupe auquel elle appartient.

2. Les mutations technologiques
L'introduction de nouvelles technologiques dans l'entreprise peut constituer une cause économique de suppression d'emploi, de transformation d'emploi ou de modification du contrat de travail.
Ainsi, la suppression d'un poste d'employé de bureau suite à l'informatisation de l'entreprise peut être un motif de licenciement (Cass. soc. 19/7/1997 n° 90-40.361). Toutefois, pour qu'un tel licenciement soit justifié, il faut que l'employeur ait au préalable satisfait à son obligation d'adaptation.

3. La réorganisation de l'entreprise
À la liste donnée à titre indicatif par l'article L. 321-1 du Code du travail, la Cour de cassation a ajouté la réorganisation de l'entreprise lorsqu'elle est nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
Le fait qu'une entreprise cherche à être plus performante ne justifie pas à lui seul une réorganisation se traduisant par des licenciements économiques : c'est la survie de l'entreprise qui doit être en cause.
Cette notion est interprétée strictement par la jurisprudence qui recherche la cause réelle du licenciement. À titre d'exemple, constitue une cause économique de licenciement la suppression du poste de caissière suite à l'informatisation des encaissements. Lesquels ont été repris par le personnel de salle. Mais le licenciement motivé par le souci d'augmenter les bénéfices dans une société qui ne rencontre aucune difficulté économique est abusif (Cass. soc. 30/09/1997).

4. La cessation d'activité
La cessation d'activité est une autre cause économique justifiant le licenciement admis par la Cour de cassation, tout en précisant que cette cessation est définitive. Ainsi, l'employeur ne peut pas invoquer la fermeture temporaire,
même pendant un an, de son hôtel de luxe pour travaux de rénovation comme cause de licenciement économique (Cass. soc. 15/10/2002 n° 01-46.240).

Projet de réforme du licenciement économique

La réforme du licenciement économique avec la création d'un droit au reclassement pour tous a été présentée en Conseil des ministres le 20 octobre dernier et transmise à la Commission des affaires sociales du Sénat mercredi 27 octobre. Celle-ci a été intégrée par une lettre rectificative dans le projet de loi de programmation sur la cohésion sociale.

Cette réforme du licenciement économique part du constat que le régime des licenciements économiques souffre d'un triple handicap :
• Il est centré sur une gestion 'à chaud' des difficultés et par conséquent n'incite pas les entreprises à anticiper sur les évolutions en matière d'emploi ;
• C'est un régime procédurier qui pousse plus à la confrontation qu'au dialogue ;
• Il est inégalitaire, car plus de 80 % des salariés en cause n'ont aucune garantie en termes de reclassement.

Les principales dispositions relatives au licenciement économique de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale avaient été suspendues pendant un délai de 2 ans afin de laisser aux partenaires sociaux la possibilité de négocier des règles plus efficaces et équilibrées. Prenant acte de l'échec des négociations, le gouvernement a donc décidé d'introduire dans le projet de loi sur la cohésion sociale 8 articles qui visent à anticiper les mutations économiques et à créer un droit au reclassement personnalisé.

Le juge vérifie la réalité de la suppression ou de la transformation de l'emploi, ou de la modification du contrat de travail

Pour constituer un licenciement économique, le contexte économique de l'entreprise doit entraîner une suppression d'emploi, une transformation d'emploi ou une modification du contrat de travail.

• La suppression d'emploi
La suppression de poste justifie un licenciement économique lorsque :
. les tâches du salarié licencié ont disparu dans leur totalité,
. les tâches du salarié licencié sont maintenues mais affectées à d'autres employés de l'entreprise, ou même reprises par la direction.
En tout état de cause, la suppression d'emploi implique que le salarié licencié ne soit pas remplacé par un nouvel embauché.

