du 5 avril 2007 |
GASTRONOMIE MOLÉCULAIRE |
Au fil des mois, Hervé This, créateur de la gastronomie moléculaire, auteur du Sujet Interactif 'La gastronomie moléculaire' sur lhotellerie.fr vous fera partager sa passion de la science et de la cuisine. Sur un thème donné, il vous invitera à découvrir ses réflexions et les expériences qu'il a réalisées dans
son laboratoire, au Collège de France, ou qui ont été réalisées lors d'ateliers de gastronomie moléculaire. Ce mois-ci, il vous confie tous ses secrets pour réussir vos soufflés.
Secrets de scientifique
Non, ce n'est pas l'oeuf qui fait souffler
Le soufflé, un plat qui fait rêver… Pourquoi, d'ailleurs ? Après tout, il n'est ni très difficile à réaliser ni nécessairement bon ni…
Hervé This
Pour réussir un soufflé bien gonflé, 3 lois sont à respecter : faire une croûte avant de cuire, utiliser des blancs bien fermes et chauffer par le fond. |
À
la réflexion, c'est sans doute l'aspect fragile du soufflé qui fait son
charme, le fait que, sitôt ouvert, il retombe, révélant sa délicatesse
merveilleuse. Toutefois, sa fragilité est épaulée par d'autres atouts
: par exemple, la grande différence entre le moelleux du coeur et le croustillant
de la croûte, surtout quand on l'a renforcée par du sucre pour un soufflé
sucré ou par du fromage pour un soufflé salé.
Et puis je suis injuste : les soufflés ne
sont pas si faciles que cela à réaliser, précisément parce
que, pour avoir un bon contraste entre la croûte et l'intérieur, il faut
le cuire à forte température, et que l'on navigue alors entre l'uniforme
et le brûlé. Enfin, j'oublie que c'est à un soufflé au roquefort
que je dois aujourd'hui le plaisir de vous en parler dans L'Hôtellerie
Restauration.
Pardonnez ce petit couplet personnel,
mais c'est bien comme cela que tout a commencé, le 16 mars 1980 : ce jour-là,
je faisais un soufflé au roquefort pour des amis invités à dîner,
et j'utilisais une fiche recette (rétrospectivement, je me demande bien pourquoi
!). La recette stipulait de réaliser une béchamel au roquefort, puis d'ajouter
les jaunes d'oeufs "deux par deux". Deux par deux ? Un esprit rationnel qui
ne comprend pas la raison d'indications les teste, et c'est ainsi que j'ai finalement
observé que l'ajout deux par deux, ou tous ensemble, ou un par un, ne changeait
rien à la recette. Surtout, c'est ce jour-là que j'ai compris qu'il
y avait urgence à recueillir
les dictons culinaires et à les tester afin de ne transmettre aux jeunes
cuisiniers que les dictons justes, et pas les faux (ils sont légion !). Bref,
le soufflé est pour moi merveilleux, parce que je lui dois la gastronomie moléculaire
et une merveilleuse vie de science à étudier les phénomènes
culinaires.
Bulles d'air ou vapeur d'eau
?
Les premières études
que j'ai consacrées aux soufflés visaient à comprendre pourquoi
ils gonflaient. Ou pourquoi les soufflés gonflent-ils ? Grâce aux bulles
d'air du blanc d'oeuf battu en neige, qui se dilateraient à la chaleur comme
l'indiquaient certains livres (anciens et faux) ? Je ne pouvais pas me satisfaire d'une telle explication. En effet, quand
on calcule (le calcul est tout simple) comment le volume d'un gaz varie avec la
température, on s'aperçoit que le gonflement d'un soufflé devrait
être de 20 % seulement. Or, les soufflés doublent (200 %), voire triplent
à la cuisson.
Ce fut le début de l'aventure. Avec mon ami
Nicholas Kurti, aujourd'hui décédé, nous avons commencé par
mesurer la température au centre des soufflés. Puis nous avons testé
diverses méthodes de cuisson, diverses formes de ramequins ; j'ai même
mesuré la pression dans les soufflés.
Et c'est ainsi qu'est apparue une première
vérité : ils gonflent peu en raison de la dilatation de l'air des bulles
du blanc en neige, mais beaucoup parce que l'eau présente dans l'appareil à
soufflé s'évapore à la cuisson. Ce qui conduit à une première
application culinaire, que l'on obtient en poursuivant un peu le raisonnement :
si l'on chauffe un soufflé par le dessus, c'est l'eau du dessus qui sera évaporée,
de sorte que la vapeur formée partira dans l'air de la cuisine ; il y aura
alors peu de gonflement.
En revanche, si l'on chauffe par le
fond, alors c'est l'eau du fond du soufflé qui s'évaporera, et comme 1
g d'eau fait 1 L de vapeur, tout le soufflé sera poussé vers le haut par
la vapeur formée.
La première loi à respecter pour obtenir un soufflé bien gonflé : utiliser des blancs d'oeufs battus très fermes. |
Avec ou sans croûte
?
De combien un soufflé
peut-il gonfler ? Sachant que 1 g d'eau fait environ 1 L de vapeur, on peut savoir
de combien un soufflé peut gonfler en pesant un soufflé avant et après
la cuisson. Les résultats sont surprenants : un petit soufflé de seulement
300 g perd environ 10 g à la cuisson. Autrement dit, la théorie même
rectifiée est fausse parce que personne n'a jamais vu un soufflé de 10
l à partir de 300 g d'appareil (je répète que 1 g d'eau fait 1
L de vapeur, donc 10 g font 10 l, la pression dans les soufflés étant
peu supérieure à la pression atmosphérique).
