Festival Omnivore : Les kids vont bien à Paris

Paris Ils sont quatre pour trois restaurants. Trois nouvelles adresses parisiennes, voisines à vol d'oiseau, et dans l'esprit aussi. Quoique. Nous avons rencontré Sven Chartier, Pierre-Sang Boyer, Simone Tondo et Michael Greenwold, pour tirer le portrait d'une certaine jeune cuisine.

Publié le 13 mars 2013 à 16:15

Dans l'ordre d'apparition de l'article : Saturne, Pierre-Sang in Oberkampf et Roseval. Trois restos du coin, au sens propre comme au sens figuré, qui reluquent depuis leur trottoir la tradition bistronomique. Sans oeillères. Ils font déjà partie du décor, malgré leur jeunesse. Saturne a soufflé ses deux premières bougie en septembre dernier, Pierre-Sang in Oberkampf a allumé le poste juste avant l'été ; Roseval grésille depuis début juillet. À la tête de ces tables juvéniles, des gamins dont les âges s'échelonnent entre 24 et 32 ans. La 'jeune cuisine' au pied de la lettre. Saturne s'appelle Sven Chartier, 27 ans. Pierre-Sang, 32 ans, se nomme Boyer. Roseval est l'oeuvre commune de Simone Tondo, 24 ans, et de Michael Greenwold, 28 ans. Depuis deux bonnes années, les ouvertures parisiennes se suivent et se ressemblent parfois. Une frénésie dont on ne mesure pas toujours la richesse, un buzz chassant l'autre. Raison de plus pour s'arrêter sur ces trois-là.

Les affranchis 

Simone Tondo et Michael Greenwold, ce sont un peu les affranchis. La rencontre entre l'ado rebelle sarde, programmé pour les études d'architecture par sa mère, et le rosbif d'Oxford aux parents Américains, a eu lieu chez Petter Nilsson. Simone, fondu de produits depuis une enfance entre nonna et zia, venait de quitter Giovanni Passerini, ancien second du chef suédois. Michael Greenwold, brillant étudiant en littérature anglaise parti chercher son éventuelle vocation de cuisinier en France, avec le petit pécule laissé par 'granny', arrivait de chez Iñaki Aizpitarte, son tout premier stage. En charge de la mie, de la croûte (Petter Nilsson fait le meilleur pain de Paris) et de la pâtisserie, comme à ses débuts chez Cristiano Andreini, à Alghero, Simone a été moins patient. Huit mois rue de Cotte et puis s'en va. Il a toujours eu la bougeotte. Après Cracco à Milan, il part pour Paris travailler chez Giovanni Passerini à Rino. "Je lui ai envoyé un email, il m'a dit : 'Viens.'" Aussi simple que ça. Là encore, Simone n'a pourtant pas tenu plus d'un an. "C'est peut-être une connerie, admet-il. Rester trois ans, cela aurait été bien. Mais j'aime changer pour changer. Malgré tout, 'Gio' a modifié ma façon de travailler, l'idée de ce que doit être la cuisine, de ce qu'il faut donner. Il a une cuisine généreuse dans un registre libre. Il peut faire des tripes un jour et le lendemain cabillaud, huître, émulsion menthe." Si Roseval a pu voir le jour, c'est beaucoup grâce à un autre Italien, Fabrizio Ferrara, chef de l'épatant Caffé dei Cioppi, qui a accompagné les gars de Ménilmontant à chaque étape de leur installation. Cette cantine de poche est en tout cas le résultat d'une cordiale entente nord-sud pour une cuisine, bien évidemment, de "contrastes" (dixit Simone). Mais sans frontières. Michael aime autant façonner les ravioles que Simone, et ce dernier n'a aucun mal à pousser auprès du premier les accords terre-mer de son île natale. Du coup, sans que l'on sache qui fait quoi, et l'on s'en moque pas mal, les ravioles ventrues se remplissent de pommes de terre et d'oignon brûlé puis se cachent sous la poutargue ou le pecorino, le rouget fait la planche avec du pomelo dans une crème de fenouil, le colvert s'encanaille avec l'anchois et la carotte. Passionné de photographie, Simone tient à des dressages soignés mais pas ampoulés. 

