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Actualité juridique
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Du côté des prud'hommes

Liberté d'entreprendre contre droit à l'emploi

Lors de la reprise d'un fonds de commerce, d'une gérance libre ou tout simplement du rachat d'une société, le nouvel employeur est tenu de reprendre le personnel en poste. Mais ce nouvel employeur peut vouloir un poste déjà occupé par un salarié. Cet argument permet-il de justifier le licenciement ? 

L'article L.122-12 du Code du travail prévoit, en effet, qu'en cas de modification dans la situation juridique de l'employeur, les contrats de travail en cours subsistent et se poursuivent dans les mêmes conditions.
Mais ce principe, éminemment protecteur des intérêts des salariés, se heurte parfois aux intentions du nouvel employeur. C'est notamment le cas dans notre branche d'activité où les toutes petites entreprises sont légion. Souvent, le nouvel employeur est décidé à mettre la main à la pâte et à tenir un emploi.
Or, cet emploi peut être déjà occupé par un salarié. Que faire ? La liberté d'entreprendre trouve-t-elle ici sa limite dans le droit à l'emploi du salarié ? Le nouvel employeur peut-il procéder au licenciement de ce salarié ? Quels sont les droits et obligations de chacun dans une telle situation ? Autant de questions auxquelles le conseil de prud'hommes de Paris était tenu de répondre dernièrement.

L'obligation de reclassement

La Cour de cassation impose à l'employeur l'obligation, avant de procéder au licenciement d'un salarié, de rechercher toutes possibilités de reclassement existantes.
Selon la Cour de cassation : "Le licenciement économique d'un salarié ne peut intervenir, en cas de suppression d'emploi, que si le reclassement de l'intéressé n'est pas possible."
(Cassation sociale du 1er avril 1992, notamment)

Cette obligation mise à la charge de l'entreprise, doit être examinée, tant dans l'entreprise que dans le groupe.
A cette occasion, l'employeur doit rechercher et proposer au salarié les postes disponibles de même catégorie ou de même nature, mais aussi tout emploi correspondant à une qualification inférieure. Autrement dit, l'offre de reclassement peut comporter des modifications substantielles du contrat de travail : qualification inférieure, durée de travail inférieure, salaire inférieur... Cette obligation pèse sur l'employeur, même si celui-ci a la certitude que le salarié n'acceptera pas cette proposition, et même si le salarié a déjà manifesté son désir d'être licencié et de ne pas bénéficier de la priorité de réembauchage.

Cette obligation de reclassement est bien évidemment une obligation de moyen et non une obligation de résultat. Il ne pourra être reproché à l'employeur l'absence de proposition de reclassement, dès lors qu'il n'existe aucun emploi disponible dans l'entreprise ou que le seul emploi disponible a été refusé par le salarié. Il importe de rappeler l'importance de cette obligation de reclassement. A défaut de respecter ces obligations, le licenciement perd sa justification économique. Il est abusif. (Cassation sociale du 5 juin 1996, notamment)

Un couple d'employeurs reprend un restaurant...
Un petit restaurant de quartier où l'on trouve une ambiance familiale et une cuisine goûteuse comme on l'aime. Celui-ci était tenu par un couple : lui en cuisine, elle en salle, avec l'assistance d'une employée en qualité de serveuse.
Mais, après de longues et dures années de labeur, le couple décide de prendre une retraite bien méritée et de vendre le restaurant. Cela intéresse, justement, un couple de professionnels qui, à l'occasion de cette acquisition, pourra faire le grand saut : devenir à leur tour patron. Au 1er janvier de l'année passée, ils reprennent l'établissement et, en application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail, le contrat de travail de la serveuse embauchée 10 ans auparavant. Malheureusement, ils n'ont guère d'occupation à lui confier. Ils ont, en effet, tous les deux décidé de prendre en charge le service en salle et de recruter un cuisinier professionnel. Dès le lendemain de la reprise de l'établissement, ils convoquent donc la salariée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement. A la suite de cet entretien, ils lui notifient son licenciement pour motif économique en raison de la suppression de son poste de serveuse.
Elle ne l'accepte pas, et saisit immédiatement le conseil de prud'hommes afin d'obtenir qu'il condamne ses nouveaux patrons à lui verser des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

