Restauration : les profils atypiques s'emparent du secteur

Ils n'ont pas été formés au lycée hôtelier. Certains d'entre eux ont déjà eu une première vie professionnelle sans lien avec la restauration. Malgré cela, ils se lancent et ça marche.

Publié le 03 janvier 2014 à 16:29

L'une voulait faire de la recherche en sociologie. L'autre avait tout pour réussir dans le marketing. Quant au dernier, il avait misé sur les nouvelles technologies. À la réflexion, c'est la cuisine qui les a séduits. Un changement d'orientation un brin risqué, surtout en période de crise. Mais leur moteur, c'est l'épanouissement. À l'instar de Natalie Hautecouverture. Après une école de commerce et dix années de marketing dans une grande entreprise ("où j'avais un bon salaire", précise-t-elle). Mais son attirance pour la restauration la rattrape. En 2011, elle profite d'un congé maternité pour "prendre du temps et réfléchir" à sa reconversion. Son profil est très éloigné de ceux des diplômés d'une école ou d'un lycée hôteliers, mais cela ne lui fait pas peur. "Ma formation et mon expérience m'ont permis de bâtir un business plan." Puis, elle a arpenté les salons professionnels du secteur de l'hôtellerie-restauration, ceux également dédiés à la création d'entreprise. Pour prendre la température, échafauder un projet et former une équipe. Se former elle-même aussi. "Même si je n'ai jamais voulu être derrière les fourneaux, j'ai voulu apprendre les codes, les techniques, le langage de la cuisine. Pour être crédible vis-à-vis du banquier, de l'agent immobilier, de mes collaborateurs." Plutôt à la recherche d'une expérience que d'un diplôme, Natalie Hautecouverture a donc passé trois mois "intensifs" au Centre de formation d'Alain Ducasse, à Argenteuil (95). C'était à la fin du printemps 2011. Deux ans plus tard, elle a ouvert Les Bobines, dans le Xe arrondissement de Paris : un resto-ciné où l'on mange des plats "faits maison" au rez-de-chaussée et où l'on peut se faire une toile au sous-sol. "Mon passé est un atout dans cette aventure, reconnaît-elle. Sans mes expériences précédentes, je n'aurais pas pu créer mon entreprise, ni embaucher trois salariés."


Un secteur "antimorosité"

Ils sont donc nombreux à adopter la casquette d'entrepreneur et à adapter leur savoir à la restauration. Un phénomène de mode ? Une tendance liée aux plus de 6 millions d'accros à la finale d'une émission comme Master Chef, sur TF1 ? Valérie Lamson ne le voit pas sous cet angle. À la tête du cabinet de recrutement Tovalea, à Paris, elle justifie l'arrivée de profils "différents" dans le secteur de la restauration "par le côté humain du métier. On rencontre des gens différents tous les jours, on bouge, on ne fait jamais les mêmes choses. C'est l'antimorosité". Mais aussi "parce que si l'on a un bon concept, un bon emplacement, une bonne équipe, le secteur de la restauration peut engendrer des revenus assez rapidement". Toutefois, Valérie Lamson nuance son propos en ne comparant pas la restauration à "un secteur refuge" que certains choisiraient, faute de mieux. "Ce n'est pas la crise qui pousse vers la restauration, c'est l'envie. J'ai eu le cas d'un trader qui a tout plaqué pour travailler dans un restaurant. Ou encore cet étudiant en philosophie, admis à Centrale, qui a eu un déclic en faisant des extras comme veilleur de nuit dans un hôtel : aujourd'hui, il dirige un boutique-hôtel !" Avis partagé par Isabelle Rio, directrice du Centre de formation d'Alain Ducasse à Argenteuil (95) : "Depuis 2009, nous proposons des sessions dédiées à la reconversion professionnelle. Celles-ci attirent des profils variés : nous avons reçu des commerciaux, un médecin, un botaniste, une danseuse… 55 % sont des hommes, ils ont 39 ans en moyenne, 45 % ne viennent pas d'Île-de-France et 67 % des 110 personnes déjà formées depuis 2009 ont financé elles-mêmes leur reconversion." Preuve de leur motivation. En outre, le Centre de formation d'Argenteuil est passé d'une seule session de dix personnes en reconversion en 2009 à cinq sessions prévues en 2014, avec liste d'attente.