Le sage

Rue Notre-Dame-des-Victoires, Sven Chartier, après avoir nettoyé un à un des anchois de Collioure comme s'il s'agissait de pierres précieuses destinées à Cartier, s'est mis à trier quelques choux de Bruxelles. Autour de lui, une jeune brigade nettoie des scorsonères, lave quelques palourdes, épluche de gluants salsifis. Silence d'une mise en place à peine dérangé par le cliquetis des couverts qu'on dresse sur les tables de bois blond conçues par les mêmes designers que la ferme Hegia. Un bout d'Hasparren, de son silence, posé en pleine stridence du quartier de la Bourse. Paris, Sven Chartier s'y est installé quand Arnaud Daguin, son premier mentor, a pris son téléphone pour appeler Alain Passard et lui recommander le petit. Le grand chef de la rue de Varenne a dit oui même si la cuisine était déjà pleine. Certains mots pèsent plus que d'autres. Chartier devient donc 'runner' aux légumes avec pour mission essentielle d'emporter dare-dare à la plonge les casseroles et les ustensiles utilisés par le chef de partie. Dans cette cuisine aussi il n'y a pas un bruit, l'impression parfois de devoir fonctionner en télépathie avec un chef entièrement concentré sur une assiette composée comme un jardin paysagé. La carte de Saturne n'est jamais écrite. Une série d'ingrédients s'entasse en une liste qui ne quitte pas son maître. Depuis quinze mois qu'elle est ouverte avec ses soixante places assises, sa salle à l'allure scandinave scandée par des appliques Serge Mouille, le chef suit ainsi son rituel : quelques notes griffonnées d'une pointe Bic bleue pour écrire la structure du repas avant de s'absorber dans le taillage des légumes. "Je n'ai pas de fiches techniques, pas de menus préconçus. Je ne supporte pas l'idée de la répétition ou d'un plat qui dure quinze jours." Alors il jongle chaque matin avec les arrivages du jour, parfois même avec la pénurie, les petits fournisseurs oubliant de dire qu'ils n'ont rien ramassé pour lui. "C'est une cuisine de la fragilité, elle est imparfaite, en devenir. Il faut cinq ans pour qu'elle existe." Une phrase pour passer du mystère au réalisme. Chez Saturne, ce midi-là, les mots manquent pour décrire l'imbrication miraculeuse des Saint-Jacques taillées crues, assez épaisses, croquant sur de minces lamelles de courge, des filaments de chou rouge à l'amertume pointue avant un torrent d'iode déversé par les langues d'oursin. Brutal mais doux, incisif mais soyeux. Il faut un val-de-saône sans soufre de Guy Bussière pour sortir de l'effarement et plonger l'esprit rafraîchi dans le duo anchois - ceux du matin - à peine effleurés par la flamme et des pommes de terre en chips croustillantes, un plat insensément évident, presque enfantin dans sa fausse gourmandise associant perfidement cendres de queues d'anchois et radicelles de poireaux à croquer comme une terre argileuse. Et puis soudain, de nouveau, le silence face à ce qui ressemble au plat de l'année : lotte, scorsonère, poireaux crayons, trévise et jus à l'olive. On pourrait vous l'expliquer - l'amertume, encore renforcée par la profondeur aigrelette de l'olive… - mais non. Il fallait y aller et manger. Et voir, de loin, derrière le passe de sa cuisine, Sven Chartier dresser les assiettes et se taire. À 26 ans, il a la vie devant soi pour l'ouvrir.