... et se retrouve devant les prud'hommes
Arrivée devant le conseil de prud'hommes, la salariée soutient que son licenciement est intervenu afin qu'elle 'laisse la place' à l'épouse du nouveau patron. Cela est inadmissible et mérite réparation.
La Cour de cassation, à l'occasion de multiples décisions, a pu sanctionner le fait pour un employeur de procéder au licenciement économique d'un salarié, puis immédiatement, de pourvoir à son remplacement.
L'avocat de la salariée, fin connaisseur de la jurisprudence, cite notamment un arrêt SARL Citem contre Rajaijne du 9 juillet 1992. A cette occasion, la Cour suprême avait pu, en effet, juger abusif le licenciement économique d'un salarié pour suppression de poste, alors même que ce dernier avait été immédiatement remplacé par le fils du gérant. Par la suite, la salariée ajoute qu'à l'évidence il n'y a pas eu suppression de son poste de travail puisque l'épouse du nouveau patron la remplace désormais. En fait, son nouvel employeur voulait, selon elle, supprimer le salaire qu'il devait lui verser en sa qualité de serveuse. Or, ajoute la salariée, la Cour de cassation n'admet pas de telles pratiques. Dans un arrêt du 26 mars 1991, elle a pu juger que devait être qualifié d'abusif le licenciement économique d'un salarié remplacé immédiatement par un autre occupant le même emploi avec un salaire moindre.
Pour elle, cette affaire est entendue. Son licenciement est abusif. Son employeur doit lui verser des dommages et intérêts qu'elle estime à 1 an de salaire.

Les arguments de défense de l'employeur
Face à cette argumentation particulièrement technique, le nouvel employeur entend faire valoir des arguments de bon sens. Il explique d'abord qu'il a repris en nom propre avec son épouse l'exploitation de ce restaurant. Auparavant, celui-ci était tenu par l'ancien patron, cuisinier de métier, ainsi que par son épouse, occupée au bar et en salle avec, pour l'assister, cette fameuse serveuse.
Bien évidemment, lorsqu'il a décidé, lui, de racheter cet établissement, il a été contraint d'embaucher un cuisinier de profession en remplacement du patron parti à la retraite. Lui-même ne disposait en effet d'aucune formation ou compétence en cuisine. Pour sa part, il entendait avec son épouse reprendre à eux deux le travail en salle et au bar.
Or, ni le chiffre d'affaires annuel, en constante diminution ces dernières années, ni les rares bénéfices réalisés ne justifiaient l'emploi de 3 personnes en salle. Cette affaire, les comptes de résultat en attestent, permet tout juste de dégager 120 000 francs de résultat par an pour le couple. A peine ce que le Smic peut procurer à un couple en activité.
Autrement dit, il lui importait de procéder à la suppression du poste de serveuse tenue par la salariée, en ce qu'il était justement un poste salarié, c'est-à-dire, un poste pour lequel il devait verser un salaire. Il explique qu'il y a suppression du poste et, par voie de conséquence, licenciement économique lorsque les tâches précédemment confiées à un salarié sont reprises par l'employeur en personne ou par son épouse, conjointe collaboratrice. Et cite à son tour la jurisprudence. Dans un arrêt en date du 20 janvier 1998, la Cour de cassation a pu confirmer le bien-fondé d'un licenciement pour motif économique. Dans cette affaire, un employeur, pharmacien de son état, avait procédé à la suppression d'un emploi de préparateur salarié. Il avait décidé d'octroyer cette fonction à sa femme travaillant comme collaborateur bénévole.
Enfin, ce restaurateur de conclure, bien évidemment, que le reclassement de la salariée après la suppression du poste de travail qu'elle occupait s'avérait impossible. En effet, celle-ci était incapable de tenir le seul emploi salarié demeurant dans l'entreprise, celui de cuisinier, et ce, même au prix d'une formation qualifiante.