Où est parti tout le volume manquant ? Cette
fois, il est facile de répondre. Il suffit d'observer un soufflé qui cuit
dans un récipient en verre, dans un four dont la porte est vitrée : on
voit alors que les bulles de vapeur formées au fond du soufflé montent
à travers l'appareil et viennent crever en surface. Mieux encore, on voit
parfois de grosses protubérances se former dans la partie supérieure et
éclater d'un coup, libérant beaucoup de vapeur. Cette observation suscite
une autre conclusion technologique : si nous voulons faire des soufflés bien
gonflés, il faut non seulement chauffer par le fond, mais aussi imperméabiliser
la surface afin de ne pas perdre la vapeur qui voudrait s'échapper. Comment
? Avec du sucre par exemple, que l'on fait croûter avant la cuisson, en passant
quelques instants le soufflé sous la salamandre. Ou bien à l'aide de
fromage, etc., qui fait le même usage.
Blancs d'oeufs : fermes ou
pas ?
Naturellement, si les
bulles de vapeur montent dans le soufflé, on peut aussi se demander comment
éviter le phénomène afin de mieux les retenir et d'avoir des soufflés mieux
gonflés. Cette vapeur est bien moins dense que le soufflé, mais elle peine à
traverser ce dernier, et pour faire des soufflés mieux gonflés, il faut qu'elle
peine beaucoup. Comment faire ?
Cette fois, les livres de cuisine
sont hésitants : cerflés, il faut qu'elle peine beaucoup.
Comment faire ?
Cette fois, les livres de cuisine sont hésitants
: certains (même signés par des cuisiniers triplement étoilés)
indiquent que les blancs doivent être très fermes, et d'autres (également
signés par des cuisiniers triplement étoilés… mais heureusement
pas les mêmes) indiquent que le blanc en neige doit être très ferme.
Alors ?
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Alors rien ne vaut l'expérience,
qui consiste à préparer un appareil à soufflé, à
le diviser en 2 parties strictement égales (au gramme près), à
y ajouter
des blancs très
fermes dans une partie, des blancs peu fermes dans l'autre, à cuire les 2
soufflés ensemble, dans des ramequins identiques, dans le même four,
en répétant les expériences pour s'assurer qu'elles donnent toujours
le même résultat. La photographie pages 40 et 41 donne le résultat.
Et ce résultat s'énonce en plusieurs temps.
Tout d'abord, il y a une belle différence.
D'autre part, ce sont les soufflés qui ont été réalisés
avec les blancs les plus fermes qui gonflent le plus. Ensuite, la texture au centre
des soufflés à blancs très fermes ou à blancs peu fermes
diffère, même quand le temps de cuisson est rigoureusement identique,
ce qui s'explique à la fois par le gonflement supérieur des soufflés
à blancs fermes (ils sont plus 'secs'), et aussi par les qualités isolantes
des systèmes physiques foisonnés (ce que sont les soufflés).
Au fait, et la différence entre
les soufflés fermes ou peu fermes, comment l'expliquer ? Très simplement
pour qui sait observer. Fouettons un blanc d'oeuf en neige, divisons-le en 2 moitiés
et battons davantage la seconde. Puis posons un oeuf entier sur les 2 mousses. Dans
le blanc peu battu, peu ferme, l'oeuf entier s'enfonce ; mais dans le blanc en neige
bien battu, bien ferme, il reste en surface. C'est le même phénomène,
mais retourné de 180°, qui a lieu dans les soufflés. Les bulles de
vapeur qui se forment au fond des soufflés à blancs peu fermes montent
facilement dans la préparation visqueuse qu'est l'appareil à soufflé.
En revanche, elles montent difficilement dans l'appareil ferme
d'un
soufflé aux blancs très battus. Et si elles montent difficilement, dans
ce second cas, elles vont moins bien éclater en surface de sorte que, mieux
retenues, elles font mieux gonfler le soufflé.
Soufflé
gonflé, 3 lois à respecter
En résumé, je
vous propose 3 lois pour faire bien gonfler vos soufflés (dans les conditions
normales de réalisation, car faites-moi confiance, j'ai imaginé et testé
1 000 moyens différents pour faire des soufflés 'martien' : au four à
micro-ondes, sous vide, etc.).
La
première loi est la suivante
:
faire une croûte à la surface du soufflé avant de le cuire,
afin d'éviter que les bulles de vapeur qui seront formées s'échappent
trop facilement.
La
deuxième loi : faire
des blancs très fermes si vous voulez des soufflés bien gonflés,
mais attention à la texture, qui risque d'être un peu sèche si
la quantité d'eau est insuffisante (à la limite, augmentez-la).
Et
la troisième loi : chauffez
surtout les soufflés par le fond. L'idéal serait d'avoir des ramequins
à fond métallique, qui conduiraient très bien la chaleur, et des
parois latérales qui conduiraient moins bien. Autre possibilité : chemiser
les ramequins métalliques d'une forte feuille isolante, à condition
que celle-ci n'adhère pas au soufflé. Et c'est ainsi que les soufflés
gonflent ! n
zzz22v
PÂTE À CHOUX, GOUGÈRES
OU QUENELLES TOUT EST UNE QUESTION DE VAPEUR D'EAU Tout comme les soufflés, les pâtes à choux, gougères, quenelles également, soufflent à la cuisson (ou, du moins, devraient souffler)… alors qu'il n'y a pas de bulles d'air.
Pour faire des pâtes à choux, gougères, quenelles…,
l'usage n'est pas de battre des blancs en neige, mais il n'est pas impossible La température à coeur : supérieure
à 100 °C |
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L'Hôtellerie Restauration
n° 3023 Magazine 5 avril 2007 Copyright © - REPRODUCTION INTERDITE