• La transformation de l'emploi
La transformation de l'emploi peut être définie comme un changement de nature de l'emploi concerné. Ainsi, lorsqu'un restaurateur procède à une réorganisation du service en salle, qu'il reprend à son compte et informe une salariée serveuse qu'elle aurait désormais pour mission de procéder au seul entretien de l'établissement, le licenciement est de nature économique (Cour d'appel de Paris 16 septembre 2004).

• La modification du contrat de travail
Le licenciement économique peut être fondé sur une "modification substantielle du contrat de travail".
Dans cette hypothèse, la cause du licenciement n'est pas le refus du salarié de la modification de son contrat, mais la situation économique qui conduit l'employeur à proposer au salarié la modification de son contrat de travail.

En d'autres termes, pour fonder un licenciement économique, il faut que la cause de la modification soit justifiée par des difficultés économiques, des mutations technologiques ou une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
Ainsi sera justifié le licenciement économique d'un salarié licencié à la suite de son refus de modifier le mode de calcul du pourcentage service (passage du 15 % TTC au 15 % sur le prix HT) alors que l'entreprise rencontrait des difficultés financières incontestables (conseil de prud'hommes de Paris du 14 août 1997 n° 94/12480).
Attention, selon le Code du travail, lorsque l'employeur envisage une modification du contrat de travail pour motif économique, il doit en informer individuellement les salariés par lettre recommandée avec accusé de réception.
Ceux-ci disposent alors d'un délai de 1 mois pour faire connaître leur refus. À défaut d'une réponse dans le délai de 1 mois, les salariés sont réputés avoir accepté la modification proposée (Code du travail L. 321-1-2).
Par ailleurs, le fait de proposer une modification de son contrat de travail au salarié, qui peut la refuser, ne dispense pas l'employeur de son obligation de reclassement.

Le juge vérifie l'existence d'un lien entre le contexte économique de l'entreprise et la mesure décidée

Le juge prud'homal va en effet, pour terminer d'apprécier la réalité du licenciement économique, vérifier qu'il existe bien un lien de causalité entre :
- d'une part, le contexte économique de l'entreprise tel qu'avancé par l'employeur : difficultés économiques, mutations

technologiques ou encore réorganisation de l'entreprise…
- et d'autre part, la mesure qu'il a décidée, et plus précisément les conséquences sur le contrat de travail : suppression, transformation de l'emploi ou encore modification du contrat de travail.
Sera ainsi jugé abusif le licenciement économique d'une caissière PMU dont le poste est supprimé et les tâches reprises par l'employeur lorsque la société ne rencontre pas de difficultés économiques (Cass. soc. 9/11/2001 n° 99/15.811).
Il est important de préciser que la lettre de licenciement économique doit énoncer de façon claire et précise ces 2 éléments de motivation du licenciement économique. À défaut, le licenciement serait immédiatement, en raison d'une mauvaise rédaction de la lettre de licenciement, considéré comme abusif (conseil de prud'hommes de Paris du 25 mai 2004 n° 02/15123).
Si le licenciement économique ne répond pas à ces critères, le juge le qualifiera d'abusif et octroiera au salarié des dommages-intérêts en fonction du préjudice subi, lesquels seront au moins égaux à 6 mois si l'entreprise occupe habituellement plus de 11 salariés et que le salarié a plus de 2 ans d'ancienneté (article L. 122-14-4 du Code du travail).    

Franck Trouet, Synhorcat zzz60u

Une indemnité de licenciement majorée

L'article L. 122-9 du Code du travail, modifié par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, prévoit une majoration de l'indemnité légale de licenciement lorsqu'il est prononcé pour un motif économique.
En cas de licenciement pour motif économique, le taux de l'indemnité légale est ainsi doublé par rapport à un licenciement fondé sur un motif inhérent à la personne du salarié : les salariés licenciés pour motif économique bénéficient désormais d'une indemnité minimum de 2/10es de mois par année d'ancienneté, auxquels s'ajoutent 2/15es de mois par année d'ancienneté au-delà de 10 ans.

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L'Hôtellerie Restauration n° 2892 Hebdo 30 septembre 2004 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE

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