Indemnité de licenciement

Une indemnité distincte du préavis est accordée, en dehors du cas de faute grave ou lourde, aux salariés licenciés ayant au moins deux ans d'ancienneté ininterrompue dans l'entreprise.

Cette indemnité est calculée comme suit :
w moins de 10 ans d'ancienneté : 1/10e de mois de salaire brut par année d'ancienneté,
w au-delà de 10 ans d'ancienneté : 1/10e de mois de salaire brut par année d'ancienneté plus 1/15e de mois par année d'ancienneté au-delà de 10 ans, si le salarié peut bénéficier de la loi sur la mensualisation.
Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité est le 1/12e de la rémunération brute des 12 derniers mois précédant le licenciement, ou selon la formule la plus avantageuse pour l'intéressé, le tiers des 3 derniers mois étant entendu que, dans ce dernier cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel qui aurait été versée au salarié pendant cette période ne sera prise en compte qu'au prorata temporis.
Cette indemnité de licenciement ne peut se cumuler avec une autre indemnité de même nature.

Jusqu'au jugement
Après avoir entendu les plaidoiries des parties, le conseil de prud'hommes s'est bien évidemment retiré afin de délibérer et rendre son jugement.
A cette occasion, il rappelle, citant l'article L.321-1 du Code du travail, que le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié, résultant d'une suppression d'emploi consécutif notamment à des difficultés économiques, est un licenciement pour motif économique.
Or, selon le conseil de prud'hommes, il ressort des débats que :
w le restaurant a bien été acheté par un couple d'employeurs exploitant en nom propre ;
w le chiffre d'affaires était en baisse constante, tout comme les bénéfices commerciaux, revenus des exploitants, qui étaient faibles et suivaient la même pente ;
w la salariée était bien la seule personne employée jusqu'au rachat de l'entreprise, date à laquelle un cuisinier fut embauché ;
w aucun recrutement au poste de serveuse n'est intervenu, le couple d'employeurs ayant décidé d'exécuter les tâches de la salariée ;
w enfin, aucun reclassement de la salariée n'était possible.
Le conseil de prud'hommes conclut que le maintien de la salariée dans l'entreprise était impossible et que son licenciement pour motif économique n'est pas abusif. Il déboute la salariée de ses demandes en dommages et intérêts. Selon le conseil de prud'hommes, l'employeur peut donc supprimer un poste salarié et reprendre lui-même, ou son conjoint collaborateur, les tâches précédemment confiées au salarié, dès lors qu'il le justifie et, bien évidemment, qu'il respecte les droits de son salarié. En l'espèce, l'employeur n'avait pas manqué de mettre en avant le faible chiffre d'affaires réalisé par le restaurant. Il avait ainsi respecté scrupuleusement la procédure de licenciement, examinant notamment toute possibilité de reclassement.
Enfin, il avait reconnu à la salariée ses droits à préavis, indemnité de licenciement et autres heures pour recherche d'emploi.
F. Trouet - SNRLH

Un exemple similaire
La reprise d'un bar-tabac-PMU par un trio d'associés

Dans une récente affaire soumise à l'appréciation du conseil de prud'hommes de Paris, une salariée venait contester son licenciement pour motif économique.
En effet, à la suite de la vente de l'établissement à trois associés constitués en SNC (Société en Nom Collectif), son poste de caissière PMU avait été, selon elle, supprimé.
Or, la salariée avait pu constater que l'activité de PMU avait été maintenue. Elle en avait conclu que son licenciement était abusif.