Un regard distancié qui fait mouche

À cette envie de se reconvertir s'ajoute un regard distancié sur la restauration et la gastronomie, dû à un passé éloigné des métiers de bouche. Christophe Vasseur fait partie de ces vocations tardives, couronnées de succès. Après des études de commerce, puis un début de carrière dans la mode - dont trois années passées à Hong Kong -, il change de décor en 1999, pour apprendre le métier de boulanger chez Jean-Paul Mathon, à Paris. Son CAP en poche, il reprend en 2002 une boulangerie en faillite dans le Xe arrondissement, qu'il baptise Du pain et des idées. Six ans plus tard, Gault&Millau le consacre meilleur boulanger de la capitale. Les profils atypiques qui réussissent ne remettent cependant pas en cause la façon d'enseigner et de transmettre au sein des écoles de cuisine et lycées hôteliers, puisque la majorité de ces talents venus de divers horizons s'y forment sur le tard. Il n'en demeure pas moins qu'au regard de cette réalité, certains établissements d'enseignement s'ouvrent vers d'autres univers : le design, l'architecture, la mode, le théâtre… Ils font intervenir des personnalités issues de ces domaines, afin d'inciter les élèves à élargir leur culture générale. Pour mieux comprendre et prendre en compte les phénomènes de société, les tendances, les attentes, les besoins… On invite les élèves à sortir de la cuisine et de la salle pour mieux y revenir avec des idées nouvelles et une vision plus globale d'un environnement et de comportements qui évoluent sans cesse. Valérie Lamson parle de "vision stratégique". "Les écoles et lycées du secteur de l'hôtellerie-restauration ne forment pas suffisamment à la communication et à la stratégie numérique, par exemple." Or ces domaines sont souvent la clé d'un bon positionnement et donc d'une réussite.

 

"Je cherche avant tout des personnalités"

"Je suis ouvert aux profils atypiques." Et pour cause : Arnaud de Saint-Exupéry en est un. Issu du secteur automobile - "J'ai travaillé pour BMW et Avis Budget Group" -, ce professionnel du marketing s'apprête à assurer l'ouverture de l'hôtel Andaz à Tokyo, en tant que directeur général, avec de nombreuses embauches en perspective. "Pour cet hôtel, je recherche avant tout des personnalités. Des hommes et des femmes expressifs, créatifs, qui vont vers l'autre, qui ont un esprit d'entreprise." Le fait qu'ils sortent d'écoles ou de lycées hôteliers n'est donc pas une priorité, "sauf pour les postes techniques". Car on ne s'improvise pas cuisinier ou femme de chambre. S'il se compare à un "chef d'orchestre", Arnaud de Saint-Exupéry reconnaît qu'il ne peut se passer d'un directeur de la restauration. "Même si le contexte de l'hôtellerie et de la restauration a beaucoup évolué : avant, diriger un établissement, c'était faire de l'opérationnel, être au contact des clients, accueillir. Aujourd'hui, c'est un secteur d'investissements, plus stratégique qu'autrefois : on gère un business, on le développe, on le positionne."

Dans un tel contexte, les profils atypiques ont de beaux jours devant eux. La preuve : "La page Facebook de Tovalea bat des records de visites lorsque je poste des billets sur les profils atypiques", constate Valérie Lamson. Quant à Natalie Hautecouverture, elle ne regrette rien, même si elle a mis du temps à convaincre un banquier et trouver un local pour créer Les Bobines. "Je ne retournerai pas à ma vie d'avant", assure-t-elle.


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Publié par Anne EVEILLARD



Commentaires
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Christian

samedi 4 janvier 2014

Excellent article, à présenter (?) à votre banque si vous avez un profil atypique !
Christian
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Mathieu

lundi 6 janvier 2014

C'est plutôt encourageant !
Mathieu (qui quitte son entreprise et démarre la fameuse formation Ducasse lundi prochain...)
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alecbrac

mardi 14 janvier 2014

Si des profils atypiques cherchent d'autres profils atypiques, je suis ingénieur informatique, j'ai 2 CAP (cuisine et pâtisserie) et je prépare celui de charcutier-traiteur en candidat libre... j'habite à coté de Paris...

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