Le provincial

Lui parle. Pierre-Sang Boyer est peut-être l'aîné de nos quatre 'kids' mais il est aussi resté le gamin de 7 ans déraciné de sa Corée du Sud natale. Certes, elle ne le hante plus. "Mes parents savaient que j'avais toujours eu le projet de retourner là-bas, raconte-t-il. La cuisine était pour moi une façon de me reconstruire et un moyen de retrouver mon pays natal après avoir atteint une certaine réussite. J'étais chef en Angleterre quand j'y suis parti, à l'âge de 21 ans. À cette époque, je me posais des questions : qui suis-je, ai-je toujours de la famille là-bas, des souvenirs, l'envie de rester, est-ce que je suis heureux, malheureux ? J'ai trouvé toutes les réponses." Il n'en dira pas beaucoup plus. L'enfant 'rock' et turbulent du petit village de Lantriac, toujours prêt à faire les 400 coups, apprend une certaine sagesse avec les artisans modestes de sa Haute-Loire. Comme ce gendre à qui son père le confie pour lui "botter les fesses". De la plonge aux corvées (vider les grenouilles, par exemple), du LEP Jean-Monnet du Puy-en-Velay jusqu'aux apprentissages avec lever à 6 heure du matin avant la montée de la sève, il est confronté à la rigueur et aux contraintes d'un 'métier de chien'. Il en tire une admiration sans borne pour tous ces cuisiniers qui font sans doute de lui le plus provincial des nouveaux chefs de la capitale. Peu importe qu'il ait beaucoup voyagé, qu'il soit resté sept ans à Londres dans les différents établissements des Gascons Vincent Labeyrie et Pascal Aussignac, c'est vers ces racines là qu'il revient toujours.

Au retour de Corée, c'est à Lyon qu'il choisit de se poser pour se rapprocher de sa famille. Son passage chez Nicolas Le Bec ne répond pas à ses attentes. Cela se passe mieux à l'Opéra de Lyon avec Philippe Chavent, avant d'être poussé vers l'aventure télévisuelle 'à l'insu de son plein gré', inscrit aux sélections de Top Chef par sa femme et son ami d'enfance. "Je ne regardais pas l'émission car je travaillais le lundi, raconte-t-il. Mais je me suis pris au jeu. J'ai pu montrer dans mes assiettes mon histoire, mes origines, ma personnalité. Ces influences asiatiques dans le terroir auvergnat." C'est tout cet univers que l'on retrouve aujourd'hui rue Oberkampf. En compagnie de son associé, Maxime Guignard, ancien (à 24 ans !) du Meurice et du Sketch, le restaurant de Pierre Gagnaire à Londres, qui lui compose une carte des vins très réjouissante, Pierre-Sang prépare sur sa plancha, derrière le bar, en rang d'oignon avec toute l'équipe, sans hiérarchie apparente, des tapas ou des plats colorés, vifs, généreux. En quatre mots : il fait à manger. Après une ouverture toute en discrétion, au début de l'été, et une, plus officielle, à la rentrée, il a déjà trouvé une forme de sérénité. Au prix d'un gros travail qui ne lui a pas encore permis d'aller tester les belles tables dont il a entendu parler, comme le Châteaubriand ou Septime (il dit 'Septaïme', à l'anglaise), dont il se sent instinctivement proche. "Il y a un réel mouvement, affirme-t-il. Il y a une nouvelle génération qui a envie de démocratiser la cuisine, de la désenclaver. Ce qui nous lie, c'est la volonté de se donner à 100 %, pour le restaurant et pour la cuisine, de partager." Mais très vite, la mémoire du petit provincial formé à la dure revient au galop. "Après tout, nous ne sommes pas si différents de l'ancienne génération, nuance-t-il. C'est le même métier. Une cuisson reste une cuisson, un assaisonnement reste un assaisonnement. On est dans l'air du temps. Mais si ces gens-là avaient vécu à notre époque, ils auraient fait comme nous." Oui décidément, les kids ont des épaules, une tête, une mémoire. Et merci, ils vont bien.


Publié par Stéphane Méjanès et Luc Dubanchet



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