Faux, répondait son employeur, le poste de caissière PMU avait été supprimé en ce qu'il s'agissait d'un poste de caissière PMU salarié.
Le poste était désormais tenu par un associé qui ne perçoit aucun salaire.
Là encore, le conseil de prud'hommes a pu reconnaître le bien-fondé du licenciement économique de la salariée en raison de la suppression du poste salarié, les tâches étant reprises par un associé.

 

Procédure de licenciement individuelle
Le calendrier à respecter

1re étape
w Envoi d'une convocation à entretien préalable en lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en mains propres contre décharge, envoyée en respectant un délai d'au moins 5 jours ouvrables avant l'entretien (non compris le jour de réception du courrier et le jour de l'entretien). Cette lettre doit indiquer au salarié qu'une mesure de licenciement pour motif économique est envisagée, et qu'il a la possibilité, lors de l'entretien auquel il est convié, de se faire assister soit par un membre du personnel de l'entreprise, soit par un conseiller extérieur figurant sur une liste départementale établie à cet effet.
w Demande d'un dossier de convention de conversion. L'employeur doit, si le salarié remplit les conditions d'adhésion (deux ans d'ancienneté minimum, moins de 57 ans, aptitude physique à un emploi), demander un dossier de convention de conversion auprès de l'Assedic. Ce dossier doit être remis au salarié lors de l'entretien préalable.
w Examen des possibilités de reclassement du salarié. L'employeur doit, dès lors qu'il envisage de supprimer le poste d'un salarié, examiner toute possibilité de reclassement de celui-ci, dans un poste disponible au sein de l'entreprise (ou même du groupe).

2e étape
w J + 7 l'entretien préalable : lors de l'entretien préalable, l'employeur doit informer le salarié des motifs sur la mesure envisagée. Il écoute les observations du salarié. Il examine avec le salarié toute possibilité de reclassement dans un autre poste. Il propose au salarié le dossier de convention de conversion. L'employeur n'aura pas manqué, à cette occasion, de mentionner sur le document : la date de remise de la documentation, la date de fin de délai de réflexion pour adhérer à la convention de conversion, le cachet de l'entreprise, et la date de prébilan évaluation/orientation auprès des équipes techniques de reclassement (l'entreprise doit, pour cela, téléphoner à l'Assedic dont elle dépend afin d'obtenir un rendez-vous).

3e étape
w J + 1 la confirmation de la possibilité de reclassement par écrit : ce courrier doit reprendre la possibilité de reclassement offerte au salarié et lui accorder un délai de réflexion de l'ordre de 4 à 5 jours. A défaut de reclassement, il peut être important de le notifier par écrit au salarié et de l'inviter à faire part à l'employeur de toute suggestion concernant ce délicat problème.

4e étape
w J + 12 (s'il s'agit d'un cadre) : notification du licenciement pour motif économique par lettre recommandée avec accusé de réception. La lettre de licenciement économique doit comporter l'énoncé obligatoire du motif économique avec le maximum de précisions utiles. La lettre doit en outre préciser que le salarié bénéficie d'une priorité de réembauchage, ainsi que, le cas échéant, la faculté d'adhérer à la convention de conversion.

5e étape
w  Information à la Direction départementale du travail et de l'emploi dans les 8 jours suivant l'envoi de la lettre de licenciement pour motif économique.
w J + 21 : en cas d'adhésion à la convention de conversion, cette date marque la rupture du contrat de travail du salarié d'un commun accord, par départ en convention de conversion. A défaut, le salarié est tenu d'exécuter le préavis auquel il peut prétendre, en vertu de la convention collective nationale du 30 avril 1997.

Tableau des préavis

  - de 6 mois de 6 mois à - de 2 ans + de 2 ans
Cadres   1 mois   3 mois   3 mois
Maîtrise   15 jours   1 mois   2 mois
Employés   8 jours   1 mois   2 mois

Procédure de licenciement individuelle


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L'HÔTELLERIE n° 2705 Hebdo 15 Février 2001


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